L'Art des Jardins
Etudes théoriques et pratiques sur l'arrangement extérieur des habitations
Suivi d'un essai sur l'Architecture rurale, les Cottages et la restauration pittoresque des anciennes constructions.
Paris, 1863.

Comte de Choulot

L'individu, dans une société comme la nôtre,
ne se juge pas seulement par les apparences personnelles,
mais par l'ordre, la grâce et l'harmonie
qui règnent dans tout ce qui l'entoure.

CHAPITRE XI
(extrait)

Le Vésinet. - Influence utile de l'art. - La lumière. - Parti qu'un artiste intelligent peut en tirer.
- Direction à donner aux routes, aux coulées, pour éviter le trop grand éclat de la lumière et profiter de ses effets.
- Elle sert, à la fois, à la variété et à l'unité.

Les beaux-arts, qui semblent n'avoir pour but que le plaisir des yeux, de charmer l'esprit et d'élever la pensée de ceux qui savent en saisir le côté sérieux, contribuent aux progrès de la civilisation en habituant à l'ordre et en faisant naître, dans l'esprit des populations, le sentiment du beau.
La puissance de l'art ne se montre pas seulement dans les oeuvres des grands maîtres, elle s'insinue dans les métiers les plus humbles et finit par se montrer dans les choses utiles à la vie. Plus d'un ouvrier est devenu artiste, parce qu'une partie quelconque de l'art, s'infiltrant dans son travail, a réveillé en lui des facultés qui l'ont rendu sensible à la forme, aux couleurs et aux rapports des objets entre eux. Plus d'un propriétaire est devenu homme de goût, parce qu'à la longue il a été frappé des proportions, de l'élégance de son habitation et de la beauté du paysage qui l'entourait. Il a été amené par le confortable, résultat de l'ordonnance intelligente et harmonieuse de toutes les parties, à désirer l'agréable réuni à l'utile.
Toutes les classes, à notre époque, demandent, selon leurs moyens, à l'art des jardins les plaisirs purs et simples de la nature: les uns dans les promenades publiques, dont la verdure des gazons, la fraîcheur des eaux et l'ombrage des bois charment les yeux; les autres, plus favorisés de la fortune, veulent ajouter au sentiment de la propriété les jouissances d'un petit jardin qui tend, chaque jour davantage, à se relier avec les jardins de ses voisins, pour composer un ensemble qui devient, pour les yeux, la propriété de chacun.
A peine née, cette nouvelle combinaison a été saisie et largement développée par un de ces hommes doués du rare avantage de l'intelligence des affaires et d'un profond sentiment du beau dans les arts et dans la nature. Heureux de pouvoir fondre, dans un intérêt commun, l'art et l'industrie, M. Pallu avait accepté la tâche délicate de mettre l'art au service de l'industrie, et de couvrir de fleurs et de délicieux ombrages les espérances d'une grande et belle opération financière.
Une compagnie avait acquis le bois du Vésinet, au bas de la terrasse de Saint-Germain, dans une position délicieuse, mais presque inconnue jusque-là. M. Pallu, secondé par le zèle ardent et l'intelligence active de M. Olive, architecte, était chargé des intérêts de cette compagnie et de tirer le plus grand parti possible des mille arpents confiés à sa direction.
Je fus enchanté d'être appelé par M. Pallu à le seconder dans ses projets de transformation. J'avais là une grande page pour appliquer et développer les principes de ma nouvelle méthode, le public pour juge et appréciateur de leurs résultats. Je ne me dissimulais pas les concessions, les sacrifices même que l'art aurait à faire aux exigences fondées d'une entreprise industrielle. Il ne s'agissait pas de faire de l'art pour l'art, mais de tout disposer pour attirer les yeux et faire désirer, à chacun, un petit coin dans ce beau parc, pour planter sa tente sur le bord d'une rivière ou d'un lac, dans une île ou au milieu d'un bois solitaire. Il fallait des scènes pour tous les goûts, des emplacements à portée de toutes les bourses, et disposés de manière à pouvoir répondre aux exigences d'une sage économie comme aux habitudes du luxe et de la fortune.
Telles étaient les conditions de vie de cette entreprise; elles devaient diriger mon travail et mes études.
