D'après le Mercure universel, 12 octobre 1794.

Manœuvres révolutionnaires dans le bois du Vésinet

Vous traversez la forêt du Vésinet : les petites têtes roses des bruyères vous regardent en riant ;

le chêne étend vers vous ses branches moussues auxquelles le chèvrefeuille paresseux

suspend ses grappes de fleurs qui vous parfument comme un encensoir !

Partagé entre les communes de Chatou, Croissy, Le Pecq et Montesson par une décision du Conseil général du district de la Montagne Bon-Air en date du 10 décembre 1793, le bois du Vésinet ne pouvait cependant être défriché ou morcelé, considéré qu'il était comme un bien national réservé. Il ne s'y passait donc rien et les manœuvres des élèves de l'Ecole de Mars en octobre 1794, dont le récit est reproduit ci-dessous, fut donc pour les hôtes de la forêt et les habitants des villages alentour, un événement rare, d'autant plus fugace que l'école fut fermée quelques jours plus tard.

Vue du camp de l'École de Mars sur la plaine des Sablons.

Dessin de E. Béricourt.1794.

    École de Mars

    Bulletin des opérations du camp de Grésillons près Poissy,

    le 14 vendémiaire, An troisième de la République Française une et indivisible

     

    En conséquence de l’arrêté du comité de salut public et de celui des représentants du peuple près de l'Ecole de Mars, aujourd'hui, à six heures du matin, tambour battant et drapeaux déployés, les élèves de ladite école, ayant à leur tête les représentants et le général, sont sortis du camp des Sablons [1]; ils se sont mis en route pour en aller former un camp sur le terrain des Grésillons, près Poissy [2] et apprendre, par des courses sur les hauteurs voisines, à élever des retranchements, les attaquer et les défendre, se retirer à propos pour s’avancer ensuite avec avantage; enfin s'exercer à toutes les manœuvres d'une armée marchant à l'ennemi.

    On eût dit qu'ils allaient remplir cette glorieuse tâche ; leur fierté républicaine, jointe à une exacte discipline pendant la route, leur donnait l’air de vieux soldats marchant à la victoire.

    Voici l'ordre de cette petite armée : Un détachement de cavalerie et d’infanterie, commandé par un chef de millerie [3], formait l’avant-garde.

    A une demi-lieue de distance, derrière le détachement, marchait l'armée avec son artillerie, les bagages, et distribuée de la manière suivante : Les trois milleries, précédées de leurs chefs, formaient une seule colonne à la tête de laquelle étaient les représentants et le général ; ensuite marchaient les élèves de l'artillerie et du génie, commandés par leurs chefs respectifs ; immédiatement après était le parc suivi de ses caissons ; enfin venaient les chariots, caissons, et voitures conduisant les effets de campement, les subsistances et tout le bagage, ce qui occupait un grand quart de lieue. [4] Un détachement de cavalerie et d'infanterie formait l'arrière garde ...

     

    Uniformes des élèves de l'Ecole de Mars.

    D'après des dessins de David. 1794.

La traversée de la forêt du Vésinet offre à la longue colonne de plus d'un kilomètre de long l'opportunité d'une première halte. Il n'y a pas encore, à cette date, de terrain défriché pour servir de champ de manœuvre militaire et la colonne doit faire sa pose le long de la Grande Route de Paris, le temps d'une collation. Une autre halte se fera un peu plus tard dans la traversée de la forêt de Montagne-Bon-Air (nom révolutionnaire de St-Germain-en-Laye).
Après avoir été reçue avec les plus vifs applaudissements à Nanterre, à Chatoux [sic], au Pecq, à Montagne-Bon-Air et enfin à Poissy, la garde nationale de ces divers lieux s'étant mise « sous les armes » et la troupe de l'Ecole portant les siennes « en battant au champ dans ces différentes communes », la petite armée arrive enfin sur le terrain qu'elle doit occuper.

    ... Il était trois heures après midi.

    Rangée en bataille dans la plaine, elle a reçu ses tentes et autres effets de campement, qui ont été distribués à chaque millerie et à chaque arme sur le terrain qui lui était assigné ; le parc d’artillerie et la cavalerie ont été aussi se placer à l’endroit qui leur avait été indiqué. En moins de deux heures, les tentes rangées sur une seule ligne et sur quatre de hauteur, ont été dressées, et le camp, tracé par l'ingénieur en chef et le général, a été formé.

    Voici sa position : Devant lui est la plaine dont il occupe une partie, et qui, à la distance d’une portée de canon, se termine par une pointe de triangle. A droite et à gauche sont des hauteurs sur lesquelles on se propose d’aller faire des manoeuvres d'attaque et de défense, en occupant des gorges et défilés qui s'y rencontrent. Le derrière du camp est défendu par la rivière, qui n’en est qu’à une portée de fusil, et protège encore la gauche, en décrivant un cercle autour d'elle, presque jusqu'à la pointe triangulaire dont on a parlé. Une grande garde de 50 hommes par millerie a été établie et divisée en plusieurs postes à cent toises en avant et sur les flancs. Cinquante hommes de cavalerie ont été aussi de cette garde, outre un piquet de cinquante autres qui a reçu l’ordre de se tenir prêt à marcher. La nuit, des patrouilles et rondes commandées par les chefs supérieurs ont été faites comme à l’armée. Le mot d’ordre était "exemple" ( les chefs) et celui de ralliement, "récompense".

