D'après J. Schiffer, Bulletin de la Société pour la protection des paysages de France, 1932. [1]
Le Vésinet : Un exemple de défense collective Un chef d'œuvre d'aménagement d'un site suburbain
Le Vésinet n'est guère connu que par l'aspect qu'il présente aux innombrables automobilistes allant de Paris à Saint-Germain par Nanterre. Entre le pont de Chatou et le pont du Pecq, le conducteur et les passagers qui consentent à regarder ce qui les entoure voient se succéder les propriétés ombragées, sauf au moment où, passant devant la mairie du Vésinet, ils traversent la partie supérieure du village.
Si, abandonnant pendant trois kilomètres la route nationale, tracée en ligne droite, ils empruntaient quelques-unes des voies qui parcourent la commune, ils feraient une charmante découverte : celle d'une antique forêt dont on a sauvé le caractère et la beauté, et qu'on a embellie par cent créations d'un goût charmant, exemple exceptionnel d'une heureuse collaboration de l'homme avec la nature.
L'histoire de cette forêt a été souvent retracée ; elle n'était qu'une faible partie de la vaste forêt Yveline qui s'étendait, à une époque fort reculée, sur la plus grande partie de la province qui fut plus tard l'Île de France, couvrant ainsi tous les environs de Paris. Seuls des lambeaux en subsistent, et font l'objet maintenant de la sollicitude des pouvoirs publics.
Les terres boisées qui portaient le nom de Visiniolum furent le théâtre de tous les événements qui comportèrent des incursions diverses, la présence de la riche abbaye d'Aupec (Alpicum, le Pecq) et la naissance des agglomérations, des villages qui furent et qui sont Catho, Chatoe, Chatou, Crociaco, Croissy, Monstexonis, Montesson.
Sous Philippe-le-Bel, en 1305, la partie centrale de la forêt restée intacte est rattachée, comme bois de l'Etat, à la capitaillerie de Saint-Germain. C'est à partir de cette époque que la forêt du Vésinet, avec coupes, pacages, routes, fut tenue en tutelle jusqu'à la Révolution. De nouveaux ennemis surgissent ; la guerre de Cent ans commence, l'Anglais ravage, incendie, détruit, et l'Île de France se trouve durement éprouvée. D'après le livre de l'élection de Paris, en 1470, Croissy n'avait plus que 2 habitants, Chatou 30, et Montesson 4 ! Il est bien permis de supposer que, pendant toute cette malheureuse période de notre histoire, la forêt du Vésinet ne cessa d'être parcourue, ravagée, et qu'il y eût plus d'une échauffourée : de là, peut-être, le nom de « forêt d'Echauffour », par lequel on l'a désignée quelquefois.
En 1496, la terre du Vésinet appartenait au Cardinal de Bordeaux, abbé de Saint-Wandrille.
Henri IV construisit la partie du château de Saint-Germain qui a porté son nom (Pavillon Henri-IV). Il fit tracer des routes, puis construire le pont de Paris, au bas de la côte du Pecq. Le bois du Vésinet va devenir un lieu de chasse, de promenade, présentant alors une physionomie toute nouvelle. En face du château, et près de la Seine, partiront seize avenues aboutissant aux extrémités de la forêt. Henri IV rattacha à la forêt du Vésinet la plus grande partie des terres qui, à différentes époques, étaient tombées sous la domination des seigneurs ou des abbayes, et les règlements de chasse qu'il édicta (ordonnance de 1601), étaient d'une sévérité telle à l'égard des délinquants, que ceux-ci, en cas de récidive, étaient envoyés aux galères ou battus de verges, et leurs biens confisqués.
Sous le règne de Louis XIII, la forêt du Vésinet s'accrut du Bois de la Trahison, appelé forêt de Cornillon. Le roi venait souvent à la volerie dans la plaine du Vésinet. Il y chassait le milan noir. La forêt, fort giboyeuse, renfermait aussi des « courlis », mais ces longs échassiers, de même que les milans noirs, ont abandonné cette contrée qui ne devait pas rester sauvage.
A la fin du XVIIe siècle, le système des routes de la forêt, du Vésinet paraît achevé. Néanmoins, la cour cesse de traverser la forêt pour se rendre de Saint-Germain à Paris : elle préfère la nouvelle route, plus longue et moins agréable, que le roi avait fait construire par Port-Marly.
