De la signification du mot "Forêt" à l'époque franque, par Ch. Petit-Dutaillis, Bibliothèque de l'École des Chartes, LXXVI, 1915 Le Vézinet, un bois ou une Forêt ? Il est bon de se souvenir que le mot forêt n'apparaît pas dans les textes authentiques avant le dernier siècle de l'âge mérovingien. Nous avons des diplômes authentiques de Pépin, de Charlemagne, et de Louis-le-Pieux, où silva et forestis sont encore employés comme synonymes, ainsi qu'ils l'étaient dans certains textes mérovingiens. Le rédacteur se sert indistinctement des deux termes. Voici, par exemple, un diplôme (1) de 768, par lequel Pépin donne à la basilique de Saint-Denis tout ce qui lui reste de sa Forêt d'Iveline, avec les manses, maisons, bois, vignes, champs, pâturages, cours d'eau, serfs, troupeaux, gibiers divers (diversa feraminum genera seu) et forestiers (et forestarios). Coignières, Ouerre, le Vésinet, Orsonville, Briis-sous-Forge, Aigremont, etc..., y sont compris. Ce territoire est appelé trois fois forestis et deux fois silva. Dans un diplôme de 774 pour la même abbaye, Charlemagne donne, avec la pêche et la chasse aux oiseaux, une silvae, qu’il qualifie ensuite de marcas et confinia et qu’il détache (ex foreste nostra superius nominata), c’est-à-dire ex marca fisco nostro Quuniugishaim (Kinzheim). Forestis a évidemment encore ici le sens de territoire en partie boisé (2). En 774 toujours, Charlemagne donne au monastère de Bobbio le domaine de Montelungo, comprenant une exploitation agricole et une "Forêt". Celle-ci est appelée tantôt silva, tantôt forestis. Un diplôme de 797 pour Saint-Riquier nous apprend que ce n'est pas seulement dans les documents officiels, mais aussi dans le parler vulgaire, qu'on emploie le mot "Forêt" pour désigner une étendue boisée : la forêt de Crécy y est qualifiée de silva quae vocatur Forestis. Nous retrouvons les mêmes rapprochements de mots dans des actes privés en 816. Eric et Ermenfrid vendent à l'évêque de Cologne deux portions d'une forestis qui est nommée aussi silva, et, en 830, Wolfsinte cède au monastère de Wissembourg silvam que dicitur Berengeresforst. Avant le règne de Charles le Chauve, je ne connais que deux diplômes carolingiens où le mot forestis prenne nettement le sens de chasse ou pêche gardée. Dans le premier, le 26 mars 800, Charlemagne permet à l’abbé et aux religieux de Saint-Bertin de faire chasser leurs hommes dans leurs propres bois, in eorum proprias silvas, afin qu’ils puissent se procurer les peaux et cuirs nécessaires à la fabrication des gants, des ceintures et des reliures; il ajoute: "Réserve faite de nos Forêts que nous avons constituées à notre usage" (salvas ,forestes nostras, quas ad opus nostrum eonstitutas habemus). Ce texte est important à tous égards. Forestis ne peut avoir ici que le sens de chasse gardée, constituée pour les besoins de l’empereur; et il est à remarquer que la forestis impériale s’oppose aux silvae où les religieux ont la permission de faire chasser. D’autre part, il est très intéressant de voir quelle importance nouvelle est attachée à l’exercice du droit de chasse. On ne peut interpréter la démarche des religieux en disant que, ayant défense, comme hommes d’église, de se livrer à ce sport, ils devaient demander une autorisation: il est spécifié que ce sont leurs hommes qui poursuivent le gibier, pour avoir du cuir et des peaux. Pourquoi, dès lors, ont-ils besoin de la permission de l’empereur ? il n’y a que deux explications possibles. Ou bien Charlemagne, partout où il le pouvait, et notamment dans les terres d’église, s’attribuait le droit de permettre ou d’interdire la chasse et de se réserver le gros gibier, prétention bien naturelle, si elle s’appliquait à des bois donnés autrefois par un roi. Ou bien la poursuite des animaux nobles était interdite dans le voisinage des forestis impériales, comme elle le sera au moyen âge dans les environs des grandes chasses capétiennes ou dans le "purlieu" anglais. [1] Diplom. Karol., éd. Eng. Mühlbacher, T1(28) p 39-40 [2] ibid ,T1(84) p. 121-122 [3] On retiendra que jusqu'à la fin du Moyen Age, on désigne par le mot forêt des territoires boisés inexploités où on ne s'aventure pas tandis que le bois désigne une parcelle qui est exploitée et donc fréquentée. Cet article montre que de nombreuses sources restent à explorer
Société d'Histoire du Vésinet, 2008 - www.histoire-vesinet.org |