D'après Louis Bigard, Les ponts du Chemin de St Germain sous Louis XIII. 1925.

Les dangers des bacs de Seine

Le chemin dit de la Chaussée qui, sous Louis XIII, conduisait à Saint-Germain, quittait Paris à la porte Saint-Honoré et, par les rues du bas et haut Roule, se continuait en « chemin du port de Neuilly », laissant les Ternes à droite. Passé le pont de Neuilly [Nully] — remplaçant depuis peu le bac — le chemin gravissait et contournait la butte Chantecoq, puis s’infléchissait au sud; par Rueil, il gagnait le Pecq en côtoyant la boucle de la Seine par la Chaussée-Charlevanne, puis il constituait, au delà du Pecq et de Saint-Léger, un fragment du grand chemin de Normandie, par Mantes, qui avait été amélioré sous Philippe-Auguste alors que Saint-Germain était à peine née.

Wilhelm & Joan Blaeu : Toonneel des Aerdrycks, ofte Nieuwe Atlas, 1658.

in Le Gouvernement de l'Isle de France par Damien de Templeux, escuyer du Sire du Frestoy.

Archives régionales de Leiden (Pays-Bas)

Un autre chemin, simple variante du précédent, quittait la route de la Chaussée au delà du moulin de Chantecoq, à la Croix-Nanterre; il passait devant l’église Saint-Maurice de Nanterre et, longeant le collège alors en construction des religieux génovéfains [1], gagnait par un chemin de terre le port du bac de Chatou. Il coupait, au delà de Chatou le bois de Cornillay ou de la Trahison jusqu’au port du Pecq et, à mi-côte du Pecq, regagnait la route de Normandie. Cette traverse raccourcissait, comme elle le fait encore de nos jours, le trajet de Paris à Saint-Germain de plus d’une lieue ; par contre, les risques étaient triplés du fait qu’en plus du bac de Neuilly, il fallait passer par deux autres bacs à Chatou et au Pecq et aussi parce que le bois de Cornillay était réputé peu sûr. Cependant, ce dernier chemin, dit des bacs, était très fréquenté l’hiver lorsque la route de la Chaussée-Charlevanne (Bougival) devenait impraticable en raison des inondations de la Seine, bien que le chemin de Nanterre au bac de Chatou ne fût pas toujours à sec [2]
Lorsque le bourg de Saint-Germain, créé après l'an mil autour de l’église vouée à Saint-Vincent et Saint-Germain, commença son ascension « royale », lorsque les monarques construisirent le château et en firent leur demeure habituelle, les deux chemins « par les bacs » ou « par la chaussée » connurent une fortune imprévue sans cependant que leur commodité s’accrût beaucoup.
L’attente aux bacs de Chatou et de Neuilly, les risques d’accès, étaient l’objet de réclamations constantes; les dangers du passage étaient tels que, chaque année, un nombre important de cas mortels était enregistré [3]. Henri IV, la reine et les princes manquèrent y périr en 1606. Les récits de Pierre de l'Estoile et de Dubreul sont connus ; celui de Jean Héroard, médecin du Dauphin (qui devait être Louis XIII), est plus coloré et probablement très près de la vérité :

Accident au bac de Neuilly en 1606 (Anonyme)

Photo (c) RMN-Grand Palais (Château de Pau) / René-Gabriel Ojéda.

    « Vendredi, 9 juin 1606. — ... A quatre heures, le Roi et la Reine partent pour s’en retourner à Paris; étant au port de Chatou, au delà de l’île, il faisait glissant à la descente, les chevaux reculent, poussent le bac, les roues de derrière du carrosse demeurent dans l'eau; et à la descente de celui de Neuilly, tout le carrosse tomba dans l’eau, à la main gauche de la Reine, étant à la portière, et le Roi couché du long en dedans, où il s’était mis un peu auparavant pour dormir. Ce fut ainsi que les chevaux étoient près d’entrer dans le bac ; l’un de ceux de derrière glisse, le cocher le fouette, se voulant relever, il retombe, tire et fait tomber son compagnon, et le carrosse renverse en l'eau, sur la nacelle attachée au bac, qui s’enfonça, mais empêcha que le carrosse n’allât tout au fond. Mr de Montpensier se jeta le premier dehors par la portière qui étoit en l’air environ demi-pied. Mr de l’Isle-Rouet y va, appelle le Roi, qui n’avait que la tête et un bras hors de l’eau, lui prend les mains, le met hors de l’eau (le Roi) disant « Que l’on aille à ma femme », et en sortant rencontre Mr de Vendôme, qu'il met hors de l’eau. Cependant, la Reine était tombée dans l'eau, à la portière ; un valet de pied s'y jette, la prend par sa coiffure qui échappe, il la prend sous la gorge, et à l’aide de Mr de Chastaigneraie, ils lui mettent la tête hors de l’eau, et aussitôt elle demanda « Où est le Roi ?... » qui, l'entendant, se jeta dans l'eau pour l'aider à mettre dehors. Mme la Princesse de Conty fut toute la dernière, qui avait, du commencement, pris le sieur de l'lsle par la barbe, comme il tirait le Roi ; elle quitta pour ce qu’il l’empechoit » [4]

Henri IV, voulant faire du château de Saint-Germain une demeure vraiment royale [5], avait compris la nécessité d'en faciliter l'accès par un chemin moins capricieux. Il projetait la construction d’une chaussée directe reliant Paris et Saint-Germain et il avait conçu le remplacement des bacs de Neuilly, de Chatou et du Pecq par des ponts. On pourrait croire que les bacs — celui de Neuilly tout au moins — avaient vécu après l'événement de 1606 et que la construction du ou des ponts avait été aussitôt décidée. Ce serait mal connaître l’administration, celle de l’époque à peine moins lente que la nôtre. Lorsque Henri IV mourut (1610), la construction du pont était loin d’être achevée.

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    Notes de l'auteur:

    [1] Anne d’Autriche en posa la première pierre le 16 mars 1642.

    [2] ...« encore que tous les champs voisins (du parc Sainte-Geneviève) en soient souvent inondés par le bord de la rivière ». André du Chesne, Les antiquités et recherches des villes, etc., Paris (1648) page 225.

    [3] ...« 31 mai 1602, vendredi. - Mme Boursier, sage-femme de la Reine, vient voir le Dauphin avec sa compagnie dont en s’en retournant, il se noya au bac de Neuilly une femme grosse et une fille de douze ans. — 6 avril 1605, mercredi. - Notre coche faillit à tomber dans la rivière au port de Neuilly, nous y courûmes grande fortune » (Journal de Jean Héroard sur l’enfance et la jeunesse de Louis XIII).

    [4] Journal de Jean Héroard, op. cit., Sauval dans Histoire et recherches sur les antiquités de Paris donne une version erronée quant au temps et aux causes de l’accident. Il termine par une gauloiserie qui doit être de son cru.

    [5] ... le roy Henri quatrième d’heureuse mémoire qui a rendu cette maison de ces prédécesseurs vrayement royale... André du Chesne, op. cit., p. 221.


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