Vers 1721, la forêt du Vésinet fut affermée au Maréchal Duc Maurice de Noailles, qui fit défricher 300 arpents et y établit des fermes pour les laboureurs et des maisons pour les jardiniers et les vignerons, en sorte qu'en 1721, il y avait bien 80 personnes dans la forêt elle-même.
En 1751, la forêt fut transformée en « garenne » entourée de. murs du côté de Chatou et de Croissy. On établit une « faisanderie » dans sa partie orientale.
Louis XV venait chasser souvent dans le bois du Vésinet. Sous Louis XVI, dans la partie sud de la forêt, on commença le défrichement de quelques fractions de la garenne royale pour les livrer à la culture du tabac. Une ferme y fut longtemps exploitée et mise en valeur. Le reste de ce domaine devint la dotation du comte d'Artois qui donna de nouveaux soins aux murs de la forêt et à la Faisanderie, où existait un rendez-vous de chasse. A cette époque, le gibier occasionnant de grands dégâts sur la paroisse de Montesson, celle-ci fut autorisée à édifier un mur, à partir du mur de Chatou, vers la pointe des Courlis, jusqu'à la Seine.
En 1789, le comte d'Artois émigra. La forêt du Vésinet devint alors « propriété nationale », après avoir subi de grandes modifications comme étendue.
Le 20 frimaire, an II de la République, le partage du bois du Vésinet fut décidé. La contenance de la forêt était alors de 1.264 arpents 62 perches. On voit, sur un plan géométral du « Bois du Vésinet », dressé en 1836 par Guy Martin, géomètre ordinaire des forêts de la Couronne, une division de la forêt en deux triages, celui du Nord et celui du Sud, comprenant ensemble 36 coupes.
C'est en 1856 que le destin du Vésinet devait s'orienter dans la voie qui conduisit au délicieux chef-d'œuvre que chacun peut contempler aujourd'hui. C'est, en effet, à cette date que le Bois du Vésinet a cessé de faire partie des domaines de l'Etat par suite de l'échange conclu entre le Ministre de la Maison de l'Empereur et la Société Alphonse Pallu et Cie, suivant acte passé devant Mes Mocquart et Roquebert, le 20 novembre 1856, et, portant cession du Bois du Vésinet, contenant 436 hectares 50 ares, situé sur les communes du Pecq, de Croissy et de Chatou et de 49 hectares 62 ares à prendre dans la forêt de Saint-Germain contre 321 hectares 3 ares de terres et de bois destinés à relier la forêt de Saint-Germain à celle de Marly, et situés sur les communes de Saint-Germain, Fourqueux, Chambourcy, Rueil, Vaucresson, Garches, Saint-Cloud et la Celle-Saint-Cloud. Un sénatus-consulte des 24-25 juin 1857 confirme et autorise cet échange.
Le territoire du Vésinet resta tout d'abord partagé entre les communes de Chatou, Croissy, Le Pecq. Mais en 1875, la Société Pallu et les propriétaires du Vésinet obtinrent l'érection en commune (lois des 31 mai et 8 juin 1875).
M. Alphonse Pallu fut le directeur général de la Société Pallu et Cie. Son nom est à retenir, et la commune du Vésinet qui lui doit sa fortune présente et à venir, serait bien inspirée en consacrant son génie par une marque plus visible que la plaque d'une simple rue du village. L'activité de cet homme et son travail efficace, son amour du beau, sont ses uniques lois. Dès le début de son œuvre, une clairvoyance presque magique lui fait percevoir tout le parti qu'on peut tirer de cette forêt de chênes et de conifères qui garnit tout une boucle de la Seine, coulant doucement au pied des coteaux de Bougival, Marly, Saint-Germain. Il néglige, malheureusement, les parties de la rive droite qui bordent immédiatement le fleuve, mais il s'attache à ce que les futurs habitants du Vésinet trouvent partout la grâce et la beauté, par la vertu d'un plan et d'une discipline.
Lui commande, mais comme les grands créateurs du XVIIe siècle, il sait s'entourer ; ses collaborateurs, le comte de Choulot, pour le dessin de ce qui sera la future commune, M. Olive, architecte paysagiste, M. Petit, ingénieur des Ponts et Chaussées. M. Dufrayer, chef du Service des Eaux de Versailles, M. Lepant, conducteur des travaux, l'ont compris et exécutent ses ordres.
