Extraits du Livre d'or du sportsman par le comte de Mirabal, chez Lahure, Paris, 1893

Louis XIV à la chasse au vol dans la plaine de Vésinet

L'art de la fauconnerie parait avoir été connu et pratiqué dans l'antiquité. Aristote et Pline en ont fait mention. Elien en a exposé les principes que Firmius a perfectionnés. Les Francs connaissaient certainement la chasse au faucon : nous en avons pour garant la loi salique qui condamnait à une amende quiconque déroberait un accipiter ou un sparvus [1] dressés. Mais c'est surtout au moyen âge que la chasse au faucon atteignit sa plus grande vogue. A cette époque, la fauconnerie devint une science véritable, et la chasse, un plaisir exclusivement réservé au roi et à la noblesse. [...] Jusqu'à Louis XIII, la chasse au faucon, dite chasse au vol, ne cessa de se maintenir côte à côte avec la vénerie proprement dite. Elle est disparue en France depuis la fin du XVIIIe siècle.

...On distingue dans la fauconnerie plusieurs sortes de vols et ici le mot « vol » exprime soit la chasse que l'on fait avec les oiseaux de proie, soit l'équipage qui y sert. Il y a le vol pour le milan, auquel on emploie le gerfaut, et quelquefois le sacre, ainsi que pour le vol du héron, le vol pour la corneille et la pie, celui de la perdrix, celui des oiseaux de rivière et le vol pour le poil. Les oiseaux de proie se divisent, d'après la conformation des ailes, en rameurs et en voiliers et d'après la conformation des serres en nobles et ignobles.
Les rameurs s'élèvent dans les hautes régions de l'air ; ils poursuivent, attaquent et saisissent leur proie à toutes les hauteurs et fondent sur elles comme un trait. Les voiliers ne s'élèvent qu'à une région moyenne, pour découvrir une proie courante et qui ne s'élève jamais très haut ; ils la poursuivent à tire d'ailes et emploient pour la saisir, l'agileté, la ruse qui suppléent chez eux à la force. Les rameurs ont l'iris noir, l'aile mince, déliée, peu convexe, fortement tendue quand elle est déployée ; les dix premières plumes entières, formant une sorte de rame à plan continu ; des mouvements aisés, rapides et puissants ; la tête haute et portée en avant ; aussi peuvent-ils s'élever très haut, se mouvoir dans tous les sens et même voler contre le vent.
Les voiliers ont l'iris jaune, l'aile plus épaisse, massive, arquée, moins tendue pendant le vol ; les cinq premières plumes échancrées et formant une surface interrompue ; les mouvements pénibles lents, d'un moindre effet, la tête basse et inclinée. Ils ne s'élève que pour découvrir leur proie et ne peuvent voler avantageusement que vent arrière.
En fauconnerie on désigne les premiers sous le nom d'oiseaux de haut vol ou de leurre, et les seconds sous celui d'oiseaux de bas vol ou de poing. Les oiseaux rameurs sont réputés nobles ; leur bec est arqué dès sa base et acéré, accompagné de chaque côté d'une échancrure et d'une aspérité ; leurs doigts longs et déliés sont armés d'ongles longs arqués et aigus.
Les oiseaux voiliers sont réputés ignobles; leur bec est recourbé seulement dans sa partie antérieure, à la pointe mousse, simple et unie sur les côtés ; leurs doigts sont gros, courts et massifs.

...Mais aussi il faut dire que jamais chasse ne fut plus pittoresque et plus amusante ; les chevaux destinés à cet exercice étaient les plus agiles qu'on pût trouver; on devait être là quand la proie était prise, pour que le faucon ne cédât pas à l'envie de la dévorer et un bon fauconnier arrivait malgré tous les obstacles. C'était une véritable course au clocher ; dès que le faucon était lancé tout le monde partait au galop. Les dames et les châtelains, les valets et leurs chiens aboyants, traversaient la plaine, franchissant haies et fossés, pour arriver sur le champ de bataille. On se servait de lévriers pour saisir les gros oiseaux que les faucons portaient à terre, ou les lièvres qu'ils arrêtaient dans leur course ; ces chiens suivaient des yeux ce combat dans l'air tout en se précipitant pour se trouver à l'endroit où le groupe des combattants s'abattait et ils achevaient la victoire.


Chasse au faucon dans le Vésinet sous Louis XIV
Gravure de Gustave Doré, Histoire des environs du nouveau Paris, Emile de Labédollière, Gustave Barba, Editeur.

Le roi alla l'après-dînée à la volerie dans la plaine de Vésinet, au bas de Saint-Germain. Le roi y avoit donné rendez-vous au roi et à la reine d'Angleterre. Le roi y monta à cheval ; la reine d'Angleterre et madame la duchesse de Bourgogne se mirent dans une calèche fermée avec les duchesses du Lude et de Tyrconnel. Le roi y alla jusqu'à la hauteur de Maisons, malgré le froid excessif qu'il faisoit...

Extrait du Journal de Dangeau, 19 mars 1699.

