Le 6 avril 1932, toute la presse parisienne annonçait l'arrestation à son domicile du Vésinet, 13 avenue des Courlis, d'un coulissier bien connu : Max Amerongen soupçonné d'avoir détourné l'argent de ses clients pour des sommes allant de 800.000 frs à plus de deux millions. Un personnage qui ne manquait pas d'audace, fécond en idées de toutes sortes, qu'il imposait avec conviction dans son journal La Tendance, dans des billets qu'il signait « Grand-Père » qui eurent parfois quelque retentissement. [1]
Coupure de presse, L'Excelsior (p.3) 6 avril 1932.
L'origine de la famille van Amerongen Le nom d'Amerongen tient sa notoriété du village et du château d'Amerongen, aux Pays-Bas, province d'Utrecht, où l'empereur Guillaume II passa ses premiers mois d'exil après la défaite de l'Allemagne en 1918. Sans rapport, la famille de notre coulissier est issue d'une honorable lignée de la communauté israélite d'Amsterdam où son grand-père, Barend van Amerongen était négociant en pierres précieuses. Les deux fils aînés de Barend, Barend-Wolff (diamantaire), avec son épouse Marguerite Oppenheimer et Arnold (lapidaire) avec sa femme Rachel Sichel émigrèrent en France, à Paris, vers 1880. Leurs enfants naîtront à Paris. La famille de Barend-Wolff sera naturalisée française en 1890.
« Max » ou plus précisément Wilhem-Marx van Amerongen est le fils d'Arnold (fils cadet de Barend) et de sa femme Rachel Sichel. La mort prématurée d'Arnold, son père, en 1884, en fit un orphelin à peine âgé de deux ans. Son jeune frère Sylvain-Georges et lui seront élevés par leur grand-père maternel, Geoffroy Sichel, courtier en marchandises, puis Wilhem-Marx (qui se fera appeler Guy) sera initié au monde des affaires par son oncle Alphonse Sichel « homme de bon conseil, à l’écart des aventures, des opérations hasardeuses ».
Pour d'obscures raisons la naturalisation de Wilhem-Marx en 1890, en même temps que celle des autres membres de la famille van Amerongen sera d'abord accordée puis « répudiée » une semaine plus tard pour ce qui le concernait personnellement. Mêmes déboires en 1904. Il lui faudra attendre près de vingt ans pour obtenir enfin, en 1911, la nationalité française. Sur certains documents imprimés rendant compte de cette naturalisation, le prénom d'origine (Marx) devint Maxce qui peut expliquer que ce dernier ait surgi de nulle part lors de l'affaire. Mais quant à lui, pour se désigner (signature, adresse), l'intéressé avait semble-t-il choisi Guy Amérongen.
Wilhem-Marx alias Max alias Guy Wilhem-Marx prit quelque distance avec sa famille paternelle, abandonna vite la particule van et utilisera comme pseudonyme le patronyme de sa mère (Sichel) avec un prénom français : Guy.
Contrairement à ses aïeux diamantaires, il s'orientera vers le milieu de la banque et de la spéculation. Une biographie sommaire parue en 1928 [2] retrace le parcours professionnel de Guy Amerongen (c'est la dénomination employée) qui y est présenté comme « sympathique, d’un abord facile et de commerce aimable ». Il a débuté jeune dans la finance à l’école de son oncle maternel, Alphonse Sichel, réputé prudent et de bon conseil.
Guy Amerongen a été admis dès avant la guerre au nombre des membres du Syndicat de la Coulisse au Comptant[3]. Pendant la guerre, sa maison fut fermée pour la bonne raison que le tout récent Français (enfin naturalisé en 1911) s’était engagé pour la durée de la guerre. Fait prisonnier le 20 septembre 1915 à Ste-Marie-à-Py (Marne), il fera la plus grande partie du conflit dans un stalag à Munster, en Allemagne. Libéré le 28 décembre 1918, à peine rentré de captivité, dès la seconde quinzaine de mars 1919, il reprenait langue avec sa clientèle.
Ses affaires devaient beaucoup se développer au cours des dix années suivantes. En décembre 1926, la banque Guy Amerongen & Cie « importante maison de coulisse, inscrite au comptant et à terme » transférait ses bureaux du 4, rue de la Paix, au 19 de l’avenue de l’Opéra. L'article de 1928 présente son directeur comme « un financier d’une haute compétence et sérieux ». Il publie une feuille d’information boursière qui, sous ce titre de La Tendance, est « un trait d’union constant entre lui et ses clients ». Il emploie un nombreux personnel, « en rapport avec l'importance des affaires de sa maison ». Il s'est fait connaître aussi par la publication d'une Esquisse d'un projet financier pour l’assainissement des finances publiques et du marché des Rentesabondamment discuté dans les gazettes.