Le Vésinet apparaît et se développe dans un ordre exemplaire. Les larges avenues ménagent d'amples perspectives ; la fantaisie et la grandeur s'unissent dans d'immenses espaces libres dont le tracé sinueux se développe sur des kilomètres, qui resteront en pelouses plantées, par un paysagiste de talent, de bouquets de chênes, de pins et de peupliers.
Plan du Vésinet (1932) [2]
En hachuré, les zones d'habitat collectif et commerce (voir note).
Le sol ? du sable de Seine sur plusieurs mètres d'épaisseur. Qu'importe ! On y installe le lit de cinq vastes lacs entièrement cimentés : le lac Supérieur occupant le plus haut point de la forêt et alimentant tous les autres, le Grand Lac ou lac des Ibis avec sa grotte curieuse, le lac de Croissy, le lac de la Station du Pecq, le lac Inférieur ; quatre kilomètres de rivières, toujours cimentées, où l'eau circule en méandres gracieux, coupés par des cascades dont l'effet est toujours heureux. Pour alimenter tout ce système, M. Pallu établit de puissantes machines hydrauliques, en face de Port-Marly, sur la rive droite de la Seine, qui élèvent l'eau des sources captées, cette eau qui sera en même temps distribuée aux habitants du pays et à ceux des communes voisines.
Les lacs sont assez vastes pour qu'on y réserve des îles importantes. Dans tout cela, pas une faute ; partout dans les travaux de transformations, dans la disposition générale et dans ses parties, avenues, rues, lacs, rivières, cascades, on trouve la main de l'artiste. Et le tracé s'étend sur 340 hectares et 90 kilomètres de routes !
Ainsi, on est prêt à donner aux futurs propriétaires la jouissance d'un parc public, avec son animation, ses vues ravissantes, ses eaux, ses prairies ; il faut maintenant assurer à ceux-ci le calme de la vie privée. C'est le Cahier des Charges qui y pourvoira.
Celui-ci est un modèle du genre : le Vésinet, commune de plaisance, n'est point un centre commercial ; aucune usine, manufacture, carrière, plâtrière, four à chaux ou à plâtre, briqueterie ou sablière ne peut s'y établir. Les commerces, métiers ou industries utiles aux constructions ou aux besoins domestiques sont seuls autorisés dans divers quartiers qui leur sont spécialement affectés, et en particulier dans le « village du Vésinet », bourgade très bien dessinée, située au centre du territoire de la commune. L'interdiction ne s'applique pas aux pépiniéristes, jardiniers, fleuristes, qui peuvent s'installer dans toutes les parties du Vésinet, où bon leur semble.
En bordure des pelouses, des lacs, des rivières, il est interdit d'élever aucune construction à moins de dix mètres de distance des clôtures. Ces clôtures ne peuvent être constituées que par des haies taillées ou sauts de loups, ou des murs de moins de 1m10 d'élévation, surmontés d'une grille en fer ou en bois. Le long des voies publiques, les murs ne doivent pas se poursuivre sur une longueur continue de plus de 10 mètres, sans être interrompus par une haie de 4 mètres au moins d'ouverture qui pourra être garnie d'une grille ou d'un treillage en fer ou en bois posé sur un mur d'appui de 1m10 au plus.
L'œuvre est prête : Ce sol boisé, ondulé, sablonneux, parfaitement dénué d'humidité, à l'abri des crues les plus élevées de la Seine, ce climat très salubre, attirent les acquéreurs : en 1858 commence la vente des terrains autour de la station du Pecq ; des amateurs viennent nombreux à des ventes faites par adjudication, sur les lots mêmes.
Dès le début, le succès de l'entreprise est assuré ; le morcellement est rapide, mais un morcellement intelligent, par lots assez vastes qui permettent la construction, non pas, sauf quelques exceptions, de somptueuses demeures, mais de ces excellentes maisons qui sont faites pour durer et pour donner à leurs habitants la lumière, l'air, l'espace et le confort. Chacun trouve dans son lot un paysage, et s'ingénie à le parfaire. Les plus beaux arbres sont sauvés, les perspectives, sont ménagées avec un soin jaloux. Sur ce sol où l'eau disparaît instantanément, les pelouses subsistent difficilement dans leur beauté : à force de terreau et d'eau, les gazons s'améliorent. A force de travail, les horticulteurs obtiennent des résultats merveilleux et les cultures d'œillets et de bégonias, qui ont donné au Vésinet une célébrité mondiale, se développent peu à peu.