Ce sont ces études, ces difficultés, vaincues en partie, je crois, à l'aide de ma méthode, et la marche qu'elle me traçait tout naturellement, que je désire placer sous les yeux du lecteur pour le faire assister à la création d'un parc qui renferme, dans son enceinte, la plupart des obstacles et des éléments du beau qu'on ne rencontre qu'isolément ailleurs dans des tableaux d'une moindre étendue.
Comment peindre, avec des expressions rebelles, toutes les beautés qui entourent le Vésinet, ces maisons de campagne, ces rampes, ces terrasses, magnifiques décorations qui montent en amphithéâtre des rivages du fleuve jusqu'au sommet de la colline, où se groupent les maisons de la ville de Saint-Germain surmontées de la masse sombre de son château historique, mêlant aux espérances, pleines de vie et d'activité, du présent, les souvenirs mélancoliques du passé?
Comment décrire ces collines pittoresques se courbant mollement, s'enfonçant dans l'ombre ou se rapprochant de l'éclat du jour, comme pour faire embrasser, d'un seul coup d'oeil, aux habitants privilégiés du Vésinet, tous les effets des nuances variées de l'ombre et des gradations harmonieuses de la lumière? Comment faire voir ces charmantes habitations avec leurs bois touffus, posées sur de verts gazons ou attachées aux flancs de pentes abruptes, ces villages, ces clochers au milieu des arbres, et le faite de ces collines couronné de forêts et de l'aqueduc, découpé à jour sur le ciel, qui prête à ces scènes pittoresques l'aspect grandiose d'un paysage italien?
Ce n'est certes pas pour le plaisir de décrire que j'entasse tous ces mots insuffisants; mais, me conformant aux principes de ma méthode, je m'efforce de placer devant vous ce tout fondamental auquel je dois relier la partie qui m'est confiée.
Après avoir parcouru l'intérieur du Vésinet, reconnu les pentes du terrain, ses différentes expositions; enfin, après avoir étudié les éléments que contenait la partie à transformer et à relier au tout magnifique qui l'entoure, l'artiste devait se pénétrer des scènes extérieures pour les faire entrer dans la composition de ses tableaux, par parties isolées ou réunies, selon la largeur de ses coulées et l'importance qu'il voulait donner à ses points de vue.

La direction des coulées, ou prairies, ouvertes dans l'intérieur du bois, par conséquent bordées d'arbres à droite et à gauche, devait conduire l'oeil du dessinateur sur les collines où il n'eût eu que l'embarras du choix s'il n'avait dû tenir compte, pour ses routes comme pour ses coulées, du cours du soleil qui crée, à certaines heures de la journée, et pour certains aspects, des ténèbres éblouissantes de lumière qui dérobent aux yeux les tableaux qu'on a devant soi. Ce n'est donc que par une marche oblique, par rapport au soleil, que les routes et les coulées doivent s'avancer dans la direction des objets intéressants à voir. Partout où cette observation n'est pas prise en considération, les inconvénients s'en font désagréablement sentir. Je le demande aux piétons et aux cavaliers qui se rendent au bois de Boulogne, aux heures où les flots d'une lumière éblouissante inondent la route de l'impératrice, d'ailleurs si belle et si majestueuse! Les objets ne sont perceptibles qu'à droite et à gauche; en face, c'est une espèce de vapeur flamboyante qui aveugle. C'est à l'expérience du dessinateur de tourner ces obstacles, ou d'en diminuer au moins les inconvénients.
Dans les plans du Vésinet, la grande coulée, celle partant du grand lac qui reste à faire, s'inclinait, pour cette raison, d'abord un peu à droite, vers Saint-Germain, et ensuite à gauche, où les yeux rencontraient l'ombre des bois pour se reposer des éclats de la lumière: il en est de même des routes découvertes: quant aux rivières, leurs effets étant intérieurs et ne pouvant acquérir de la grandeur qu'en se séparant du tout dont l'étendue les eût amaigries, elles cherchent, autant que possible, l'ombre des arbres et la fraîcheur des bois: quelques cascadelles en diversifient les aspects et donnent du mouvement à ces parties pittoresques recherchées du public.
C'est vraiment un beau spectacle que de voir, à la suite d'un concert donné en plein air, sous les grands arbres du Vésinet, trois ou quatre mille personnes se séparer, fourmiller sur les pelouses, se répandre dans les routes ou suivre le bord des eaux tranquilles bondissantes.
