D'après Saint-Alban, Mercure de France, Tome 139, n°525, 5 mai 1920
Urbanisme : Les cités-jardins, la grande œuvre de notre temps (1920)
Plan d'extension de la Ville de Paris.
En exécution de la loi du 24 mars 1919 qui obligeait toute ville importante à dresser une carte en prévision de ses destinées prochaines, la Ville de Paris a ouvert un concours pour établir le Plan d'accroissement, d'embellissement et d'extension de Paris et de l'agglomération parisienne, et c'est le résumé de ce concours qui vient d'être exposé au Palmarium du Jardin d'Acclimatation.
Tout d'abord il sied de reconnaître le grand effort qui a été fait ; Les concurrents ont été nombreux et leurs envois remarquables ; beaucoup ont été primés, cinq notamment dans la Section 1 où se trouvaient réunis les plans d'ensemble ; d'autres ont été récompensés, ou proposés pour l'acquisition des planches exposées ; même dans les envois qui n'ont été l'objet d'aucune distinction on trouve des idées intéressantes.
Sans doute, le plan définitif, même s'il prend pour base le projet primé premier, tiendra-t-il compte des autres. Une œuvre aussi considérable que l'extension de Paris ne peut être que collective, ce qui ne s'oppose pas d'ailleurs à l'utilité de conception et de direction.
Cette haute valeur des projets envoyés n'est pas pour surprendre. Nos architectes se sont toujours intéressés d'une façon spéciale à tout ce qui concerne l'embellissement et l'assainissement des villes. Non que l'urbanisme, comme on appelle cette science, soit une création d'art français ; en réalité il est aussi vieux que le monde, et les constructeurs de Babylone ou de Thèbes-aux-cent-portes faisaient de l'urbanisme avant la lettre; ni peut-être que l'urbanisme soit mieux observé et réalisé chez nous qu'ailleurs ; nos villes, au contraire, auraient trop souvent fort à apprendre de certaines cités étrangères. Mais, néanmoins, on trouve chez nous, dès le moyen âge, les essais les plus nets d'amélioration à la fois hygiénique et esthétique des villes (les Italiens, notamment, qui ont si bien développé à la Renaissance, l'art des jardins n'ont pas cultivé de même l'art des rues et des places, tout leur effort s'est borné à ouvrir de rigides et étroits Corso ou Toledo dans les quartiers grouillants de Rome ou de Naples, et surtout c'est chez nous qu'on trouve, à partir du XVIIIe siècle, la lignée la plus fournie et la plus experte des grands constructeurs et embellisseurs de villes ; le major Lenfant, auteur du plan de Washington, a eu une postérité dont il peut être fier, et c'est encore aujourd'hui à nos spécialistes de l'urbanisme, que les pays étrangers s'adressent quand ils veulent un plan de création d'une capitale nouvelle ou un plan de reconstruction et d'embellissement de quelque vieille cité.
On comprend donc que le concours du Plan d'extension de l'agglomération parisienne ait provoqué tant de travaux. Quelle admirable ville que Paris et quelle merveille que sa région géographique, avec sa grande rivière à méandres gracieux et ses autres vallées si charmantes, ses coteaux modérés, ses vastes forêts prochaines, heureusement sauvées des bandes noires de tous les temps, ses bourgs pittoresques, ses châteaux semés par centaines dans la verdure, et ce ciel enchanteur de l'Ile de France où se marient si bien l'éclat pressenti du climat méridional et la douceur exquise de l'atmosphère du nord !
Même sans être architecte ni paysagiste, on se prend, quand on contemple la carte, à tracer, sur toute cette région enchanteresse des routes, des voies triomphales, des parcs nationaux, des cités-jardins, sans oublier, bien entendu, car l'homme ne vit pas seulement d'ombrages et de perspectives, les halles, les gares, les hôpitaux, les cimetières et les usines d'éclairage, de force motrice, d'eaux ménagères.