Et le Vésinet devient « cette avenante et judicieuse combinaison d'une petite cité bien pourvue et d'un parc immense et habité, d'un bois de Boulogne parsemé de villas [3] ». Les habitants y vivent dans une douce quiétude, loin des bruits et de l'air déjà empoisonné de la capitale toute proche.
On arrive à 1914...
La guerre elle-même ne devait point produire d'extrêmes désordres au Vésinet. Et les années qui suivirent immédiatement 1918 ne furent pas, pour ses habitants, plus douloureuses que pour ceux des autres communes de la douce France.
Seulement, la facilité de l'inflation, puis la très grave dépression qui suivit, eurent dans le destin de la commune des conséquences imprévues. Les successions, ouvertes, le désir de spéculer, puis bientôt le besoin de réaliser, amenèrent peu à peu un certain nombre de propriétaires à mettre leur bien en vente. Les habitants de cet immense jardin, qui n'avaient cherché que leur tranquillité, ne s'étaient jamais soucié de faire connaître tout ce qui constitue le Vésinet actuel. Devant ces offres qui se multipliaient, se présentèrent à peu près seuls, soit des bâtisseurs d'immeubles à étages, soit des lotisseurs étrangers à la commune et qui sauf de rares exceptions se souciaient peu de la beauté de ce petit territoire. Rien ne vînt arrêter le désastre commençant. Une municipalité insuffisamment clairvoyante, ralliée trop facilement à la thèse de l'avenir inéluctable, toujours disposée, par surcroît, à compter les voix de ses électeurs, peu soucieuse de les éclairer sur leurs véritables intérêts, donna sans réflexion les autorisations de bâtir. On ne chercha pas à tirer parti de tout ce que pouvait offrir le cahier des charges, et encore bien moins à le parfaire par l'application des lois qui déjà cependant prouvaient que des voix inquiètes se faisaient entendre au Parlement.
Le mal se fit sentir, d'ailleurs et heureusement, à la périphérie de la commune et ne gagna pas trop l'intérieur où l'on ne trouve à l'heure actuelle, que de rares « verrues » encore trop visibles. Puis 1930 arriva, arrêtant, petite conséquence heureuse d'un grand malheur, à peu près toutes les opérations immobilières. Le danger est suspendu, mais visible. Le Vésinet va s'éveiller...
Quelle est à ce moment la situation de la banlieue parisienne ? La description la plus aiguë, on la trouve dans le rapport de M. le sénateur Linyer, rapporteur de la loi autorisant l'établissement d'un projet d'aménagement de la région parisienne, rapport lu au Sénat le 23 mars 1932 :
« L'étranger qui vient à Paris, dit M. Linyer, avant de pouvoir admirer cette merveilleuse ordonnance du centre de la capitale qui contribue à lui assurer sa suprématie, parce qu'elle est un modèle de goût et d'élégance, est obligé, hélas ! de franchir, dans une banlieue sordide, lépreuse, inorganisée, une série de zones habitées qui font penser parfois aux fameux cercles de Dante. Il a sous les yeux le spectacle de l'incohérence, de l'imprévision, de l'anarchie, quand ce n'est pas celui d'opérations égoïstes et malhonnêtes, lotissements aménagés à la hâte par un spéculateur uniquement préoccupé de revendre ses terrains avec profit, sans souci des règles et des nécessités les plus élémentaires de l'hygiène et de la voirie, communes suburbaines dont l'extension rapide s'est opérée au petit bonheur sans plan préconçu, sans liaison et sans concordance avec le développement des communes contiguës ».
Par bonheur, le Vésinet, sauvé par son cahier des charges, n'est pas trop atteint. Dès 1930, son Syndicat d'Initiatives, sur lequel peut enfin s'appuyer une municipalité qui ne demande qu'à agir, mais dont l'activité est limitée par la loi, s'est ému. Le problème est quelque peu complexe. Les habitants restants du Parc, sous l'influence de l'ancienne tradition, ne songent qu'à leur tranquillité et paraissent insensibles même à la dépréciation paradoxale de leur bien. Les commerçants, eux, sans s'apercevoir que l'évolution malheureuse du Vésinet créerait un peu partout une concurrence dangereuse, sont plutôt favorables à la multiplication des lotissements. En réalité, chacun constate, subit, et incline vers la solution paresseuse au sujet de laquelle d'ailleurs, il se contente d'épiloguer.