Jusqu'à présent on s'est peu préoccupé, dans les promenades publiques ou dans les parcs des particuliers, de pouvoir bien voir, c'est-à-dire de diriger les routes et les coulées de manière que la lumière en interceptât, le moins possible, le parcours aux yeux. En se préoccupant de ces difficultés, en cherchant, pour ainsi dire, des garde-vue, dans la position étudiée des massifs, des groupes d'arbres, des mouvements de terrain même, savamment combinés, non-seulement on parvient à apercevoir les objets que l'éclat du soleil eût dérobés aux regards, mais on les voit avec des contrastes d'ombre, des teintes de lumière variées ou à travers une magie de clair-obscur qui forcent le promeneur à s'arrêter et à admirer.
Qui n'a pas éprouvé le besoin, dans ses promenades, de franchir ces nappes éclatantes pour gagner rapidement les ombrages propices aux effets que nous venons d'indiquer? Dans ces difficultés vaincues, l'artiste trouve le moyen de varier à l'infini l'aspect de ses tableaux sous l'influence de l'ombre et de la lumière habilement fondues, combinées, il enrichit son paysage, l'anime et le féconde, en quelque sorte, par le concours de ces deux puissants auxiliaires. Ainsi divisée, la lumière est comme un torrent impétueux qui eût tout inondé, si une main prévoyante n'eût préparé des digues qui le contraignent à séparer ses eaux et à porter la fertilité et l'abondance dans les lieux qu'il eût ravagés.
L'étude de la lumière et de ses effets, dont on s'est peu préoccupé dans la création des parcs, l'étude de la lumière est un des moyens les plus riches et les plus féconds pour animer et varier à l'infini les tableaux qu'on veut obtenir: elle transforme les objets en leur donnant du relief; elle fait valoir non-seulement la forme des ombres et des massifs par des contrastes d'ombre et de clarté, mais elle ajoute à l'éclat des fleurs, à la transparence du feuillage ces mille nuances qui charment les yeux, que l'âme sent comme une des grandes harmonies de la nature, mais qu'il est impossible de décrire.

Qu'un rayon de lumière vienne à pénétrer dans le cachot le plus affreux, soudain le malheureux qui l'habite se soulève sur son grabat; il lui donne la bienvenue en lui tendant les bras; des milliers d'atomes animés se jouent dans le rayon qui porte la lumière et la vie dans ce tombeau, un instant auparavant séjour glacé de l'obscurité et du silence. Voilà un de ces miracles de la lumière! Vous vous dites artiste et ne l'invoquez pas dans vos travaux! vous voulez imiter la nature, et, au lieu de l'étudier, vous préférez marcher dans la nuit, au hasard, sans vous éclairer de son flambeau! et vous mêlez, vous confondez ses effets sans vous rendre compte de l'harmonie qu'ils peuvent produire!
Qu'on me permette un autre exemple, pour prouver, une fois de plus, le parti qu'on peut, qu'on doit tirer de la lumière.
Un jour, je m'étais mis à la recherche des éléments dont j'avais besoin pour composer quelques scènes propres à embellir un terrain que je m'étais chargé de transformer. Je me trouvai tout à coup, et sans m'en douter, en face d'une masse sombre de buissons et de grands arbres qui enveloppaient, d'une ombre impénétrable aux rayons du soleil, un petit moulin et l'eau d'un petit bief qui tombait, par intervalle, sur les palettes d'une roue humide et cou verte de mousse. Un réaliste eût aussitôt saisi ses crayons et rendu la nature telle qu'elle se présentait; pour moi, il manquait à cette jolie scène un rayon de lumière. Je m'étudiai à faire arriver ce rayon vivifiant. J'amenai là le propriétaire sa famille, qui voulait assister à ce changement de décoration à vue, le suivit.
Nous fimes abattre quelques arbres dans l'intérieur du fourré; aussitôt la lumière se précipita dans le passage qui lui était ouvert: elle illumina une partie du pignon, la porte d'entrée, et ombra quelques pierres en saillies; elle se refléta dans l'eau, et en gris argenté sur l'écorce de deux ou trois vieux saules dont les crevasses d'un jaune bistré brillaient comme du métal. L'eau projetée par la roue du moulin retombait en gouttes de rosée étincelantes en traversant les rayons du soleil. La mousse, noire avant notre abatis, qui pendait en lambeaux à la roue et tapissait de grosses pierres baignées par le ruisseau, éclatait maintenant de toutes les nuances de l'émeraude. Les couleurs étaient vives et fortement tranchées c'était une lutte entre l'ombre pure des fonds et le rayon lumineux du devant l'ombre semblait vouloir éteindre la lumière, et la lumière envahir cette espèce d'antre ténébreux.
