Extraits d'articles de presse, décembre 1940 à avril 1941
Cinq communes de la Boucle de la Seine privées de ponts
Les Parisiens de la banlieue vont-ils abandonner la région où ils habitent? Déjà, pour la plupart, la rareté des moyens de transports constitue des difficultés insurmontables, La suppression des autobus, la diminution du nombre des trains, la quasi impossibilité pour le chef de famille de manger au restaurant sans priver de tickets sa famille restant à la maison, voilà autant de raisons qui plaident en faveur du "retour à la ville". Or, comme on veut décongestionner Paris, des mesures urgentes doivent être prises.
La Boucle en difficulté Sous le nom de communes de "la boucle", on entend les localités de Chatou, Croissy, le Pecq, Montesson, le Vésinet bâties sur le long de la courbe formée par la Seine, au sud d'Argenteuil, à l'est de Saint-Germain. [1]
Ces localités sont actuellement dans une situation très critique, pour ne pas dire plus. L'armée française a fait sauter les ponts qui les faisaient communiquer avec la région avoisinante. Leur ravitaillement demeure un problème terriblement compliqué sur lequel les municipalités travaillent sans répit et avec une solidarité dont il convient de les louer.
Il a fallu d'abord régler l'arrivage du lait. Le lait, venant de Verneuil-sur-Avre, arrivait en gare de Versailles-Chantiers d'où les camions des cinq communes le ramenaient. Après l'armistice, ces camions durent passer par Saint-Denis. Maintenant, ils font simplement le tour par Bezons, ce qui constitue encore un joli détour. Comme disait un chauffeur "Faut pas s'étonner s'il arrive tourné". Pour la viande, les difficultés furent analogues. Quant à la farine, pendant plus d'un mois, elle traversa le fleuve à dos d'homme.
Pas de charbon
"Heureusement pour nous, nous dit le maire du Vésinet, M. Thiébault, nous sommes un pays de maraîchers et nous ne manquons pas de légumes. Mais tant de choses restent à régler. Je ne vous étonnerai pas, certainement, si je vous dis que le charbon est rare. Faute d'essence, les charbonniers de "la boucle" ne peuvent s'approvisionner. Or, chez nous, actuellement, une sérieuse épidémie de rougeole sévit. On ne peut soigner les enfants comme il le faudrait; car il faut les envelopper de linges chauds. Avec quoi ferait-on chauffer le linge, puisque nous manquons de tout combustible ?
Nous avons adressé une demande à la préfecture pour qu'elle nous autorise à utiliser au profit des indigents le charbon que nous avions découvert dans les caves des villas abandonnées. Dans l'une d'entre elles, nous avons découvert plus de dix tonnes de charbon. Nous attendons encore la réponse. D'ici qu'elle vienne, nous avons le temps de geler et de nous désoler."
Émile Thiébaut, maire du Vésinet
cliché "Le Matin", 1940.
Le ravitaillement impossible
"Et le réseau ferroviaire, hélas ne peut suppléer à l'insuffisance du réseau routier. Les viaducs du Pecq et de Chatou ont sauté. Cette région est à l'écart de toute grande ligne, ce qui l'empêche de recevoir du ravitaillement par voie détournée. De plus les communes de la rive gauche disposent toutes de ports sur la Seine. Celles de la "boucle" n'en possèdent pas. Impossible de faire venir quoi que ce soit par péniches, par conséquent.
Il faudrait donc songer très sérieusement à rétablir au plus vite les ponts détruits en juin. Les municipalités savent et connaissent mieux que personne les difficultés que l'autorité préfectorale peut rencontrer, mais les communes de la "boucle" ne peuvent se contenter des passerelles provisoires installées tant bien que mal là où les ponts ont sauté. Elles ne servent qu'aux piétons et aux petites voitures. On prévoit, il est vrai, une reprise du service ferroviaire au début de 1941. En attendant, on transborde des voyageurs au viaduc de Chatou grâce à une rame restée miraculeusement en gare du Vésinet lors de la débâcle. Cette rame unique et d'autant plus précieuse assure ainsi la navette jusqu'au Pecq, mais ne va pas, toutefois, jusqu'à Saint-Germain".
Et le Matin de s'interroger sur les retards dans les travaux de reconstruction: "Mais voici une question que toute la "boucle" se pose: pourquoi aucun travail n'a-t-il encore été entrepris au pont du Pecq ? Et pourquoi ne voit-on que de temps en temps un ouvrier sur le viaduc de Chatou ? Il serait temps d'y songer, cependant.