L'action méthodique va commencer et c'est elle qui fait le sujet principal de cet article, malgré un préambule un peu long, mais nécessaire.
Il est indispensable, avant tout, de consacrer l'accord de tous les membres du Comité et de la municipalité sur les idées générales qui régiront l'activité ultérieure du Syndicat.
Pour cela, on rédige une note intitulée :
« Etude sur la situation économique du Vésinet », qui comprend trois parties :
1° Un exposé succinct faisant ressortir le caractère exceptionnel de la beauté de l'endroit, et le fait que cette beauté n'a jamais été copiée et qu'elle ne peut plus l'être.
2° La démonstration de la valeur réelle inégalée des biens particuliers et collectifs de la commune et de la nécessité de provoquer des demandes en face du nombre important des offres qui font baisser la valeur apparente des biens particuliers. Cette démonstration est accompagnée : de quelques commentaires sur la position indépendante du Comité vis-à-vis des propriétaires importants ; ce ne sont pas spécialement fleurs intérêts qu'on veut défendre ; il s'agit de sauver la propriété pour sauver le site ; et de commentaires sur la situation du. commerce local, orienté vers la clientèle aisée, et qui souffre du vide intermittent ou permanent des villas.
3° La nécessité absolue de maintenir et de parfaire les règles qui ont été conçues par les créateurs du Vésinet et qu'ils se sont imposées, allusion au cahier des charges et préparation des esprits à la procédure de classement du parc du Vésinet et aux mesures préparatoires.
La conclusion de cette notice était la suivante :
« En résumé, respect du cahier des charges, procédure à établir par la municipalité pour réglementer les transformations dans l'état de choses existant, accélération de la procédure de classement, voilà les trois premiers points sur lesquels le Comité du Syndicat d'Initiatives doit porter son attention. Mais il est un certain nombre de mesures d'ordre secondaire dont l'adoption est nécessaire.
1° On a vu que, l'une des causes du morcellement ou de la vente dans de mauvaises conditions de certaines propriétés, venait du fait que le Vésinet est mal connu. Il faut donc le faire connaître ; pas par la foule, mais par la clientèle qui a été définie et qu'on veut diriger sur la localité. Il s'agit, donc d'une propagande bien spéciale, visant une clientèle choisie, et n'employant que des moyens particuliers. Cette propagande fera l'objet d'un programme il part.
2° La clientèle étant attirée, il ne faut pas qu'elle soit déçue. D'où la nécessité d'avoir un service d'entretien qui remédie dans un court délai aux désordres qui peuvent se produire. Cette question à fait l'objet de plusieurs discussions au sein du Comité ... Education des habitants eux-mêmes, exécution régulière de leurs contrats par les entreprises qui assurent des services publics, création d'un service peu coûteux de surveillance et de propreté, tout cela peut être fait soit par la municipalité, soit par le Syndicat, soit par les deux travaillant en commun, mais sans retard.
La propreté étant obtenue, on peut, par des mesures simples, maintenir la bonne ordonnance, des parties publiques. Le piquetage qu'a déjà fait exécuter le Syndicat d'Initiatives est, de ce point de vue, une excellente chose. Chose excellente aussi d'améliorer certains sites au moyen de quelques parterres et d'un objet d'art. Et, chose excellente encore, de ne jamais laisser disparaître un arbre sans apporter son remplaçant ».
Tous les termes de cette notice furent approuvés par la municipalité et par le Comité du Syndicat d'Initiatives. On pouvait passer à l'exécution ; le Comité nomma immédiatement une commission de propagande et la chargea d'établir un programme objectif qui fut rapidement rédigé et présenté.
Il était spécifié que cet ouvrage était un programme général enregistrant toutes les mesures qu'il serait souhaitable de prendre, qu'il était le guide pour le travail du Comité qui devrait s'y reporter afin de ne pas perdre de vue les buts particuliers qu'il s'assignait et afin de rechercher toujours les moyens de hâter l'exécution des mesures adéquates. Le programme proposait de faire passer en première urgence, les mesures qui concernaient les biens de la commune. L'action du Comité, dit-il, intéressant chacun des nombreux intérêts particuliers qui composent l'intérêt général, lui permettra de sortir du cercle vicieux : pas de ressources ; conséquence : inaction... Conséquence : pas de ressources. Cela visait, à proprement parler, la propagande.
