Le Vésinet, revue municipale, n°74, mars 1986

Le Vésinet dans les Cahiers de Doléances
Patrick Vaseilles

Territoire de chasse royal privilégié pendant plusieurs siècles, la forêt du Vésinet avait été peu à peu délaissée avec la décision de Louis XIV de construire un château digne de sa gloire à Versailles, qui lui fit abandonner Saint Germain en Laye.
Les sous-bois avaient alors retrouvé le silence les animaux avaient repris possession de leur territoire. Il était loin le temps où résonnaient les chevauchées princières, accompagnées des cris des piqueurs, des aboiements des meutes. Disparues les journées où les grands de ce monde se retrouvaient dans les bois du Vésinet, comme le rapporte le marquis de Dangeau dans son journal:

Jeudi 24 [avril 1708], à Marly; le roi alla voler dans la plaine du Vésinet.
Le roi d'Angleterre et le prince de Galles y étaient
[...] Madame et Madame la Duchesse y étaient à cheval.
On prit un milan noir et le roi fit expédier une ordonnance de 200 écus pour le chef du vol,
il en donne autant tous les ans au premier milan noir qu'on prend devant lui.
Autrefois il donnait le cheval sur lequel il était monté et sa robe de chambre.

En 1789, la monarchie, en proie à ses éternels problèmes financiers, décidait de convoquer les Etats Généraux pour le mois de mai. Les trois ordres qui représentaient la société d'Ancien régime, la Noblesse, le Clergé et le Tiers-état, étaient appelés à rédiger des cahiers de doléances.
Les membres du Tiers-état tinrent des assemblées dans chaque paroisse. Outre les demandes d'abolition des droits féodaux et des privilèges, l'allègement des impôts et des taxes, revendications communes à toutes les provinces du royaume, des préoccupations locales apparaissaient dans ces recueils. Plaintes qui avaient trait à la vie quotidienne des paysans qui constituaient la grande majorité de la population des villages.
Le cahier des doléances de la paroisse de Chatou, rédigé par "les syndics, notables et autres habitants de la paroisse de Chatou, assemblés, le 12 avril 1789, s'empressent avec zèle et soumission de répondre (aux ordres du Roi) en adressant aux Etats Généraux leur cahier de doléances relativement aux maux dont ils sont accablés soit par les impôts à charge publique, soit par la disette de vivre, soit enfin par des incommodités locales, et supplient les Etats Généraux de les prendre en considération."
Au nombre "des incommodités locales" figuraient les dégâts causés aux cultures par le gibier en provenance de la forêt du Vésinet. Depuis que les chasses s'étaient pratiquement arrêtées, le gibier avait proliféré et s'aventurait régulièrement dans les champs voisins. Pour les protéger, les habitants de Chatou avaient décidé de construire un mur. Le dernier article du cahier est consacré à cette question [Art. 17].

...
Les habitants de Chatou ont été forcés de construire un mur le long de la forêt du Vésinet, pour la clôture de leur terroir, afin d'arrêter les dégâts considérables causés à leurs biens par le gibier de ladite forêt. Ce mur de clôture est actuellement fini, l'adjudication est de 32.000 livres, la paroisse n'a pas encore pu en payer un sou à l'entrepreneur, ce qui donne aux habitants une inquiétude considérable pour trouver les moyens de pouvoir payer cette somme, dans un temps où ils ne peuvent pas se donner du pain, à cause de la grande cherté où il est porté actuellement.
S'il était possible qu'on puisse trouver des moyens pour les aider à payer cette somme, on leur ferait une grande charité
.

Territoire de la Paroisse de Chatou
Paroisse de Chatou et la forêt du Vésinet avant la Révolution.
Plan d'intendance de la paroisse de Chatou, 1784, BNF..

Ce problème n'était pas spécifique à ce village puisque le cahier de doléances de Croissy comportait les mêmes griefs.

...
La paroisse de Croissy a été longtemps une des plus malheureuses de toutes celles qui sont soumises aux capitaineries. A peine un quart du territoire était-il cultivé; le reste, abandonné au gibier de la forêt du Vésinet, présentait des landes arides, Les habitants obtinrent en 1783 la permission de faire un mur à leurs frais. Le mur a été construit; son prix ne peut être payé qu'en huit ans, et ce prix, versé dans les fonds publics, donnerait un revenu qui acquitterait à jamais les impositions royales; et cependant cette clôture ne défend ses propriétés que d'une espèce de gibier, les lièvres. Les faisans et les perdrix font toujours des dégâts considérables.

Aujourd'hui encore, on trouve des vestiges de ce mur dans certaines propriétés à la limite des communes de Chatou et de Croissy.

Vestige du Mur des garennes (2000)
dans la propriété qui appartint à
Albert Robida
à la limite de Croissy et du Vésinet

Cliché M. Dubray (shv).


Société d'Histoire du Vésinet, 2005 - www.histoire-vesinet.org