Pour en finir tout de suite avec le palmarès, je note les projets primés. Dans la section 1 qui réunissait les plans d'ensemble, la première prime a récompensé le projet de M. Jaussely [1] et de ses collaborateurs, MM. Expert et Sollier. La seconde est allée l'envoi de MM. Agache, Auburtin, Parenty et Redont. Tous ces noms, il est à peine besoin de le dire, sont très connus dans le monde des urbanistes.
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1919. Aménagement et extension de Paris (concours) plan général
gouache sur carte d'Etat major (133,5 x 96 cm)
Il serait à désirer que la moitié des Parisiens habitassent à plusieurs kilomètres des fortifications, et que les quartiers urbains composés de maisons à cinq étages sur lacis de ruelles obscures fussent remplacés par des cités-jardins, ces jardins pouvant être d'ailleurs d'utilité potagère aussi bien que de pur agrément. Mais la conséquence, en ce cas, est qu'il faudra, chaque matin, amener et chaque soir ramener plusieurs centaines de milliers de travailleurs, et le problème ne sera pas aisé à résoudre. Il faudra que le trajet du point le plus lointain au centre de Paris se fasse en quarante ou quarante-cinq minutes et c'est déjà ici une première question de savoir si ce centre devra être atteint-directement par la voie ferrée comme en nos gares actuelles de Saint-Lazare ou de Montparnasse, ou si la voie ferrée se contentera de toucher un métro-terminus d'où le voyageur gagnera son atelier ou son bureau; en tous cas il ne faut pas que le trajet dure plus de quarante-cinq minutes, puisque cela représente déjà 1h et demie par jour ce laps de temps, d'ailleurs, est suffisant, puisqu'on peut y faire une cinquantaine de kilomètres et qu'on en fera bientôt beaucoup plus.
La Grande Banlieue parisienne
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Cet aménagement de la grande banlieue parisienne est traité avec largeur dans le projet Jaussely. Une carte spéciale indique les routes de tourisme qui, partant de la ville, rayonnent vers les grandes forêts et les régions pittoresques. On en compte au moins dix principales: 1° vers Clermont, par la forêt de Chantilly; 2° vers la forêt de Compiègne et Villers-Cotteret; 3° vers Château-Thierry et la vallée de la Marne; 4° vers Provins et la falaise de Champagne; 5° vers la forêt de Fontainebleau; 6° vers le Hurepoix et Etampes; 7°vers la forêt de Rambouillet; 8° vers la région de Versailles et de Mantes; 9° vers celle de Saint-germain et la vallée de la Seine; 10° vers Pontoise et Gisors.
Et chacune de ces routes se ramifie en voies non moins intéressantes et variées. Même si, un jour, les bords de la Seine et de la Marne devaient se transformer en régions industrielles, que d'autres endroits resteraient pleins de charme agreste et de sérénité reposante. D'ailleurs, est-il impossible de faire coexister dans le même district usines et cottages ? Avec les forces dont on sait de plus en plus disposer, l'usine de demain ne sera plus un bloc morose, fumant et puant, mais une construction claire et gaie, et où peut-être retentiront des rires comme dans les ateliers paternels d'autrefois...
Il faudrait une carte spéciale pour suivre les projets des concurrents, une carte où seraient notées les innovations proposées : cités-jardins, voies de communications, gares et aérodromes, battes, hôpitaux, cimetières, centres d'administration, d'enseignement, d'industrie. Certains plans sont un peu trop schématiques et parquent par trop rigidement les Parisiens futurs : ici les usines, là les petits ateliers, plus loin les maisons d'habitation tout cela peut faire bien sur le papier, mais la réalité n'est pas aussi complaisante. Les projets plus sages se contentent de prévoir les grandes lignes de transport desservant les régions suburbaines et de marquer l'emplacement des cités-jardins dont la construction sera la grande œuvre de notre temps. On sait que la besogne est déjà amorcée, que la ville de Paris y a affecté 200 millions et que l'Office départemental des habitations à bon marché a décidé la création de quatre de ces cités-jardins, l'une au nord à Stains, l'autre à l'est à Champigny, une autre au Sud à Malabry, et la dernière à Suresnes à l'ouest. Mais ces réalisations commençantes sont bien peu de chose à côté de ce que proposent les projets des plans d'extension.
