Bulletin municipal, n°10 p.27, Septembre 1968

A chacun ses opinions...

A la mort d'Alphonse Pallu, en 1880, Le Vésinet était déjà devenu une commune résidentielle très recherchée et les efforts de celui qui s'était révélé un remarquable précurseur de l'Urbanisme avaient été couronnés par le succès et par l'afflux des acquéreurs. Cette réussite devait, bien entendu, susciter des jalousies.
Voici l'une d'entre elles qui émane d'un certain Louis
Barron, auteur d'un ouvrage intitulé : Les Environs de Paris. [1]

L'avenue Princesse [sic], bordée tout le long de villas opulentes traverse, dans sa plus grande largeur, le Parc du VESINET, plate agglomération de villas dénuées de fantaisie, rangées le long d'avenues caillouteuses et sans ombre, d'une monotonie pénible. On l'a vainement agrémentée de rivières sinueuses et de lacs qui ne parviennent pas à rafraîchir l'atmosphère, ne désaltèrent même pas les arbres, de ponts rustiques qui ne servent à personne ni à rien, ville d'îles boisées, de rochers ridicules, de toutes sortes de joujoux plus ou moins ingénieux. Partout la nature rebelle a déçu l'espoir et les efforts des ingénieurs de ce parc ennuyeux et morne.

Le village est un groupe de maisons parfaitement banales, alignées en des rues larges qui se coupent à angles droits. Il est tout blanc, tout neuf et fait bailler. Il peut avoir 14 ou 15 cents ermites voués à l'expiation de péchés commis sous des cieux moins tristes. Le marché couvert occupe une place carrée, l'église une autre place carrée ornée d'une fontaine en composition. L'église construite en fonte et béton aggloméré industriellement est vaste et d'un style indéfinissable, byzantin et roman, mauresque et gothique comme on voudra, et peinturlurée, agencée de telle façon que le clocher supprimé, on en pourra très bien faire, ce nous semble, une succursale du magasin du Printemps...
Oh, triomphe de l'utilitarisme
.
Au-dessus du village s'étend la partie la plus intéressante du parc : le champ de courses, le grand lac, le petit lac de Montesson [2] et le petit lac du Pecq. Le grand lac consiste en une rivière, de moyenne largeur, environnant une île défendue sur les bords, de rochers dont les enfants enjambent l'entassement, figurant des cascades et il s'en échappe de minces filets d'eau. La piste de l'hippodrome suit le tour du lac. Les amateurs du sport hippique, comme les promeneurs du parc, cherchent un abri contre les coups de soleil que les arbres maigres et rares leur refusent impitoyablement. Le gazon même meurt de soif et jaunit à vue d'oeil.

Unique illustration (par Gustave Fraipont) consacrée au Vésinet dans l'ouvrage de Louis Barron "Les Environs de Paris", 1886

Pour comprendre ce jugement plutôt discordant, il est nécessaire de mieux connaître la personnalité de son auteur :

Louis Benjamin Barron (1847-1914).

Son père, Pierre-Benjamin Barron, était un ex-brigadier fourrier de la Garde municipale. Sa mère était blanchisseuse. Enfant de troupe aux grenadiers de la garde impériale, Louis Barron s'engagea en 1864, devint sergent en 1868 puis, cassé de son grade, il quitta l'armée l'année suivante.
Il reprit du service à la déclaration de guerre en 1870. Il gagna Paris en avril 1871 pour « voir une révolution sociale, la révolution rêvée attendue souhaitée par la jeunesse ardente et pauvre de ma génération, pendant les années fiévreuses de la fin de l'Empire. » Il fut secrétaire de la délégation à la Guerre sous la Commune de Paris (cliché).

Il prit aussi part à la Commune de Paris en 1871, comme officier d'état-major fédéré. Il se battit courageusement et fut fait prisonnier à Montmartre. Après la défaite, il fut renvoyé sur les pontons puis bénéficia d'un non-lieu mais, de nouveau arrêté quelques années plus tard, il fut envoyé en Nouvelle Calédonie jusqu'à l'amnistie.
De retour en France, il devint journaliste et publia beaucoup sur la Commune, la déportation, l'exil à Nouméa où il avait été l'éditeur d'un périodique : Le Parisien hebdomadaire. On lui doit surtout de nombreux ouvrages géographiques : Paris étrange (1883), Les Environs de Paris (1886), Autour de Paris (1891), Le Nouveau Voyage de France (1899), et puis Les fleuves de France (1889-1893) en cinq volumes. Ces ouvrages, souvent richement illustrés, sont encore recherchés par les collectionneurs.
Louis Barron est décédé en juin 1914 à Saint-Maurice (Seine).

***

    Notes complémentaires

    [1] Louis Barron, Les Environs de Paris, Quantin (Paris) 1886.

    [2] Il y a là, sans doute, une confusion. Le lac de Montesson, prévu sur les premiers projets de Choulot (avant 1860) et qui devait être creusé vers l'extrémité nord de la pelouse de La Borde, n'a jamais été réalisé. Aucun lac n'a porté le nom de Lac de Montesson.


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