Notre Vésinet, Syndicat d'Initiative et de Défense du Site, 1964.

URBANISME AU VESINET : PERSPECTIVES

Philippe BIGOT [1],
Architecte des Bâtiments Civils et Palais Nationaux

Un enfant du Vésinet qui a vu croître la cité heureuse et calme de son enfance ne peut, au milieu de ses souvenirs, se cacher d'une certaine appréhension en constatant que l'avenir et éventuellement la défense du Vésinet dépendent aujourd'hui d'un contexte : ce développement précipité et incohérent de la Région Parisienne.
Il faut être lucide, vingt ans ont suffi pour défigurer l'Ile de France.
Pour avoir cédé aux spéculations et accepté toutes les facilités, pour ne pas avoir osé s'attaquer au vrai problème qui est la reconstruction de cette lèpre de la proche banlieue de Paris, pour ne pas avoir entamé une déconcentration nécessaire, notre génération aura-t-elle le privilège de parachever la destruction de nos plus beaux sites ?
Dans vingt ans le nombre des logements dans la Région Parisienne devra avoir doublé car les besoins l'exigent.
Le Vésinet sera-t-il alors, au rang des souvenirs, englouti comme Neuilly et les anciens villages de Paris qu'étaient Passy, Auteuil?
Il faut choisir aujourd'hui, mais ce choix sera conscient de la tâche générale qui est à accomplir et exprimé en termes d'avenir.
Il ne suffit pas de défendre une façon de vivre, que notre époque risque de rendre anachronique, ni une façon d'habiter car la lutte que se livrent les partisans de l'habitat individuel et ceux de l'habitat collectif est vaine et théorique. Il s'agit encore moins de défendre des privilèges.
Le Vésinet, dans son principe même, est urbanisé depuis sa création. Il est sur ce plan une rare réussite et tout a concouru, dans sa conception, son tracé, son équipement à lui donner une vocation: celle de l'habitat individuel. Elle s'exprime par l'échelle de ses différents éléments, par la largeur des voies, le dessin de leurs courbes, l'harmonie simple des perspectives, le volume des plantations, la proportion entre les zones commerciales et l'ensemble de la cité, qui en font un véritable parc d'habitation.
C'est avant tout une oeuvre d'urbanisme qu'il s'agit de défendre, celle d'un site créé par l'homme et qui reste exceptionnelle, au remarquable dessin. Modifier son caractère, en changer les proportions serait une erreur fatale lorsque tout reste à créer entre la boucle de la Seine et la capitale.
S'opposer à toute extension des zones commerciales semble le premier point d'une défense nécessaire. Le Bulletin du Syndicat d'Initiative a, le premier, souligné les faiblesses d'un règlement qui omettait de fixer la densité de ces zones et esquissé le but à atteindre: que ces secteurs, tout en assurant les besoins collectifs, la circulation et les parkings d'une population plus, nombreuse deviennent des centres verts et ne prennent pas l'aspect de ces agglomérations denses et congestionnées.
La réalisation est rendue possible par l'état actuel de la périphérie de ces zones: il suffit sans doute de fixer une faible densité et une faible hauteur des constructions pour atteindre au résultat sans s'embarrasser d'un règlement complexe et inapplicable par sa complexité même. Il s'agit moins de marchander tel recul, tel prospect, ou quelques centimètres sur la hauteur d'une corniche, que de vouloir des arbres, des pelouses, des cheminements de piétons, des espaces et des perspectives autres que celles des rues.
Dans leur centre, et dans celui du "Village" en particulier, seule une étude de détail doit permettre d'atteindre le but. Il faudra une oeuvre commune, acceptée de tous, beaucoup plus proche des méthodes de rénovation urbaine que d'un règlement de voirie.
La vocation individuelle des autres zones étant acquise par postulat, un seul danger semble les menacer: le morcellement intensif des propriétés les plus grandes, entraînant la disparition des arbres, et la construction d'habitations disparates aux volumes trop importants.
Un règlement portant uniquement sur des zones non oedificandi est insuffisant à cet égard, il est essentiel que la surface et le volume bâti soient proportionnels à la surface du terrain, et les dangers signalés seraient sans doute conjurés, si l'autorisation de morcellement était liée à un plan-masse rigoureux et dont toutes les servitudes seraient imposées aux constructeurs éventuels.
Choisir Le Vésinet et le défendre, c'est avant tout accepter une discipline qu'aucun texte ne peut exprimer complètement, car un urbanisme vrai se fait sur le terrain, en fonction de sa conformité, de son orientation, de ses plantations, de son voisinage ou de ses vues.
Aucun règlement, nous semble-t-il, ne peut donner totalement satisfaction s'il est appliqué sur plans, loin du réel, dans le vase clos des bureaux ministériels. Quel texte peut éviter la confusion des styles, l'opposition désastreuse des matériaux, le voisinage de la médiocrité et de la prétention troublant et faisant oublier des réussites incontestées.
Puisqu'il s'agit d'un site à défendre, il ne peut, à notre avis, être protégé que par des hommes de goût et de compétence, qui par leurs avis sollicités et par le pouvoir qui serait donné à leur assemblée, prendraient en main le destin de notre cité, dans le respect de sa création.
Souhaitons qu'il ne soit pas trop tard et que Le Vésinet ne succombe pas aux effets conjugués de la spéculation et de l'incohérence.

    [1] Président Honoraire du Syndicat d'Initiative et Défense du Site.
         Ce texte a été rédigé à l'occasion de l'élaboration d'un règlement d'Urbanisme, en avril 1964.

     

Société d'Histoire du Vésinet, 2010- www.histoire-vesinet.org