La propagande était envisagée sous deux formes : propagande intérieure pour les habitants du Vésinet, propagande extérieure.
Pour maintenir et parfaire le statut du Vésinet, on proposait :
– Une étude précise du cahier des charges, de ses lacunes et une recherche des moyens de remédier à celle-ci ;
– L'établissement d'un programme de moyens simples pour hâter la procédure de classement.
Les directeurs des Agences Immobilières, assez nombreuses au Vésinet, furent réunis au siège de leur Association et reçurent les explications les plus claires sur les buts que s'assignait le Comité, et sur les moyens qu'il comptait employer pour atteindre ces buts. Un certain nombre de propriétaires de villas à vendre ou à louer furent visités personnellement et éclairés sur les perspectives d'avenir que l'exécution du programme permettrait d'envisager. L 'application des mesures de détail furent l'objet de conversations fréquentes avec le maire du Vésinet. Le programme fut à son tour approuvé par la municipalité et par le Comité.
La Commission de propagande répartit le travail entre ses membres, et on put constater à ce moment que certaines personnalités du Comité étaient, par leur compétence, particulièrement aptes à jouer un rôle actif dans la vaste tâche qu'on s'efforçait de définir. Il fut facile de constituer deux sous-commissions de trois membres, dont l'action était coordonnée par le président. Chacune des deux sous-commissions reçut des ordres précis et s'engagea à rendre compte de l'exécution dans un délai fixé.
Les mesures suivantes furent prises :
Propagande intérieure :
Chacun des propriétaires et chacun des commerçants reçut une lettre appropriée (deux types de lettres), accompagnant l'envoi de la notice primitive et demandant non pas une adhésion ou une souscription, mais une réponse. Des lettres spéciales furent envoyées aux titulaires de professions libérales et aux directeurs des sociétés locales.
Propagande extérieure :
Le Vésinet étant traversé en ligne droite par la route nationale de Paris à Saint-Germain, on décida d'inciter par des panneaux très visibles, les automobilistes les moins pressés à suivre, dans le parc du Vésinet, un itinéraire jalonné.
Les membres du Comité firent personnellement un grand nombre de démarches auprès des directeurs de journaux ou de revues de Paris et des correspondants de journaux de province et de l'étranger, pour obtenir, soit l'insertion d'un article illustré, soit l'envoi sur place d'un reporter. La cause étant plaidée avec beaucoup de. chaleur, ces démarches furent presque toutes suivies d'effet. Les articles se multiplièrent ; le dossier constitué par ces articles joua un rôle déterminant dans plusieurs cas et en particulier dans les conversations avec les Agences immobilières qui furent très frappées par la publicité que leur faisait gracieusement le Syndicat d'Initiative et dont elles devaient être les premières bénéficiaires, et dans les conversations avec les propriétaires de villas à vendre. Ce sont .ces articles qui permirent de sortir enfin du cercle vicieux auquel il a été fait allusion plus haut et de recueillir les premières souscriptions dont certaines furent importantes, compte tenu de la situation générale et de la situation particulière des souscripteurs.
Déjà à ce moment, le revirement d'opinion est perceptible, la curiosité est éveillée, la sympathie se manifeste, et les démarches auprès des pouvoirs publics pour obtenir les garanties légales supplémentaires vont être, de ce fait singulièrement facilitées.
La double action, propagande extérieure, recherche des souscriptions parmi les habitants peut être menée de front ; on voit approcher le moment où le Syndicat d'Initiatives pourra, grâce à une caisse mieux garnie, préparer l'édition d'une brochure de propagande sans faire appel à la publicité commerciale qui dépare et alourdit ce genre d'imprimés.
Il est à remarquer au surplus que les commerçants locaux qui gardent seulement le souvenir, dans le passé, de velléités publicitaires peu intéressantes, paraissent mal éclairés sur leurs véritables intérêts et sur les dangers réels qui les menacent ; ils se tiennent dans une neutralité à peine bienveillante. On n'insistera pas auprès d'eux.
Pendant ce temps, les deux sous-Commissions ont bien travaillé. Celle qui était chargée de l'étude du classement du site a pu, d'accord avec le maire, entrer en relation avec les conseillers généraux, avec les parlementaires, les hauts fonctionnaires de la préfecture, et avec la Commission départementale des Sites. L'inscription à l'inventaire des sites et monuments naturels prévu par la loi du 2 mai 1930, est en bonne voie ; au moment où paraît cet article, la Commission départementale est à la veille de venir étudier la question sur place.
