Revue générale des chemins de fer, Dunod, Paris, 1893 - Extraits du discours prononcé par M. Vainet, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, ingénieur en chef des travaux et de la surveillance du Chemin de fer du nord, aux obsèques de M. Contamin, ingénieur conseil du matériel des voies à la Compagnie du Nord. [1]

Éloge funèbre de M. Victor Contamin

Messieurs,
C'est sous le coup de la plus poignante émotion que je viens ici, au nom de la Compagnie du Chemin de fer du Nord et en mon nom personnel, rendre hommage à la mémoire de Contamin.
Pauvre ami ! Lorsqu'il nous quittait, il y a quelques mois, pour aller, malgré lui, prendre un repos forcé, nous espérions que sa robuste constitution triompherait des premières atteintes du mal et qu'il ne tarderait pas à venir reprendre sa place parmi nous avec un regain de vigueur et d'activité ; mais l'illusion ne fut pas de longue durée ! Nous ne devions plus le revoir et aujourd'hui nous voici tous, famille, amis, collaborateurs, réunis autour d'une tombe prématurément ouverte pour saluer d'un dernier adieu celui qui n'est plus.

Contamin était un modeste, dans toute l'acception du mot : il aimait à s effacer, et, s'il est parvenu à une haute situation dans le monde des Chemins de fer, dans le milieu métallurgique et industriel, il le doit uniquement à ses qualités éminentes, à ses succès scientifiques et à sa grande pratique des constructions métalliques.
D'autres voix plus autorisées que la mienne vous diront ce qu'il fut à l'École Centrale, ce qu'il fut à l'Exposition de 1889 et à la Société des Ingénieurs Civils [1]; moi, je vous rappellerai brièvement la partie la plus importante de sa carrière : ces trente années d'une vie d'honneur, de science et de dévouement, consacrées à la Compagnie du Nord.

Victor Contamin naquit à Paris, le 11 Juin 1840, de parents dont la situation était des plus modeste. Dès son jeune âge, il révèle ses aptitudes pour les sciences mécaniques et, après de brillantes études au Collège Chaptal, il entre à l'École Centrale en 1857 pour en sortir le second en 1860. Il cherche alors sa voie : il construit quelques usines à gaz en Espagne ; puis, de retour en France, il entre à l'Assistance publique, sous la direction de Ser, pour s'occuper des questions de chauffage et d'aération.
Mais bientôt, ne trouvant plus le champ assez vaste pour ses aspirations, Contamin sollicite son admission au Chemin de fer du Nord et débute en 1863 sous la direction d'Alquié. Tout d'abord, simple dessinateur, il attire vite l'attention de ses supérieurs par l'étendue et la solidité de ses connaissances techniques et surtout par sa vive compréhension des questions si difficiles de résistance des matériaux.
Il remplit successivement, dans le Service du Matériel des Voies, les fonctions d'Inspecteur, d'Ingénieur à partir de 1876, pour arriver enfin, en 1890, au grade d'Ingénieur principal.
La diversité des attributions de ce service si important cadre à merveille avec son esprit d'investigation et de recherche ; il ne perd jamais de vue le but utile à atteindre, et, tout savant qu'il est, se garde bien de se laisser dévier par son goût pour la science pure ; il sait que, dans les chemins de fer, la théorie et la pratique doivent toujours marcher de front.
C'est dans cet ordre d'idées qu'il étudie et préconise le rail d'acier de 30 kg qui a si bien résisté, et résiste encore si bien, à une circulation des plus actives sur les lignes les plus fatiguées du Nord ; puis, lorsque l'augmentation toujours croissante du poids des machines paraît exiger pour l'avenir le renforcement du rail, il se sépare de sa première création, non sans un souvenir reconnaissant, pour adopter le rail de 45 kg.
Il perfectionne les appareils de voie, les plaques et ponts tournants, les chariots transbordeurs, les procédés méthodiques d'épuration des eaux d'alimentation des machines et, enfin, les systèmes d'enclenchements qui assurent, d'une façon si remarquable, la sécurité de l'exploitation.
Après l'étude, voici le rôle actif : il suit la fabrication de l'acier dans les principales usines de France et de Belgique; il répand l'application des mesures d'essai et passe maître dans cette partie de la science métallurgique. Plus tard, il comprend qu'à des rails acier, de longue durée, il faut des supports de longue durée également ; il accueille avec empressement et installe dans la belle usine de Villers-Cotterets le procédé de créosotage Blythe qui, sans être plus coûteux que l'emploi des sels de cuivre, double la durée des traverses.
En ce qui concerne les constructions métalliques, Contamin s'attache à préciser certaines méthodes de calculs, et il a le grand mérite de prévoir l'avenir, en faisant simple et lourd, système dans lequel l'excédent de poids est compensé par un prix moindre du métal, système dont de récents accidents ont démontré toute la justesse, au double point de vue de la résistance et de la conservation des ouvrages.
Il laisse malheureusement inachevé un travail considérable, relatif aux efforts exercés sur les pièces de pont par les charges en mouvement, étude du plus haut intérêt pour la vérification de résistance des tabliers métalliques sous l'action des surcharges accidentelles d'exploitation. C'est à cette œuvre qu'il consacra les loisirs de la retraite.