La réponse rassurante de l'administration parait quelques jours plus tard [2] sous la forme d'un communiqué du secrétariat d'Etat aux communications: "Les ponts-routes du Pecq et de Chatou, en partie reconstruits, sont ouverts à la circulation des véhicules ne dépassant pas 2 tonnes. A Bougival, un pont définitif remplacera bientôt l'actuelle passerelle. Les arcs métalliques de ces trois ponts sont commandés et nous espérons en prendre livraison prochainement. Quant à la SNCF, elle n'a nullement oublié les viaducs de Chatou et du Pecq. Seulement il lui a fallu d'abord trouver le métal, ce qui n'est pas toujours très aisé aujourd'hui, puis le faire usiner et ces jours-ci seulement on va pouvoir notamment à Chatou procéder aux premiers travaux de mise en route. Nous prévoyons aussi la reconstruction définitive du pont de Maisons-Laffitte dans deux ou trois mois".
Trafic et trafics Si le trafic est très perturbé dans la Boucle, il n'empêche pas cependant les trafics illicites, détournements et marché noir.
Ainsi, en février 1941, [3] la presse rapporta l'existence au cimetière du Vésinet, d'un caveau transformé en "resserre de denrées de toutes sortes". Pour mettre fin aux rumeurs, le Maire avait fait savoir que ce que les habitants avaient pris pour un trafic clandestin était, en réalité, inexistant, puisqu'il s'agissait des archives de la commune qui avaient été transportées dans le caveau, lors des événements de juin 1940.
Mais l'opinion publique, nullement satisfaite de cette explication, voulut faire poursuivre l'enquête. Celle-ci fut menée par la police d'Etat de Seine-et-Oise et démontra qu'il s'agissait bien d'une affaire de trafic clandestin de denrées alimentaires.
"Lors de l'exode, la voiture-échelle des pompiers étant restée en panne, le maire envoya une équipe pour la réparer. C'est alors qu'intervint le gardien du cimetière qui proposa de se servir du véhicule, auquel on aurait adjoint une remorque, pour effectuer le ravitaillement de la population. L'idée, fut acceptée d'emblée. Mais jamais la population ne vit la couleur des boites de conserves et des morceaux de porc que l'on transportait.
Le gardien du cimetière se rendait régulièrement, chaque semaine, dans l'Orne, où il achetait pour son compte personnel et pour le compte de quatre membres du conseil municipal, des cochons, des pommes de terre, des haricots, des boites de conserves, etc.
Toutes ces marchandises étaient ramenées au Vésinet et l'on dit même que certains porcs étaient abattus dans la propre chambre du gardien du cimetière. Les bêtes ainsi abattues étaient aussitôt débitées et leurs morceaux allaient rejoindre d'autres denrées dans le caveau où les édiles et le gardien se ravitaillaient à bon compte.
Un jour, les personnages ainsi compromis, apprenant qu'une enquête était ouverte, s'empressèrent de déménager le tout pour le transporter dans la cave d'un des conseillers municipaux. Mais un sac, durant le transport, creva, et les haricots qu'il contenait se répandirent depuis le cimetière jusqu'au domicile du conseiller municipal. C'est ainsi que la police fut mise sur la trace des délinquants". Mis au courant de ces faits, le préfet de Seine-et-Oise avait aussitôt ordonné une enquête administrative qui se solda en avril par la révocation du gardien du cimétière. L'affaire en resta là, mais une autre, plus gave, éclata peu après [4].
Il s'agissait cette fois d'un vol de 16 tonnes de combustible commis au préjudice de l'Etat. L'asile national du Vésinet devait recevoir, au début de l'hiver 1940-41, plus de 160 tonnes de coke et de charbon. Le combustible arriva en gare de Houilles, où il fut charrié par camion, par les soins de M. Raymond G***, entrepreneur de transports à Carrières-sur-Seine.
Lorsque la livraison totale fut achevée, M. Blanchet, directeur de l'asile, constata que 10 tonnes de coke et 6 tonnes de charbon manquaient. Il porta plainte et l'affaire fut confiée à la police d'Etat de Versailles. Au cours de l'enquête, les inspecteurs Martin et Vedrenne devaient acquérir la conviction que l'entrepreneur et son personnel s'étaient approprié les 16 000 kilos de combustible disparus.
Les inspecteurs explorèrent les caves de la maison de M. G***. Soudain, l'un d'eux remarqua que l'un des murs était construit de fraîche date. L'entrepreneur, se sentant découvert, avoua que les 16 tonnes détournées avaient été en grande partie déversées dans cette cave spécialement murée et que ses trois chauffeurs, ainsi que son beau-frère, avaient profité du charbon détourné. On fit ouvrir la cave murée, mais à peine 1 500 kilos de charbon purent y être récupérés. L'entrepreneur, son beau-frère, demeurant à Nanterre, et les trois chauffeurs demeurant à Houilles et Sartrouville furent poursuivis pour vol et complicité.
[1] Le Matin - 10 décembre 1940 (n°20712)
[2] ibid, 29 décembre 1940 (n°20730)
[3] ibid, 3 mars 1941 (n°20793)
[4] ibid, 17 avril 1941 (n°20837)
Société d'Histoire du Vésinet,
2010- www.histoire-vesinet.org