La sous-commission chargée de l'étude du cahier des charges a, dans un rapport spécial, déterminé la portée exacte du cahier des charges, défini ses lacunes, et proposé les moyens d'y remédier. Son travail sera la base du plan d'aménagement communal que justement la loi du 14 mai prescrit aux maires de Seine-et-Oise d'établir d'urgence.
Le 29 mai 1932, la Commission de propagande peut, dans un rapport général, présenter au Comité du Syndicat d'Initiatives un rapport d'ensemble qui enregistre les résultats obtenus et définit avec facilité les voies à suivre. Le maire assiste en personne à cette intéressante séance et ne ménage pas ses compliments et ses encouragements.
Quelle peut être la conclusion de cet exposé ? On laissera au lecteur le soin de l'établir. On peut cependant affirmer que la présence dans une commune d'un ou de quelques hommes désintéressés et décidés à consacrer une partie de leur temps à l'intérêt général est nécessaire et suffisante pour modifier un destin qui se présentait sous un aspect menaçant. Peut-être aussi faut-il que ces hommes soient bien décidés à ne se laisser décourager ni par l'indifférence, ni par l'hostilité de tous ceux qui, ne faisant rien, critiquent avec facilité...
En modifiant un peu une phrase célèbre, nous dirons qu'il faut espérer beaucoup et toujours pour entreprendre, et qu'on réussit en persévérant.
J. SCHIFFER, Secrétaire général du Syndicat d'Initiatives et de défense du Vésinet.
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Illustrations (photographies de Jean Schiffer) [4]
Le Grand-Lac (à droite, le Palais-rose)
J. Schiffer, Bulletin de la Société pour la protection des paysages de France, 1932
Madame Schiffer dans son jardin (77 rte de Croissy)
J. Schiffer, Bulletin de la Société pour la protection des paysages de France, 1932.
Le Lac Supérieur et villa (Destors arch.)
J. Schiffer, Bulletin de la Société pour la protection des paysages de France, 1932.
La Piste du Tour du Grand-Lac près de la grotte. J. Schiffer, Bulletin de la Société pour la protection des paysages de France, 1932.
"Le petit temple protestant, non loin de deux églises catholiques, est situé
au bord du charmant Lac de Croissy"
Les cannots et les baraques du Cercle des patineurs,
J. Schiffer, Bulletin de la Société pour la protection des paysages de France, 1932.
La Grande pelouse et le plus vieux chêne du Vésinet
J. Schiffer, Bulletin de la Société pour la protection des paysages de France, 1932.
Autres clichés (employés dans divers montages)
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Notes et sources :
[1] Jean Schiffer, Bulletin de la Société pour la protection des paysages de France, Imprimerie Chaix (Paris) 1er juillet 1932.
[2] Ce plan est la première version de la répartition entre les zones denses et les zones pavillonnaires qui feront la substance du plan d'aménagement de 1937. Cette répartition se fondait sur la loi votée le 14 mai 1932 autorisant l’établissement d’un projet d’aménagement de la région parisienne. Cette loi a introduit la notion d’aménagement régional dans le droit public et a également donné une définition géographique de la région parisienne. Pour Le Vésinet, on pouvait y lire : « Il serait désirable que le plan d'aménagement communal [du Vésinet] interdit un morcellement excessif des propriétés et qu'il fît respecter, dans toute la mesure possible, les dispositions originaires du lotissement. La beauté et l'agrément du Vésinet se trouveraient ainsi sauvegardés.» Plus loin, la loi précisait: « Par ailleurs ce plan délimitera à l'intérieur du périmètre d'agglomération [du Vésinet] une zone d'habitations collectives et une zone d'habitations individuelles. La superficie de la première de ces zones ne devrait pas dépasser 40 hectares.» Depuis lors, tous les plans d'Urbanisme du Vésinet s'y sont conformés.
[3] Eugène Marsan, Le Figaro, 19 mai 1932. Il fut le premier, après le vote de la loi mentionnée ci-dessus, à l'associer au cas du Vésinet.
[4] L'article était illustré d'une séries de photographies (dues à Jean Schiffer) qui ont été utilisées dans diverses publications du Syndicat d'Initiatives à la même époque (1932-35), dans la même pagination.
Société d'Histoire du Vésinet,
2024 • www.histoire-vesinet.org