D'après André Foucault, La Vie au grand air, 22 novembre 1902. n°219 - clichés Branger-Doyé.

Le Club français au Vésinet

Une des plus anciennes sociétés françaises de sports athlétiques vient d'inaugurer dans les environs de Paris, au Vésinet, un nouveau terrain de sport sur lequel son équipe première d'association [1] a disputé son premier match de l'année contre le Standart Athletic-Club. Réunion presque intime, l'inauguration du terrain du Vésinet était, en réalité une grande première sportive, dont nous nous devons de souligner ici l'importance !

La fondation officielle du club de football du Club français date de l'arrêté préfectoral du 13 septembre 1892 reconnaissant le club. Mais ses activités ont débuté dès 1890 sous l'impulsion d'élèves du collège Chaptal et du lycée Janson-de-Sailly.
Après de nombreux matches amicaux tout au long de l'année 1893, le Club prend part au tout premier championnat organisé en France en 1894. Les joueurs à la chemise rose et noire s'inclinent en demi-finales face aux terribles White-Rovers.

En 1896, le championnat change de formule et abandonne l'élimination directe. Le Club obtient une victoire 4-1 face aux White-Rovers le 23 février et ne quitte plus la tête du classement. En 8 rencontres, le Club compte 8 victoires ! Le 11 avril, le Club est sacré champion de France ! Ce résultat est d'autant plus impressionnant que tous les joueurs du Club français sont français.

En février 1896, le Club fait une mini-tournée en Belgique. Les Rose et Noir y battent successivement le Sporting Club de Bruxelles et l'Antwerp F.C. En 1899, le Club doit affronter Le Havre A.C. en finale nationale suite à l'ouverture du championnat aux clubs de province. Le Club refuse de disputer cette rencontre, arguant du fait que le trophée offert par Gordon Bennett couronnant le champion de Paris se devait de rester dans la capitale. C'était même précisé dans le règlement ! Aussi, Le Havre est sacré champion de France sans disputer la finale...

En 1900, le Club représente la France dans la compétition de football organisée pendant les Jeux Olympiques. Les Français s'inclinent 4-0 face au club anglais d'Upton Park, mais accrochent l'argent en s'imposant 6-2 face aux Belges de l'Université de Bruxelles.[2]

Un nouveau terrain de sport

Quelques notes très brèves avaient seules paru dans les quotidiens [3, 4], annonçant que le Club Français, inaugurait au Vésinet un nouveau terrain. La veille, on avait appris que quiconque arriverait avant 1 h 40 à la gare Saint-Lazare, bénéficierait du demi-tarif pour y parvenir... C'était tout. Et le lendemain, personne ne sut autre chose de la réunion de la veille, que ceci :

    "Au Vésinet, le Club Français, sur son nouveau terrain du Vésinet, a battu le Standard Athletic-Club, par 5 buts à 2...."

Et ainsi la chose se passa le plus simplement du monde, sans que personne presque y prit garde...
A la gare Saint-Lazare, lorsque sous les brûlantes injonctions du demi-tarif, sans doute, j'escalade le fameux train de 1 h 40, je rougis de moi, en constatant que je suis seul dans le wagon-bar, seul, avec un monsieur très jeune et très grave qui n'est pas fixé exactement sur l'emplacement exact du terrain "au Vésinet... ou au Pecq, monsieur, svp ?"; qu'il m'excuse de l'avoir incité à descendre au Vésinet, où je me serais égaré, d'ailleurs, avec lui, si, reconnaissant mon erreur à temps, je n'avais rattrapé le train en marche.
Et quelles salutaires réflexions, ne me fis-je pas, seul, bien seul, honteusement seul cette fois, dans le wagon-bar... en face d'un kummel, sur la vertu moralisatrice du sport, qui faisait plus contre l'alcool, par sa puissance propre, que toutes les ligues antialcooliques du monde. Et je pensais aussi, que décidément ce terrain devait être bien quelconque, pour que personne (nous étions deux, en tout, dans le wagon-bar) direz-vous, n'en connût l'emplacement exact. [5]

    « Et tout cela est à vous ?

    – Oui.

    – En toute propriété ?

    – Oui. »

Très aimablement, tandis que notre photographe croque à droite et à gauche quelques instantanés, un membre du Club me renseigne. A côté de lui, un autre, ayant en sautoir une sacoche discrète, se promène avec la tranquille aisance d'un homme à qui rien ne manque.., ni ne manquera. « Le trésorier du Club...», me souffle mon interlocuteur.