    Le commissaire des guerres, qui avait fait la revue du départ du camp des Sablons, a assuré le transport des effets de campement, les subsistances, et devancé l'armée au camp des Grésillons, l'y a reçue, et fait pourvoir à tout ce qui lui était nécessaire. L'appel fait, et auquel tout le monde a répondu, l'effectif s'est trouvé, savoir: 2,806 élèves, 142 instructeurs, 155 employés des transports, agents, charretiers, palefreniers et ouvriers : total 3,103 hommes. Laissé au camp des Sablons 307 élèves, 20 instructeurs, 303 au quartier de santé, total 630 hommes.

    Au camp des Grésillons, le 15 vendémiaire au matin, An troisième de la République française une et indivisible.

    Le commissaire des guerres près l'Ecole.

    Signé : Collet [5].

Le 15 octobre, les élèves regagnèrent leur camp des Sablons par le même chemin, non sans avoir remis en état le terrain occupé par leur campement ou utilisé aux divers exercices. « Ils ne peuvent, disait Chanez, quitter le camp des Grésillons sans rétablir les terres dans l'état où ils les ont trouvées ; il en résulterait des réclamations infinies qui entraîneraient des indemnités onéreuses pour la République ».

Le camp des Grésillons vu par la presse

Archives municipales de Bordeaux.

L'École de Mars, avait été créée par la Convention le 13 prairial an II (1er juin 1794), après lecture d'un rapport fait par Barère au nom du Comité de Salut public. Il s'agissait de fournir à environ 3.000 jeunes gens, de 16 à 17 ans, fils de paysans et d'artisans, ou de volontaires blessés en défendant la patrie, une éducation révolutionnaire et républicaine. A cet effet ces jeunes gens seraient réunis dans un camp et soumis à une série d'exercices corporels et de travaux manuels ; en même temps, on aurait soin de ne pas négliger leur instruction : mais pas de longues théories, rien que des démonstrations pratiques propres à fixer leur attention et à « instruire en amusant ». Tel était le programme, dressé sous l'influence directe de Robespierre, qui fut approuvé par la Convention. Deux représentants, ardents jacobins, Le Bas et Peyssard, furent chargés de prendre les mesures convenables pour qu'il fût promptement réalisé. Grâce à leur activité, l'ouverture solennelle de l'École eut lieu dès le 8 juillet, dans la plaine des Sablons, où le camp avait été établi.

l'École de Mars n'eut qu'une courte existence. Commandée successivement par les généraux La Bretèche et Chanez, elle ne tarda pas à devenir suspecte, après le 9 thermidor, parce qu'elle était une création du parti montagnard. Sans doute, après cette date, vit-on à plusieurs reprises ses élèves figurer au premier rang dans les fêtes publiques à côté de la Convention, mais sa fermeture était inévitable ; elle fut décidée par la Convention le 23 octobre 1794, moins de deux semaines après l'exercice rapporté ci-dessus. D'ailleurs, vu la saison, le séjour sous la tente devenait pénible et la plupart des élèves regrettaient la vie de famille.
Le 8 novembre, il n'y avait plus personne au camp des Sablons. [6]

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    Notes et sources :

    [1] Camp des Sablons. l'École de Mars est installée dans la plaine des Sablons, à Neuilly-sur-Seine, aux portes de Paris. Elle doit recevoir de jeunes citoyens, six par district, choisis parmi les fils de sans-culottes pour former les cadres de l'Armée révolutionnaire. Institution éphémère, elle sera fermée le 2 brumaire an III (23 octobre 1794).

    [2] Camp des Grésillons. Deux fermes (petit et grand Grésillons) furent vendues comme bien national et leur propriétaire, Pierre Gilbert de Voisin, seigneur de Villaine, fut guillotiné à son retour d'émigration. Elles occupaient un domaine sur les actuelles communes de Triel et Carrières-sous-Poissy. "Un pavs où il y avait des hauteurs, des vallons et des chemins creux , pour acquérir , comme disait Chanez, une idée des marches militaires , des positions, des retranchements, des attaques, des combats, des rencontres, des reconnaissances armées de jour et de nuit."

    [3] Millerie : Formation de l'Ecole de Mars, elle regroupe dix centuries. Elle correspond à un régiment. Elle est placée sous le commandement d'un millerion.

    [4] La lieue métrique française vaut exactement 4 km ; la lieue terrestre ou lieue commune de France valait 1/25 de degré du périmètre terrestre, soit exactement 4,4448 km. Un quart de lieue valait donc ici environ 1,2 km.

    [5] Ferdinand-Marie Collet, né à Versailles le 20 février 1759, fut capitaine de la Garde nationale de cette ville. Nommé à l'Ecole de Mars de juin à novembre 1794. Il est mort de la fièvre à Madrid, en 1809. Sous l'Ancien Régime, la période révolutionnaire et le Premier Empire, le Commissaire de Guerre est un fonctionnaire chargé des tâches d'administration, de comptabilité, d'intendance et de logistique militaires.

    [6] Arthur Chuquet. L'Ecole de Mars (1794), (Paris)1899.

 


Société d'Histoire du Vésinet, 2020 • www.histoire-vesinet.org