Le « krach » Amerongen Si, comme coulissier, Amerongen avait eu souvent la main heureuse, il avait connu aussi quelques déboires et quelques placements scabreux. Son rôle dans certaine affaire de mines d'argent [4] fut des plus malheureux. Peu après la parution de l'article plutôt élogieux mentionné plus haut, le ton avait changé et Amerongen avait été prié par ses collègues de donner sa démission de membre du Syndicat de la Coulisse. Était-ce pour redorer son blason qu'en 1929, à grand renfort d'articles de presse, il fit un don de 100.000 frs à la recherche contre le cancer ? [5]
Mais sa faillite fut surtout causée par la défaillance d'un « gros agent de change de Toulouse » [6], entre les mains duquel le coulissier avait déposé des sommes importantes. Sa situation s'étant alors, irrémédiablement compromise, Amerongen s'était mis en faillite amiable. Il vendit en même temps la feuille financière qu'il dirigeait. Est-ce dans ce cadre que fut mise en vente en lotissement une partie de sa vaste propriété du Vésinet ?
Sous le coup d'une inculpation dès 1931 (abus de confiance et escroquerie), Guy Amerongen avait été laissé en liberté tandis qu'un expert, M. Wilwoski [7], expert comptable désigné par le magistrat instructeur, M. Ordonneau, recherchait l'importance du déficit. L'enquête conclut à un passif, de l'ordre de 800.000 frs. Amerongen fut écroué à la Santé. Cependant, l'affaire Amerongen restait une sorte de dommage collatéral dans l'affaire bien plus grave de la banqueroute Oustric qui fit beaucoup plus de bruit et eut, dans le monde de la finance, un retentissement bien plus grave.
Condamné, le 10 décembre 1935 à 13 mois de prison assorti du sursis, 5.000 frs d'amende et à plusieurs centaines de mille francs de restitutions et dommages intérêts, Max Amerongen fit appel, malgré une condamnation jugée clémente. Son avocat, Me Pierre Massé fit observer que l'ancien banquier avait renoncé aux affaires financières, n’avait pas bénéficié personnellement de ces détournements commis pour la plupart, par des employés indélicats. M. Amerongen avait remboursé près de cinq millions (il ne restait plus de passif pénal), quant aux couvertures de ses clients, mises en pension chez les agents de change qui liquidèrent sa position faute de remboursement des avances, Me Massé estimait que son client « a fait ce que font tous les petits banquiers qui ne possèdent pas une masse de manœuvre personnelle suffisante. Seul, dit-il, les grands établissements de crédit peuvent se permettre de laisser sous dossier les titres de leurs clients et de garantir leurs opérations personnelles avec leurs propres titres...»
Le Ministère public fit appel à minima, l'avocat Gassagneau s'en remit à la Cour ... qui confirma la condamnation en juin 1937. [8]
Amerongen au Vésinet Wilhem Marx van Amerongen fut marié trois fois. Une première union le 28 mars 1905 à Paris (9e) avec Berthe Eugénie Galand (divorce en 1909). Une deuxième le 25 avril 1914 encore à Paris (9e) avec Georgette Eugénie Bisson (divorce en 1916) et enfin, le 20 juillet 1920 toujours à Paris (9e) avec Lucie Wortman. C'est avec cette dernière que Max Amerongen sera domicilié à partir de 1927 au 13/15 avenue des Courlis, une vaste propriété de près d'un demi hectare, avec son fils Robert Raymond (issu de son premier mariage, y sera aussi domicilié jusqu'à son propre mariage en 1929) et sa fille Yvonne Jeanne. C'est à cette adresse que « Max » sera arrêté le 5 avril 1932. [9] En 1935, au moment de son procès, il habitait toujours au Vésinet mais dans une propriété plus modeste qu'il louait au 115 boulevard Carnot. Il était alors recensé comme journaliste.
En 1941, Guy Amérongen projetait d'aller refaire sa vie en Argentine. Il écrivit au docteur Angel H. Roffo, professeur de médecine à l'université de Buenos-Aires, lauréat du Prix Amerongen en 1939 :
Notre ruine est complète, écrit Amerongen. Vous savez par mes actions passées que l'argent n'est pas tout pour moi ; mais il faut tout de même en avoir un peu pour pouvoir vivre.
Nous allons recommencer notre vie à neuf. Heureusement que nous sommes en bonne santé. Mon épouse entre autres qualités, est très bonne dessinatrice de vêtements et ma fille est une excellente artiste commerciale. Je suis moi-même bon comptable et un peu journaliste. Si vous pouviez nous ouvrir le chemin, nous sommes sûrs, tous les trois, que nous pourrions nous adapter à une vie nouvelle... Venez à notre aide. Dieu seul, sait où nous serons demain... Excusez-moi, cher docteur, c'est la nécessité qui me force à soliciter cette faveur. [10]
Nous ignorons l'issue de ce projet. En mars 1946, lors du mariage de sa fille Yvonne, Guy Amerongen est représentant de commerce et habite à Paris (9e) rue du Faubourg Montmartre. Il continuera à publier articles et brochures sur des sujets économiques et financiers jusqu'en 1946 puis on perd sa trace. Son fils Robert van Amerongen (1902-1944) courtier en Bourse, fut déporté en 1942 en Pologne d'où il ne revint pas.
