Annales catholiques. Revue religieuse hebdomadaire de la France et de l'Église - 25e année, T97, n°1298, 27 juin 1896
Discours
pour la distribution des prix de l’Orphelinat du Vésinet
Œuvre des Alsaciens-Lorrains
Ernest Lavisse, de l'Académie française
21 juin 1896
Le 21 a eu lieu dans le parc de l'établissement de l'orphelinat du Vésinet, une intéressante fête locale. On a procèdé, devant une assistance nombreuse, à la distribution des prix de l'orphelinat du Vésinet, fondé par la société de protection des Alsaciens-Lorrains, que préside avec un si grand dévouement M. le comte d'Haussonville.
Le discours de circonstance a été prononcé par M. Ernest Lavisse, de l'Académie française, qui a salué les bonnes religieuses de Saint-Charles de Nancy, et félicité les orphelines de recevoir une éducation qui se propose de faire d'elles de bonnes chrétiennes, de bonnes ouvrières, de bonnes ménagères.
Citons encore ces réflexions de l'orateur :
"Il y a trois cent cinquante ans lorsque le pays de Metz fut réuni à la France, il y a deux cent cinquante ans lorsque L'Alsace fut réunie à son tour, il ne fut pas besoin de fonder en Allemagne unasile pour les enfants de réfugiés du pays de Lorraine ou du pays d'Alsace. Les Lorrains n'émigrèrent pas, ni les Alsaciens. Les sentiments des générations qui virent ces événements s'accomplir ne furent en rien semblables à ceux de vos pères à vous. L'Allemagne dont elles se séparaient n'était pas une patrie c'était une région vague, aux frontières incertaines; on ne savait où était la tête ni le coeur des "Allemagnes", comme on disait jadis.
La pauvre Alsace nous arrivait saccagée, dépeuplée par l'atroce guerre qui dura trente ans et qui était née du désordre allemand. Nous trouvâmes un désert avec des ruines. Peu à peu le désert se repeupla, les ruines furent relevées. L'Alsace devint si vite et si bien française que, du vivant même de Louis XIV, pendant les malheurs de la fin du règne, alors qu'on parlait de démembrer la France, le roi de France écrivait que "les habitants de l'Alsace sont plus Français que les Parisiens", et que l'Alsace, si on la rendait à la maison d'Autriche, "couverait un brasier d'amour pour la France et de fervents désirs pour le retour de son règne en ce pays."
D'ailleurs en ce temps-là, les gouvernements gouvernaient bien moins qu'aujourd'hui. Ils ne prétendaient pas prendre aux sujets toute leur âme. L'usage de la langue allemande ne fut défendu, ni dans les écoles, ni dans les églises. Les vieilles coutumes furent respectées et, en devenant Française, l'Alsace demeura l'Alsace. Les gouvernements ne prélevaient pas de la même façon qu'aujourd'hui l'impôt du sang. Il n'y avait pas d'armées vraiment nationales, où tout le monde servait par devoir.
Un homme n'était-pas contraint, comme pourraient l'être aujourd'hui les Lorrains et les Alsaciens, à s'armer, à tuer ou à mourir, en combattant contre un pays qu'ils considèrent toujours comme leur patrie. Cette chose horrible et qui rappelle les servitudes antiques était inconnue. Aussi les Lorrains et les Alsaciens demeurèrent en Lorraine et en Alsace, au lieu que de nos jours un si grand nombre ont préféré, préfèrent encore, l'exil, si dur qu'il soit, à la dure loi de l'étranger, et ceux qui demeurent, gardent au fond du coeur la protestation et l'espérance."
Il y a là un certain nombre de vérités historiques qui ont leur prix, surtout dans la bouche d'un universitaire-académicien.
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Ernest LAVISSE (1842-1922) Né à Nouvion-en-Thiérache (Picardie), le 17 décembre 1842. (Source: Académie française) |
Société d'Histoire du Vésinet, 2011 - www.histoire-vesinet.org