Voilà la scène qu'on peut obtenir en abattant ou plantant à propos quelques arbres, en cherchant à exprimer ce beau idéal qui fait naître dans l'âme de l'artiste les éléments que présente la nature. Continuons notre promenade à travers le Vésinet. Il ne fallait, dans les scènes à créer, rien de petit, rien de contourné la hardiesse des courbes, l'ampleur des coulées, devaient répondre au grandiose de l'ensemble; partout où c'était possible, il fallait livrer passage aux points de vue de l'extérieur, procéder par grandes masses d'ombre et de lumière, et créer des scènes intérieures là où l'oeil ne pouvait pénétrer jusqu'à l'horizon des collines. Des lacs, des rivières, de vastes prairies, nues ou parsemées de grands arbres, de puissants groupes d'arbres verts contrastant avec la couleur des chênes et des bouleaux, les festonnages pittoresques des lignes de faîte des bois, parfois trop uniformes, obtenus par des abatis exécutés avec intelligence et précautions, tels étaient les moyens offerts à l'artiste pour faire entrer, dans une harmonie générale, les teintes vaporeuses des lointains, les effets, plus rapprochés, des collines et les tons changeants d'un ciel pur ou chargé de nuages.
C'est surtout dans les scènes intérieures d'un parc qu'il faut multiplier les effets d'ombre et de lumière, en évitant le papillotage; c'est un puissant moyen de variété et d'expression. Enfoncez-vous dans une route courbe, ombrée uniformément: si elle se prolonge, elle finit par vous paraître monotone, sans même porter dans l'âme cette douce rêverie qui naît de l'uniformité infinie de la ligne droite. Si, au contraire, quelques rayons de soleil, filtrant à travers les arbres, la traversent, ils laissent, en passant sur le sable, des traits lumineux qui la vivifient; ils font découvrir, dans l'épaisseur des bois, des profondeurs mystérieuses qui attirent curieusement vos regards.
Dans mes études sur le Vésinet, je n'avais négligé aucun de ces moyens : tous n'ont pu être employés, mais, pour un oeil exercé, l'intention en est marquée par la direction des coulées et par la courbe des routes principales. Quand les procédés d'un art ne sont pas soumis à des règles et à des principes reconnus, l'exécution, incertaine dans sa marche, laisse entrevoir les doutes et les tâtonnements de l'artiste: produits par le hasard, les effets sont isolés, sans aucun rapport qui puisse les faire concourir à un ensemble préparé et conçu dans la pensée du dessinateur.
L'eau manquait au Vésinet, elle y abonde aujourd'hui; elle se répand en lac, en rivières, et fournit aux besoins journaliers de toutes les habitations en portant la fraîcheur et la fertilité dans les petits jardins qui les entourent. Les arbustes de toute sorte, les arbres s'y développent avec vigueur, remplissent les vides qu'avaient nécessités les constructions; bientôt leur feuillage cachera les murs de clôture, trop multipliés; ces murs font tache, pour le moment, au milieu du vaste et harmonieux paysage. Ce qui prouve combien l'art des jardins est peu compris encore, c'est qu'aucun de ces petits enclos ne se relie au grand parc dont ils font partie. Là, oh! quelques massifs de fleurs, un vert gazon eussent suffi, avec quelques groupes d'arbres, encadrant une perspective lointaine ou une vue intérieure, le propriétaire a maladroitement multiplié les massifs, les sentiers tortueux, comme pour empêcher son petit terrain de grandir en se reliant, en se fondant harmonieusement dans le grand ensemble qui l'enveloppe.
Mais ce manque de goût, de convenance et d'harmonie n'est préjudiciable qu'au propriétaire il ne projette rien à l'extérieur qui puisse nuire à l'effet grandiose des masses du Vésinet et des riches tableaux qui en font l'ornement.
