Le Matin, journal républicain indépendant - 13 septembre 1906 (Numéro 8236).

Georges Clemenceau visite l'Asile national du Vésinet

M. le ministre de l'intérieur est infatigable et tient à se rendre compte par lui-même du régime des asiles et des prisons.
Après avoir inspecté successivement le Dépôt, Saint-Lazare, et, tout récemment, la maison centrale de Fresnes, M. Clemenceau décidait hier d'examiner en détail l'asile national du Vésinet.
On aura deviné sans doute quelles raisons déterminèrent sa visite. Très justement, ému par nos récentes révélations sur l'organisation intérieure et le régime de cet asile, décidé, s'il était nécessaire, à remédier aux irrégularités que nous signalions, M. Clemenceau tenait à les vérifier par lui-même et à réformer au besoin.

Il est arrivé, hier matin [12 septembre 1906] au Vésinet, en automobile, presque incognito, accompagné du sous-chef adjoint de son cabinet, M. Fontin. Et sa visite était tellement inopinée que, dès qu'il eut franchi la grille d'entrée de l'asile, pour traverser les vastes jardins, un garçon de service, tout essoufflé, ne put que prévenir à la hâte M. Gros, directeur de l'asile, car M. Gros, accompagné d'un inspecteur général des services administratifs, M. Roudil, faisait déjà une visite matinale à travers l'établissement.
L'inspection ministérielle immédiatement commença. M. Clemenceau, très intéressé, examinait à droite et à gauche, demandait, pour se mieux renseigner, de fréquentes explications.
Il fit sa première entrée dans la salle du réfectoire. Quatre cents convalescentes environ y prenaient à ce moment leur repas.

M. le ministre se pencha fort aimablement vers les femmes et vers les plats, posa quelques questions, prit un morceau de pain qu'il rompit, le goûta et s'en déclara satisfait. Puis vint le tour des cuisines, où quatre cuisiniers, la cuiller ou la pelle à la main, esquissèrent autour de leurs fourneaux le mouvement de porter les armes. M. Clemenceau sourit. Il s'était fait donner par l'un des officiants une énorme pique à pot et la plongeait d'un geste assuré dans la plus vaste des marmites. Il la retira. Au bout de cette pique, un morceau de viande apparut. M. le ministre la déclara de belle apparence et ne manqua pas de s'extasier sur les qualités d'une sauce tomate qu'on était précisément en train de confectionner. Le menu de la semaine, appendu au mur, attirait justement son attention. Il ne put s'empêcher de reconnaître que, le jour où un ministre visitait inopinément l'asile, ce menu était scrupuleusement observé.
Puis le tour du ministre continua. Infirmerie, ouvroir, promenoir, salle de lecture et de jeux, galerie, dortoir, furent successivement et minutieusement visités.
Quelques heureuses transformations s'étant sans doute opérées depuis nos révélations, M. le Ministre trouvait tout en bon ordre, propre et luisant, pimpant, coquet.
Les services de propreté et d'hygiène étaient pour le mieux ; tout respirait le charme et le confort, et le parc lui-même, se mettant de la partie, comme pour honnorer et remercier le ministre, lui dépêchait sur les ailes du vent ses plus douces senteurs.
M. le ministre, après avoir tout vu, tout examiné, n'a retenu qu'un point, un point noir. Car ce point a son importance, et c'est celui-là surtout que nous avions, nous aussi, retenu et signalé. Il s'agit de la promiscuité forcée entre convalescentes vivant d'une vie commune, promiscuité que nous avons déplorée.
M. Clemenceau s'est réservé sur cette question capitale ; il a promis de l'étudier avec une attention toute particulière ; il semble qu'il se soit déjà résolu à une mesure radicale et, disons-le, très justifiée : l'isolement complet des femmes de moralité douteuse et de la solutionner, à bref délai, au mieux de l'intérêt des malades et des bonnes mœurs tout à la fois.
La visite était terminée. Et M. Clemenceau, vers onze heures, remontant en automobile, reprenait le chemin de Paris et de son ministère.

 


Société d'Histoire du Vésinet, 2011 - www.histoire-vesinet.org