En 1931, un autre membre de la famille van Amerongen était domicilié au Vésinet, au 26 avenue Hoche. Il s'agissait de Wilhem-Lucien, fils de Barend-Wolff et cousin de Max alias Guy. Fondé de pouvoir (banquier), il occupait avec sa femme, et ses enfants une autre propriété de près de 7000 m² qui était contiguë par le fond des terrains à celle de Guy. C'est cette propriété donnant sur l'avenue Hoche qui sera divisée en une dizaine de parcelles, l'allée Claude-Debussy étant alors ouverte pour aider à desservir les nouveaux lots dits lotissement Amerongen. Rien n'indique que la vente de ce lotissement soit liée au Krach sinon la concomitance et le fait que la famille Amerongen dut trouver de quoi rembourser la plus grande partie de sa dette. Lucien van Amerongen et sa famille quittèrent Le Vésinet pour Paris (10e) rue du Château d'Eau où Lucien exerça le métier de comptable et sa femme Marthe fut employée à la Préfecture de la Seine. Lucien est mort à Paris, le 10 décembre 1938, à 57 ans, et inhumé au cimetière de Montparnasse.
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Notes et sources:
[1] Le personnage en question était connu sous le nom de Guy Amerongen. Le pseudonyme de Guy Sichel fut utilisé dans sa jeunesse pour ses premières publications. Son état civil est explicité plus loin. Le pseudonyme de « Grand-père » était censé illustrer la sagesse des propos. En avril 1930, sous le titre « la fin d'un bluff » La revue Commentaires, sous une forme humoristique, annonça : « Depuis des années M. Guy Amerongen mentait tous les jours en laissant croire à ses lecteurs qu'il était grand-père alors qu’il usurpait cyniquement ce titre. Il était d’ailleurs très fier de ce petit mensonge. Eh bien, c’est fini. Grand-Père ne mentira plus puisque, depuis hier, son fils Robert l’a fait grand-père pour de bon. « A Grand-Père . à son fils et à la femme de ce dernier, nos affectueux compliments. Et longue vie et prospérité au nouveau-né ! Commentaires, 8 avril 1930.
[2]M. Guy Amerongen, coulissier in Le Petit Bleu, 4 septembre 1928 et Le Ruy Blas, 15 septembre 1928.
[3]Le « coulissier » était un courtier négociant des valeurs mobilières non cotées en Bourse, en dehors du parquet des agents de change officiels. Les coulissiers ont permis à la place de Paris de devenir une référence internationale dans la deuxième partie du XIXe siècle. Règlementés par une loi de 1884, le « syndicat de la coulisse au comptant » et le « syndicat de la coulisse à terme » étaient alors l'objet de vives critiques. Une nouvelle règlementation sera mise en place en 1930. Le terme de coulissier devenant péjoratif sera remplacé par « courtier en valeurs mobilières » censé leur donner plus de considération.
[4]Société des mines d'argent de la Caunette (Aude). La teneur élevée en Galène dans le minerai extrait de ces mines fut, en 1928-1929, à l'origine de « flambées spéculatives » dont Guy Amerongen & Cie fut à la fois la cause et la victime.
[5] Ce don initial devint un prix. Le Prix Amerongen fut attribué annuellement au moins jusqu'en 1939. Journal des débats politiques et littéraires, 19 mai 1939.
[6] Le krach Oustric. Le Journal des finances, 21 novembre 1930.
[7] Monsieur Marc WILWOSKI, expert comptable breveté par l'Etat, demeurant à Paris, 5 rue des Poitevins est souvent cité dans les nombreuses faillites de banques privées après la crise de 1929 et ses suites.
[8] Le Matin, 21 novembre 1935 ; Le Petit Bleu de Paris, 4 décembre 1935 ; Le Journal, 11 décembre 1935 ; Le Petit Bleu de Paris, 27 juin 1937.
[9] Outre l'adresse de M. & Mme Guy Amerongen figurant dans des annuaires mondains ou téléphonique (n°15) on trouve aussi la domiciliation de La Société en commandite simple Guy Amerongen & Cie, et la Société en commandite par actions Guy Amerongen & Cie ayant pour objet toutes opérations de banque et de bourse (siège social au 19, avenue de l'Opéra) toutes deux avenue des Courlis (n°13) au Vésinet.
[10] La Patrie (journal Québecois), 21 mars 1941.
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