Le projet Jaussely en prévoit toute une ceinture autour de la capitale, dont quelques-unes vraiment immenses. Une première cité-jardin s'étend entre Pantin et le Bourget avec, en annexe, une cité industrielle à Bobigny. Une autre comprend toute la région du plateau de Romainville entre le fort de Romainville au sud de Pantin et le fort de Nogent dominant la Marne, avec le plateau d'Avron en flanc garde. Une troisième région s'étend au sud de Maisons-Alfort entre la Marne et la Seine, avec une zone industrielle entre Choisy-le-Roi et Bonneuil-sur-Marne ; des cités-jardins sont prévues plus précisément à Sucy-en-Brie à l'orée du Bois-Notre-Dame et au Mont-Mesty au sud de Créteil dominant la boucle de la Marne. Encore une verte ville boisée au sud de Kremlin-Bicêtre allant jusqu'à Chevilly, englobant les forts de Vitry et d'Ivry (tous les anciens forts sont transformés en cités universitaires, ou sportives, ou administratives). Une cinquième région de cités jardins se développe du fort de Montrouge à Sceaux et la Croix-de-Berny avec Fontenay-aux-Roses en annexe. Une autre va du fort de Vanves aux forts des Moulineaux. Et enfin une dernière est prévue entre Puteaux et Nanterre, rejoignant celles qui existent déjà à Chatou et au Vésinet [2, 3] et qui, dans leur séduisant appareil, donnent une heureuse idée de ce que sera un jour toute la région parisienne, si les efforts concertants des particuliers et des pouvoirs publics sont couronnés du succès qu'ils méritent.
Aux idées du projet Jaussely sur ce point on pourra marier celles des autres projets. On a déjà indiqué, dans le plan Agache, l'organisation de la boucle de Houilles, avec ses vastes terrains de jeux et ses palais d'expositions [4].
[1] Léon Jaussely (1875-1932) a reçu au cours de sa carrière les plus hautes récompenses: prix Chaudesaigues et prix des architectes américains (1897), prix Chenavard (1902), prix Labarre (1903), mais surtout le grand prix de Rome en 1903. Il a réalisé le Plan d'aménagement de Barcelone et toute la partie moderne de la ville porte désormais sa trace. Pionnier du zoning, "science" de l'urbanisme, il réalise les plans de Carcassonne, Pau, Vittel, Tarbes et Toulouse. Membre de la commission supérieure et des plans d'extension et d'aménagement des villes, il fut longtemps président de la Société des architectes urbanistes français.
[2] Le Vésinet a fait partie, durant de nombreuses années, de l'Association des cités-jardins de France. Celle-ci, conjointement à l'Association Internationale des cités-jardins a tenu, au Vésinet, en 1934, son assemblée générale pour saluer le classement du Vésinet parmi les monuments naturels et les sites de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque.
[3] En 1934, une exposition de l'Urbanisme au Pavillon de Marsan, présentait déjà le Vésinet comme un exemple d'"Urbanisme pensé". Une carte de 1772; l'acte d'Echange entre Achille Fould et la Société Pallu ; le Cahier de charges d'Ernest André (1858), puis les "Conditions spéciales imposées aux acquéreurs" de la Compagnie Pallu (1863) étaient présentés au public. L'exposition fut commentée par M. Paul Jarry, vice-président du Syndicat d'Initiative et Conseiller municipal, dans la Revue de l'histoire de Versailles et de Seine-et-Oise, 1934.
[4] Ce projet prévoyait une voie triomphale depuis le rond-point de Courbevoie (aujourd'hui la Défense) jusqu'au bout de la Terrasse de St-Germain, avec dans la Boucle "tout un ensemble de terrains de jeux olympiques, des palais d'Expositions permanentes"; le Mont Valérien quant à lui était métamorphosé en "Acropole d'Art". La difficulté à mettre en application la loi Cornudet et la crise des
années 1930 contribueront en effet à ajourner, sine die, la plupart des
projets.
Société d'Histoire du Vésinet,
2010- www.histoire-vesinet.org