Entre temps et sur des sollicitations administratives, il s'acquitte avec plein succès de missions diverses très délicates, et c'est même à la suite d'une mission de ce genre concernant l'ascenseur de l'hôtel des Postes, que M. Alphand, ce maître illustre qui savait si bien discerner le mérite, comprend la valeur de l'homme et n'hésite pas, le 1er Août 1886, sans même le connaître personnellement, à lui proposer le poste si envié d'Ingénieur en chef du Contrôle des constructions métalliques de l'Exposition de 1889. Contamin ne se dissimule pas la lourdeur de la tâche ; il accepte, moins par satisfaction d'amour-propre que par la patriotique ambition d'être utile à son pays et aussi, me disait-il, parce qu'il ne se croyait pas en droit de refuser une offre qui était un grand honneur pour la Compagnie et l'École auxquelles il appartenait.
C'est alors, pendant trois années successives, un véritable travail à la vapeur; le succès dépasse toute prévision, et, Chevalier de la Légion d'honneur depuis 1885, il reçoit en 1889 la juste récompense de ses services, la rosette d'Officier.
Malheureusement il avait trop abusé de ses forces ; le tempérament le plus solide ne saurait résister à une tension d'esprit si énergique et si prolongée : Contamin s'éteint, avant l'âge, victime du devoir professionnel.

Le Palais (ou Galerie) des Machines, établi au fond du Champ de Mars, occupait toute la largeur du terrain de l’époque, c’est-à-dire englobant les immeubles le long de l’avenue de la Bourdonnais et ceux de l’avenue de Suffren, bâtis après 1900. Construit d’une seule voûte, il bat alors tous les records de construction. Dessinée par l'architecte Ferdinand Dutert (1845-1906) en collaboration avec l'ingénieur Victor Contamin, la nef de 77 000 m² au sol, de 34 700 m² de vitrage, a coûté 7 430 000 francs soit sept fois plus cher que la Tour Eiffel.

Et maintenant, Messieurs, que je vous ai énuméré les qualités de l'Ingénieur d'élite, laissez-moi vous dire quelques mots de l'homme privé.
Quelle nature loyale et généreuse ! Quelle affabilité pour tous ! Rien que son rire franc et bienveillant attirait instinctivement les cœurs à lui. Aussi ne comptait-il partout que des vrais amis. Il était tenu en haute estime et profonde affection par le Comité de Direction de la Compagnie du Nord, qui, en l'admettant à la retraite, voulut le conserver comme Ingénieur conseil du Matériel des Voies; il était chéri de ses Collègues pour lesquels il était plein de cordialité ; il était adoré de son personnel, dont il prenait les intérêts à cœur ; enfin, il était aimé des modestes travailleurs dont il cherchait constamment à améliorer les conditions morales et matérielles.
Quant à moi, qui, pendant plus de dix ans, ai vécu à ses côtés et dans son intimité, je perds le meilleur des amis. Puisse cette expression unanime des regrets apporter quelque adoucissement à la douleur de sa veuve [3] et de sa famille qui l'entouraient de tant d'affection et qui se trouvent si cruellement frappées !

La terre va bientôt recouvrir tes dépouilles, Contamin : mais ton âme veille là-haut, et ici bas ton souvenir restera parmi nous.
Adieu, Contamin ! Adieu, cher ami.

***

    Notes SHV

    [1] Les obsèques de M. Contamin furent célébrées le 26 juin 1893 au Temple de l'Oratoire, à Paris. D'autres discours furent également prononcés : M. Jousselin, président de la Société des Ingénieurs civils, a rendu hommage à la mémoire de son prédécesseur. M. de Comberousse, président du Conseil de perfectionnement de l'Ecole Centrale, a rappelé les services rendus par M. Contamin successivement comme répétiteur et comme professeur à cette École. M. Berthon a rappelé combien M. Contamin avait été dévoué à l'Association amicale des anciens élèves de l'École Centrale. Enfin M. Charton a adressé un dernier adieu à son collaborateur de l'Exposition universelle de 1889.

    [2] Élu à la présidence de la Société des Ingénieurs civils en 1890.

    [3] Adèle Jenny Sarah Priestley, sœur d'un collègue professeur à l'École Centrale, épousée à Paris en 1869.

     


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