Grand dictionnaire universel du XIXe siècle (suppl.), vol.16 (1877) et notes additionnelles.

Bouchet, Brutus Paul Émile

Emile Bouchet (1840*1915)Homme politique français, né à Embrun (Hautes-Alpes) en 1840. Reçu licencié à Paris, il se fit inscrire comme avocat d'abord dans sa ville natale, puis à Marseille [1].
Chaud partisan de la République, M. Bouchet prit une part active au mouvement électoral de Marseille en 1869 et contribua à l'élection de M. Gambetta. Après la révolution du 4 septembre, il fut nommé substitut du procureur de la république à Marseille. S'étant démis de ses fonctions le 23 mars 1871, il fut arrêté peu après sous l'inculpation d'avoir pris part à l'insurrection communaliste. Après trois mois de prison préventive, il passa devant un conseil de guerre qui l'acquitta. Au mois d'octobre suivant, les électeurs du 5e canton de Marseille le nommèrent membre du conseil général où il vota avec les radicaux.
Des élections partielles ayant eu lieu dans les Bouches-du-Rhône le 7 janvier 1872, M. Bouchet fut porté candidat, concurremment avec M. Challemel-Lacour, et il fut élu député par 47.513 voix. Il alla siéger à l'extrême gauche, aborda à plusieurs reprises la tribune, vota pour la dissolution, contre la loi municipale lyonnaise, pour M. Thiers le 24 mai 1873 et fit une opposition constante au gouvernement dit de l'Ordre moral. C'est ainsi qu'il se prononça contre la circulaire Pascal, pour la liberté des enterrements civils, contre l'érection de l'église du Sacré-Cœur, contre le septennat, contre la loi des maires.
Le 14 mai 1874, il contribua à la chute du cabinet de Broglie, appuya la proposition Périer et Maleville et vota pour la constitution du 25 février 1875, contre la loi sur l'enseignement supérieur, etc. [2]
Après la dissolution de l'Assemblée, il se porta candidat à la députation dans la 4e circonscription de Marseille.
Tout en restant fidèle au programme républicain qu'il s'était engagé à suivre, il se prononça contre les idées intransigeantes que M. Alfred Naquet voulait faire prévaloir, et qu'il regardait comme absolument nuisibles à l'affermissement de la République. Il se fit le défenseur de la politique de M. Gambetta et fut élu député par 8,872 voix.
A la Chambre, M. Bouchet a continué à siéger avec les membres de l'Union républicaine et a voté, ainsi qu'il s'y était engagé envers ses électeurs, pour l'amnistie pleine et entière demandée par M. Raspail...
...Il fut encore réélu le 21 août 1881, par 10.260 voix contre 1.138 à M. Bocca (11.937 votants, 21.780 inscrits) ; mais cette législature marqua la fin de sa carrière politique. Poursuivi avec son associé Marius Poulet comme administrateurs de la compagnie d'assurance maritime, le Zodiaque, pour contravention à la loi sur les sociétés, et condamné, le 10 décembre 1884, à huit mois de prison et dix mille francs d'amende, il en appela de ce jugement, obtint la réduction de sa peine à quatre mois de prison et 3 000 francs d'amende, et quitta la France presque aussitôt après avoir purgé sa peine, pour le Tonkin.[2]
Il ouvre le premier cabinet d'avocat au Tonkin, où il « se fait oublier ». [3]
Le séjour d'Émile Bouchet à Hanoï est très peu documenté. Il s'est marié (10 novembre 1888) à une française divorcée vivant à Hanoï, Marie Clémentine Louise Philipp (42 ans) dont il divorcera à son retour en France en 1905. Il a ouvert à Hanoï un cabinet d'avocat et, selon certaines sources, aurait été directeur d'usine. On pouvait lire, dans les pages d'un journal Algérien [4] les quelques lignes suivantes :

    Bouchet est à Hanoï depuis 1885, où il jouit de la considération générale, son exil est très supportable ; aujourd’hui, marié à une femme très intelligente, il habite une superbe maison (style grec), qui lui appartient mais qui n’est point saisissable. On estime la fortune que Bouchet a pu acquérir honnêtement au Tonkin à trois ou quatre cent mille francs....