Il y a trois terrains de football établis sur un sol légèrement herbeux, et merveilleusement plat et doux. L'un est réservé aux grands matches, de rugby principalement ; une petite tribune a été installée sur l'un de ses côtés ; sur les deux autres, on jouera couramment l'association [3]...
Tout cela est neuf et luisant ; tout autour, des barricades blanches, on n'a pensé jusqu'ici qu'au nécessaire, le confortable et l'élégant viendront ensuite. « Là-bas, au fond des deux terrains d'association, sept courts de tennis seront installés, absolument côte à côte, de façon à servir en bloc de macadam au fronton de pelote basque que nous nous allons faire élever là-bas. Autour de l'ensemble, une piste de course à pied, d'une longueur totale de 400 mètres circulera bientôt. »
Tandis que nous parlons, un gaillard, à quelques mètres de nous, s'exerce au lancement du disque.
Et on parle depuis longtemps, du terrain du sport idéal, Meulan-Sport, X...-Sport, que sais-je ; voilà, autour de moi, un coin qui me paraît assez ingénieusement disposé pour la pratique des sports athlétiques.
Mes inquiétudes du train de 1h40 disparaissent peu à peu, et voici qu'au moment où je pénètre dans la petite enceinte où se trouve le chalet, mon dernier remords disparaît... en voyant arriver mon compagnon du wagon-bar...

    « Oh ! la belle alignée de cuvettes !... » 

Tout en haut d'une porte, un appareil a été installé, et tandis qu'il pose dans le demi-jour qui tombe, non des étoiles, mais d'une large tabatière ouverte sur le toit incliné, j'inspecte la salle de douche, où des poires toutes neuves laissent rougeoyer le cuivre, puis successivement dans les trois ou quatre petites salles qui forment vestiaire, et où déjà des vêtements de toutes les formes côtoient les derniers plâtras.
Tout cela n'est pas rutilant, on y a oublié, et c'est tant mieux, le marbre de Paros et les meubles laqués, mais quel tranquille confortable y règne, ce confortable discret, mais sûr de lui-même, au milieu duquel les natures pratiques trouvent, dit-on, le bonheur.
Et je ne me lasse pas d'admirer la paisible sécurité de mon cicerone, qui ne s'émeut pas et considère, sûrement comme supprimées d'avance, toutes les difficultés qui pourraient naître des nécessités de l'entretien — j'allais dire de l'exploitation, et c'est bien un peu cela, puisqu'il a des cotisations à faire rentrer, d'une part, et des dépenses à solder, de l'autre — d'un terrain aussi important.
Discrètement, il me glisse les noms de MM. Fraysse, Gouvert et Canelle comme ceux des trois bienfaiteurs du Club, tous trois sont membres honoraires.
"En somme, vous voulez faire quelque chose de très grand !" La même tranquillité me répond: "Oui"
Ou je me trompe fort, ou on entendra parler, dans l'avenir, du nouveau terrain du Club Français. Il n'a pas la joliesse enverdurée du Racing ni la proximité du Stade, mais quelques massifs seront vite jetés à l'occasion, et son organisation simple et pratique lui donne le pas sur la vastitude un peu dépeignée du Stade.

Sur un coup de pied en avant du Standart, le ballon a été dirigé vers le goal du Club Français. Les avants des deux équipes s'élancent à sa poursuite. Il est amusant de constater que cette photographie pourrait être une photographie de rugby.

(Les légendes sont d'origine)

Un équipier du S. A. C., gêné par un adversaire, passe le ballon son co-équipier. Ce dernier, on le remarquera, est "marqué" d'avance par un avant du C. F.

Lorsqu'on n'est pas absolument sûr de son coup de pied et qu'on risque de passer à l'adversaire, il est préférable de dribbler comme l'ont beaucoup fait les équipiers du S. A. C. dont l'entrainment était insuffisant.

Un vaste lavabo, voisin d'une salle de douche, a été installé dans le Chalet du C. F., au Vésinet; notre photographie montre l'amusant alignement des cuvettes.

Sur un bon coup de pied du C. F., le ballon a pénétré dans le but du S. A. C., laissant un peu stupéfait son gardien qui n'a pu empêcher le but d'être marqué.

