D'après un article du journal Le Signal de Genève, février 1901 [1] Ernest Brunnarius et la montagne Les amis de la montagne ont appris avec épouvante la terrible catastrophe survenue le 10 février [1901], au-dessus d’Albertville, où MM. Brunnarius, Lamy et Poncin, dont le corps vient d'être seulement découvert, trouvèrent la mort dans une avalanche. Aquarelle de E. Brunnarius « Les Mayens de Sion » 15 juillet 1898. Reproduction tirée de l'annuaire (1900) du Club Alpin Français. Pour Brunnarius, plus que pour tout autre amant des Alpes, la montagne était le symbole de la lutte pour la conquête de l’idéal, le domaine de la libre vie, l’oubli des mesquines pensées, la grande amie, la grande éducatrice. Ernest Brunnarius, le montagnard (~1900) Société d’Éditions Littéraires et Artistiques, 1903. Pour comprendre comment Brunnarius aimait la montagne, il suffit de relire les pages que lui ont consacrées Michelet, Charles Morice (à propos des tableaux de Baud-Bovy), Émile Javelle et Schrader dans son admirable article paru dans l'annuaire du club français. Michelet, en s’approchant de la montagne disait: « Respectons ces lieux, d’où l'on doit revenir plus grand ; imposons, en faisant ce pèlerinage au cœur de la nature, un sursis à nos vices, à nos misères, à nos faiblesses. » Brunnarius écrivit dans une brochure sur la Maja de Lovegnoz, ces lignes : « Le vrai montagnard aime la montagne pour elle-même et bien plus pour ce qu’elle est à ses yeux que pour le plaisir qu’elle lui offre. » Ceci est certainement adressé aux détracteurs de l’alpinisme, qui le présentent comme une jouissance purement égoïste. Mme Brunnarius [2] fut la compagne de son mari dans presque toutes ses ascensions, elle est donc elle-même une alpiniste de première force ; elle élève ses fils dans ce culte qui fut celui de leur père; elle sait combien est bienfaisante la passion des Alpes. La montagne a ses dangers comme toute autre chose: Qu’importe ! C’est à la prudence et à la circonspection de les prévoir et d'en triompher. Il y a dans la vie des risques qu’une prudence douillette ne doit pas toujours nous empêcher d’affronter. La montagne est une grande école. Elle implique le combat. Le départ de Brunnarius laisse un vide inconsolable. Quelle douleur pour sa veuve, pour ses charmants enfants, pour ses intimes amis, tousses compagnons de course! Les dangers et les émotions communes partagés dans la haute montagne ne scellent-ils pas d’une façon plus intense les liens de la sympathie altruiste, comme les affections plus profondes de la famille et de l'amitié? Il y a quelque chose de noble et de grand à conserver le souvenir d’un être cher, qui nous a été enlevé, comme rivé à l’amour des hautes montagnes. Lorsque sa veuve les parcourra encore, revoyant les cimes vaincues ensemble, la Maja, le Cervin et d’autres plus difficiles; lorsqu’elle remontera au petit mayen des Mayens de Sion, le cœur brisé d’émotion, elle reprendra possession d’un peu de celui qui est parti. Oui, la montage qu’il aimait rendra à ceux qui le pleurent ce qu'il y avait en lui de pur, de noble, de bon. Dans le domaine intime des hauteurs, qui était bien le sien, ils le retrouveront bien lui, lui qui en vivait et en montrait toujours le chemin aux assoiffés d’idéal et de vie libre… Sépulture Brunnarius au cimetière communal du Vésinet (section 4 - 889) Avec Ernest Brunnarius (1857-1901) reposent son fils Ernest (1880-1958) et la femme de celui-ci : Rose née Hadorn (1878-1961). La croix de marbre blanc s'est grisée au fil du temps ... (cliché shv 2025). La foi de Brunnarius était intense. Elle s’était formée et affermie toujours plus en lui, au contact des Alpes. C’était, dans toute l’acception du terme, un homme de devoir. Sa nature loyale et sympathique faisait de lui ce qu’on peut bien rarement dire d’un homme : le véritable ami de ses amis. L’un de ceux-ci, je l’espère, retracera cette vie modeste, fauchée en pleine vigueur, ne fût-ce que pour le donner comme exemple et comme réconfortant à ceux qui ont besoin d’un appui dans cette ascension difficile qu’on appelle la lutte pour la vie. [3, 4] **** Notes et sources: [1] Cet article et beaucoup d'autres ont été rassemblés dans une brochure (157 p.) éditée par la Société d’Éditions Littéraires et Artistiques, Librairie Paul Ollendorff, 50 Chaussée d'Antin. Paris (décembre 1903). Cet ouvrage propose une notice biographique de Brunnarius (25 p.), quelques articles de Brunnarius sur la montagne (Dans la vallée de Bietsch ; La Maja de Lovegnoz ; Le Cervin, son Histoire ; Ascensions autour de Zinal ; Les Courses d'hiver de la Section de Paris), des articles consacrés à Brunnarius par le Club Alpin français et la Société des Peintres de montagne. On y trouve aussi les nombreuses allocutions et discours prononcés lors des obsèques au Temple protestant des Batignolles puis au cimetière du Vésinet (pas moins de dix intervenants). Enfin le compte-rendu de l'inauguration du monument à la mémoire des trois victimes de l'accident à la Roche-Pourrie (8 septembre 1901) complète cette édition rare d'une œuvre anonyme et collective. [2] Adelheid Johanne Helene Heimsch, württembourgeoise née à Stuttgart en 1860, épousée dans la même ville en 1879. Ernest l'avait connue à l'âge de treize ans et racontait qu'il avait toujours su qu'elle serait sa femme un jour. Elle partageait sa passion pour l'alpinisme et lui donnera quatre enfants : Charles Ernest (1880), Marcel Gustave (1884), Pascal (1889) et Renée (1893) future Mme Thonger. Marcel, architecte comme son père, fut tué à Verdun en juin 1916. Tous les autres seront pasteurs (et femme de pasteur). [3] Le samedi 16 février eurent lieu, à Paris, les obsèques de Brunnarius. Après un service religieux au temple de la rue des Batignolles, le corps fut inhumé au cimetière du Vésinet. Le Club Alpin Français était représenté par la plupart des membres de la Direction centrale, par un grand nombre de membres de la Section de Paris, et par une délégation de la Section d'Albertville composée, de MM. Obert, Roudet et Ph. Million, auxquels s'était joint M. Gravin, sénateur maire d'Albertville. Sur la tombe, des discours ont été prononcés par MM. F. Schrader, vice-président du Club Alpin Français; E. Sauvage, vice-président de la Section de Paris ; Obert, délégué de la Section d'Albertville ; Jean Desbrosses, président de la Société des peintres de montagne ; Henry Cuënot, au nom des amis personnels du défunt ; Guyard, au nom des organisateurs de l'exposition du Club Alpin ; Emmanuel Sautter, vice-président de l'Union chrétienne des jeunes gens de Paris; et Diolé, au nom des entrepreneurs « qui furent les collaborateurs dévoués de l'éminent architecte. » [4] Ernest Brunnarius se voyait attribuer les Palmes Académiques le jour même de sa mort, 10 février 1901, qui était aussi le jour de son 44e anniversaire.
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