Hanoï, rue Paul Bert vers 1900.

Cabinet d'affaires de Brutus Bouchet

Cette relative réussite n'était pas du gout de tout le monde. Les adversaires politiques de l'ancien député, semblant oublier qu'il avait « purgé sa peine » avant d'aller se faire oublier sous d'autres cieux, présentaient les choses d'une autre manière. Ainsi, dans le Journal quotidien de Toulouse et du Sud-Ouest [se définissant comme organe quotidien de défense sociale et religieuse puis organe régional de redressement national, de défense religieuse et de progrès social ] :

    Cheveux blancs et barbe blanche, figure correcte de magistrat, portant dans les cérémonies officielles la cravate de commandeur du Dragon de l’Annam et la rosette de l’Ordre royal du Cambodge, Emile-Brutus Bouchet en imposerait peut-être encore aux gouvernants et à ses concitoyens […], mais tous à Hanoï, gouverneur général, procureur général, officiers, fonctionnaires, colons, connaissent son passé et apprécient durement son présent. Tous se demandent comment il se fait que cet ex-député, chassé de la Chambre, cet ex-agent d’affaires, occupe au Tonkin une charge généralement dévolue à d’honnêtes gens, et dont il ne se sert que pour défendre les pirates contre les intérêts de la France. Car Me Bouchet est l’avocat des Annamites et des Chinois contre les Français. De quel droit exerce-t-il ces fonctions ? Quelles influences le soutiennent ? ... [5]

Son retour en France au début du XXe siècle et les dernières années de sa vie au Vésinet ont été complètement occultés. Les principales biographies qui lui ont été consacrées au XXe siècle s'achèvent avec son départ au Tonkin et par ces mots : décédé à une date inconnue en un lieu non précisé. Mentionné dans les annuaires locaux de 1905 et 1908, recensé en 1911 en compagnie d'un couple de domestiques (une cuisinière et son mari jardinier) ainsi qu'un valet de chambre, il profite d'une villa confortable (Villa Rolandes) dans un grand jardin.[6] Un jugement de divorce fut prononcé par le tribunal de Versailles le 5 avril 1905. [7]
En 2024, la liste officielle des députés français (sur le site de l'Assemblée Nationale) n'était toujours pas à jour.
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Décédé à son domicile du Vésinet au 11bis rue des Chênes (30bis route de Montesson), le 27 juin 1915, l'ancien avocat repose au columbarium du Père Lachaise, à Paris, sous la mention Brutus Bouchet, ancien député. [9]

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    Notes et sources

    [1] Tiré au sort en position de conscription (1860) il est exempté pour cause de myopie. [Liste du tirage des jeunes gens de la classe 1860 conservée aux Archives départementales des Hautes-Alpes].

    [2] Complément extrait du dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889 (Adolphe Robert et Gaston Cougny).

    [3] Complément extrait du dictionnaire des parlementaires français de 1889 à 1940 (Jean Jolly).

    [4] Akhbar : journal de l'Algérie, 15 septembre 1889.

    [5] L'Express du Midi (citant La Libre parole) 15 janvier 1896.

    [6] Cette adresse figurait déjà dans l'annuaire de l'Union coloniale française de 1897 comme le domicile en France d'Emile Bouchet. Il y avait à Hanoï un boulevard Rollandes où se trouvaient certaines des plus belles villas coloniales.

    [7] Mme Bouchet (née Marie-Clémentine Philipp) n'a pas été recensée au Vésinet. Elle est décédée à son domicile parisien en 1916.

    [8] Site de l'Assemblée Nationale (2024)

    [9] Archives Départementales des Yvelines, Commune du Vésinet, NMD 1915 (n°105) et il repose au columbarium du cimetière du Père Lachaise (Division 87, case 6 316).


Société d'Histoire du Vésinet, 2024 • www.histoire-vesinet.org