Mieux vu et mieux compris, le parc du Vésinet deviendra le séjour délicieux des hommes qui, fatigués des bruits de Paris et des préoccupations du travail, aspirent après le calme et le repos de la campagne, sans les ennuis de l'entretien coûteux des eaux, des gazons et des promenades. Chaque matin, l'heureux habitant d'une de ces maisons, en ouvrant sa fenêtre, verra le soleil rayonner sur ses pelouses, sur ses routes dont le désordre aura été réparé pendant son sommeil, et la lumière s'enfoncer sous les ombrages de ses bois; là, tout est à chacun et à tous, l'entretien seul est à la compagnie, qui y apporte tous ses soins. Certes voilà un luxe champêtre à bon marché; des avantages offerts à l'aisance modeste comme à la fortune : le chalet, le cottage, la villa aussi bien que le château, ont là leur place marquée. Jusqu'à présent, à part quelques exceptions, le goût a peu présidé à ces constructions: mais le goût s'épure avec le temps, et les nouveaux propriétaires y élèveront des constructions où les défauts des premières seront évités et serviront à la perfection des nouvelles.
Nous avons fait connaître quelques-unes des causes qui s'opposent aux progrès de l'art des jardins; mais celle sur laquelle nous n'avons pas assez insisté, et qui a été signalée depuis longtemps par les hommes les plus compétents, c'est "la qualification, fort impropre, dit Walter Scott, de jardinier, donnée à ceux qui le cultivent, et que nous-même, faute d'autres, nous avons été obligé d'employer dans le cours de cet article. Il est résulté de cela que beaucoup d'individus, dont le savoir-faire ne s'élevait pas au-dessus de celui d'un bon jardinier ordinaire, ont cru qu'ils pouvaient dessiner des parcs... " (Revue britannique, année 1829.) A part quelques exceptions, c'est de notre temps comme de celui de Walter Scott; l'art est donc resté dans l'estime des propriétaires à la hauteur du jardinier qu'ils ont l'habitude d'employer et de rétribuer comme un ouvrier, c'est-à-dire que, pour le plus grand nombre, l'art est demeuré un métier. Dans cet état de choses, il est difficile que l'art grandisse, que le propriétaire intelligent soit satisfait, et que l'artiste véritable puisse acquérir l'importance qui est due à ses efforts et à ses études.
Pour répondre au besoin d'instruction réclamé par les jeunes gens se destinant à l'art des jardins, il faudrait des cours spéciaux d'enseignement, afin de les mettre à même d'étudier et d'apprendre tout ce qui est indispensable à la composition d'un parc. Il ne suffit pas d'indiquer des règles et des principes il faut encore faire comprendre la nécessité de leur application, et que des maîtres habiles repoussent par d'utiles exemples l'influence funeste de la manière de procéder à laquelle sont forcés de participer les élèves qui se consacrent à l'art des jardins. A la place d'un plan banal, de la routine et du hasard, il faut leur faire comprendre l'utilité et la certitude des principes puisés dans la nature.
En définitive, le propriétaire croit en savoir autant que son jardinier, et souvent il a raison ; le jardinier, chez qui l'ouvrage abonde, s'en tient à ce qu'il sait et l'art reste stationnaire. Cependant quelques jeunes gens, comprenant qu'un art, quel qu'il soit, doit avoir des règles, des principes, se sont rapprochés de notre méthode et nous ont demandé des conseils. Nous nous sommes fait un devoir de répondre à leurs désirs et de seconder leurs efforts intelligents. Nous leur avons conseillé les études sérieuses que tout art exige; et, pour les initier plus facilement aux secrets d'une théorie rationnelle, nous leur avons ouvert les voies de la pratique, en les associant à nos propres travaux. Nous sommes heureux de pouvoir en citer qui, bientôt, seront en état de nons remplacer; ils sauront s'inspirer des éléments du beau que renferme la localité, et trouver dans la nature des moyens économiques d'exécution que l'imagination ne fournit, le plus souvent, que par des transformations dont les résultats sont loin de répondre à la dépense qu'elles ont exigée. M. Étienne Fricaud, jeune homme intelligent et aimant l'art qu'il a embrassé, marche avec succès dans les voies que nous lui avons ouvertes; nous espérons le voir un jour servir d'exemple et d'encouragement aux jeunes gens qui, comme lui, auront compris que l'art des jardins, pour tendre à la perfection, veut des artistes instruits, et surtout aimant l'art pour lui-même. Alors nous aurons accompli notre tâche et fait une chose utile; l'art entrera dans la voie du progrès artistes et propriétaires comprendront que l'art des jardins n'est pas un métier, mais un art véritable.

© Société d'Histoire du Vésinet, 2003 - http://www.histoire-vesinet.org