A côté de nous, la partie se dispute... où donc sont les hommes du Standart ? on ne les aperçoit guère, et le vieux cri du capitaine "marquez vos hommes", retentit sans écho. Les équipiers du Club Français passent en revanche et repassent avec une belle maestria, laissant à leurs adversaires, dont la forme est très imparfaite, les vagues coups de pied dans le vide, et les dribblings incertains, et profitant sans pitié des fautes d'un arrière, qui n'y est pas encore tout à fait... ses gants tout neufs, d'ailleurs, signifient singulièrement le début de la saison et le manque d'entraînement.

Par deux fois, cependant, le Club Français se fait enfoncer; au commencement de la seconde mi-temps, les corners succèdent aux corners sur la ligne de but. Mais le public est là qui crie:

    — Allez, Zizi !

    — Attention, Canelle !

    — Bravo, Saint-Jullien !

Et Zizi, Canelle, Saint-Jullien, les leaders de l'équipe redoublent d'énergie, de vitesse et de précision, et lorsque siffle la fin, dans le commencement de l'obscurité, malgré le beau temps de l'après-midi, les grands tableaux visibles de toutes les parties du terrain, affichent comme résultats deux goals pour le Standart, et cinq pour Zizi, Canelle et Saint-Jullien.

    — Hip! Hip! Hip! Hurrah !

Le vieux cri de joie des footballeurs retentit dans la tranquillité de la grande pelouse. Tout autour des balustrades, seules quelques têtes de curieux apparaissent à des étages, (très peu de maisons à l'entour) et à la grille d'une propriété voisine, quelques jeunes femmes, qui tout à l'heure suivaient les péripéties, sont accourues pour en apprendre le brûlant résultat. Mais, à part ces quelques étrangers, on est complètement entre soi, joueurs et public, tout le monde est tout à fait sport.

 

Le marqueur et ses tableaux;

Le score à la mi-temps.

Pendant la mi-temps ;

Les équipiers du S.A.C., au repos.

Le froid tombe, tandis que dans le petit chalet fonctionnent les robinets à douche et que choquent les cuvettes, au milieu du tohu-bohu des soixante joueurs de football, qui tout à l'heure disputaient des parties et qui maintenant s'habillent, tandis qu'on discute, les uns en gilet de flanelle, les autres tenant d'une main une chemise, de l'autre retenant la petite culotte tombante, sur l'opportunité d'une passe qui n'a pas été faite, ou d'un coup de pied manqué. J'essaye de me rappeler le nombre des sociétés parisiennes qui ont le privilège de jouir d'un si beau terrain, approprié à tant de sports... Comptez vous-même... deux ou trois au plus.
Je quitte à regret le Vésinet, dont nous aurons l'occasion de parler ici de nouveau. De grandes parties s'y disputeront, car, en principe, la plus large hospitalité sera offerte aux sociétés qui voudront utiliser le splendide nouveau terrain de sport, dont le Club Français peut être très légitimement fier.


L'équipe du Club français en 1907 pour un match contre le Racing club de France (Cliché Agence Rol)

***

    Notes:

    [1] "Association" pour "football-association", nom anglais original de ce sport.

    [2] Le Club compte encore parmi les vingt premiers clubs professionnels français en 1932. Classé péniblement 8e sur dix dans son groupe, le Club est condamné à descendre en deuxième division. Il disparaît du football professionnel à l'issue de la saison 1933-34 en raison de très lourds problèmes financiers.

    [3] Achat, le 9 avril 1902 (La Presse, n°360, 10 avril 1902) "Le Club français vient de se rendre acquéreur, depuis hier, d'un superbe terrain, de 25,000 m² situé au Vésinet, à sept minutes de la gare du Pecq. Il sera décomposé comme suit: deux terrains de football association, un terrain de rugby, dix courts de law-tennis, et une piste de 400 mètres pour les épreuves de course à pied."

    [4] Description et annonce de l'inauguration : 17 octobre et 2 novembre 1902. "Le C.F. inaugure son magnifique terrain du Vésinet et, pour cette circonstance, le match de demain promet d'être tout à fait "exciting"... (La Presse, n°3792 et 3808).

    [5] Le terrain, pas plus que le stade des Merlettes d'aujourd'hui, ne se trouvait pas sur le territoire du Vésinet. Il devait occuper à peu près le même espace.


Société d'Histoire du Vésinet, 2013 - www.histoire-vesinet.org