...Lorsqu'à la chasse le roi voulait se donner le plaisir de jeter l'oiseau lui-même, les chefs pourvus par le grand-fauconnier lui présentaient l'oiseau et le grand-fauconnier le mettait ensuite sur le poing de Sa Majesté ; lorsque la proie était prise, le piqueur en donnait la tête au capitaine chef, qui la remettait au grand-fauconnier pour la présenter au roi.

...Pour terminer, nous allons dire un mot de la fauconnerie sous Louis XIV. Ce sport occupait à lui seul plus d'hommes que toute la vénerie réunie, et que celle du grand roi !
La fauconnerie était montée en 1689 sur un tel pied qu'on aurait jamais pu croire qu'elle touchât à sa dernière heure. Il y avait à cette époque le grand fauconnier de France, François Dauvet, comte des Marets, marquis de Saint-Falle, qui avait la surintendance de la fauconnerie du roi et prêtait serment entre ses mains. Le grand-fauconnier pourvoyait à toutes les charges de ceux qui étaient employés dans l'état de la fauconnerie. Tous les ans, le grand maître de Malte envoyait douze oiseaux au roi de France, par un chevalier de Malte français ; outre les frais du voyage qui étaient payés, ce chevalier recevait de la part du roi un présent de mille écus.
Le roi de Danemark et le prince de Courlande envoyaient aussi tous les ans au roi des gerfauts et autres oiseaux de proie [2].
La grande fauconnerie se composait de neuf vols et ces neuf vols employaient plus de cent personnes. Il y avait deux vols pour le milan avec capitaines, lieutenants, maîtres fauconniers, cinq piqueurs et un porte-duc.
Lorsque le chef de vol prenait un milan noir en présence du roi, le cheval, la robe de chambre et les mules de Sa Majesté appartenaient au chef de vol, mais le roi pouvait les racheter pour la somme de cent écus. Le vol du milan se faisait avec des gerfauts [3], tiercelets de gerfauts[4] et quelquefois avec des sacres [5]. On avait un duc [6] qui servait à attirer le milan, à hauteur convenable, de manière à pouvoir l'attaquer.
Lorsque le milan était pris, on arrivait à la curée avec toute la diligence possible, on mettait une poule dans la main des oiseaux et l'on rompait les jambes du milan de crainte qu'il ne blessât les oiseaux. Le milan noir était très rare, cependant on en trouvait surtout dans les bois du Vésinet. [7]

Le Gerfaut (dessin de M. Wolf)
Traité de Fauconnerie par H. Schlegel & A.H. Verster de Wulverhorst, Arns & Cie, 1844-1853.


Le Sacre (dessin de M. Wolf)
Traité de Fauconnerie par H. Schlegel & A.H. Verster de Wulverhorst, Arns & Cie, 1844-1853.

 

Le troisième vol était pour le héron et l'on employait les mêmes oiseaux que pour le milan et quelquefois des faucons. On attaquait le héron de deux manières. Pour le faire partir le long des étangs ou des rivières, on tirait quelques coups de fusil. Lorsqu'il s'était élevé on lui donnait un oiseau appelé hausse-pié pour le faire voler encore plus haut, et quand il était à une grande élévation, on découvrait les autres oiseaux qui allaient combattre avec le hausse-pié et qui attiraient le héron à bas.


Chasse au vol pour le héron, gravure de J. Richard Goubie (1842-1899)
Les hommes de sport par le Baron de Vaux,
C. Marpon & E. Flammarion, Paris, 1888

On avait des lévriers à gros poil dressés pour ce vol, soit pour aller à l'eau quand le héron y faisait chute et le rapporter au fauconnier, soit pour le tuer quand il tombait sur terre de crainte qu'il ne blessât les oiseaux. Après la prise du héron et pendant la curée, les autres fauconniers qui tenaient toujours un second vol tout prêt, se jetaient pour attaquer les autres hérons qui ordinairement se mettaient à la branloire en tournoyant au-dessus de la curée...

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    Notes:

    [1] Accipiter et sparvus sont des anciens noms désignant l'épervier ; Sparvus a disparu mais Accipiter est resté comme nom du Genre qui regroupe la plupart des autours et des éperviers.

    [2] Le marquis de Dangeau, dans son Journal, note d'ailleurs la présence du Prince de Danemark à une chasse au vol, le 13 février 1693, au Vésinet (voir ci-dessous).

    [3] Gerfaut ou faucon gerfaut (Falco rusticolus), rapace qui vit dans les régions les plus septentrionales de l'hémisphère nord en Europe.

    [4] Le "tiercelet" est le nom donné au faucon mâle, trois fois plus petit que la femelle.

    [5] Faucon sacre (Falco cherrug), grand faucon d'Asie centrale et du nord de l'Inde à l'Europe orientale.

    [6] Duc, oiseau de proie nocturne, proche du hibou.

    [7] Dangeau, dans son Journal, fait plusieurs fois mention de « chasse au vol » dans la « Plaine de Vésinet, et jusque la hauteur de Maisons ». Journal du marquis de Dangeau - Firmin Didot et frères, Paris 1854-1858 (tomes 1 à 15).


Société d'Histoire du Vésinet, 2013 - www.histoire-vesinet.org