Echos du Passé, Le Vésinet, revue
municipale n°49, décembre 1979, et n°50, mars 1980 [extraits] [1]
Témoignages - Le Vésinet de notre enfance
... Si chacun en fait l'effort,
montent à la surface du présent des images,
pêle-mêle, sans lien ni cohérence, ni chronologie,
souvent confuses et floues comme ces vieilles
photographies un peu jaunies retrouvées au fond
des tiroirs, des images, et aussi des noms, des
lieux, des scènes qui sortent de l'oubli dans ce
coin du grenier de la mémoire où nous attendait la
malle aux trésors du passé...
A l'école
En ce temps-là, chaque hiver ou presque, il neigeait et souvent la semaine de Noël. Une neige
qui tombait drue sur les capuchons et les
pélerines... Les garçons qui allaient à l'école
portaient tabliers noirs, culottes de velours,
galoches cloutées qui faisaient des étincelles sur
le bord du trottoir en bas du pont d'Alsace, en
face de chez Rossello, où les peintres en blouse
blanche buvaient le coup de rouge sur le
zinc...
On avait les cheveux coupés à la Jeanne d'Arc, une
frange qui tombait sur le front, un cartable
toujours trop bourré avec l'ardoise, l'éponge, le
plumier, les cahiers et les crayons...Avant de
partir, ma grand-mère me mettait un bonbon au miel
dans la bouche en recommandant de ne pas respirer
pour ne pas attraper du mal...
L'école s'appelait l'école
des garçons, les filles étaient ... autre part, on
ne s'en occupait pas. La femme du directeur, Mme
Vovard, faisait la classe aux petits.
En deuxième, c'était M. Dubray qu'on appelait "Tête
carrée" (Oh pardon, cher M. Dubray !). De temps en
temps, il distribuait des coups de règle sur les
doigts, tachés d'encre; les plumes Sergent Major se "becquettaient" tout le temps.
Maurice Dubray dans sa classe
[...] J'ai
tout d'abord été à la "maternelle", dirigée par Madame
Cottin, puis à la "grande école", l'école communale de
l'avenue des Pages où j'ai connu le directeur, Monsieur Vovard,
mais aussi Monsieur Faivre et Monsieur Flaunet. Je revois encore
dans la classe de Monsieur Faivre les trois grandes cartes cartonnées,
accrochées au mur, au-dessus du tableau noir, nous montrant la France
et ses départements (nous les apprenions à l'époque), la carte des
principales lignes de chemins de fer et la carte de l'Europe. Pour
rendre les murs moins nus, il y avait les "affiches des
chemins de fer de l'Etat", invitant à partir en voyage,
pour visiter le Mont Saint-Michel, Rouen et sa cathédrale, les Falaises
d'Etretat...
Les familles ne voyageaient pas beaucoup, en ce
temps-là. Les plus riches allaient à Deauville. Peu de gens, connaissaient
la Côte-d'Azur. Je me souviens qu'en 2e classe, celle de Monsieur Flaunet,
après avoir demandé de l'argent à nos parents pour faire un cadeau
à notre maître, nous lui avions offert un Cinéma Pathé-Baby,
lequel n'avait pas de moteur. Il fallait tourner la manivelle à
la main. Mais, chaque semaine après la leçon, nous avions droit
à une séance de cinéma, suivie, pour notre grand plaisir, d'un film
de Mickey ou de Félix le Chat.
Classe de Monsieur
Vovard, Le Vésinet 1926
J'avais, comme mon frère, les
cheveux coupés courts, avec une frange sur le front et portais tablier
noir et capuchon, ce dernier bien trop long, mais il fallait qu'il
fasse de l'usage [...]. En 5e, lorsqu'il y avait une mauvaise odeur dans la classe,
la maîtresse épluchait une mandarine, s'en mettait la peau sur le
nez et pinçait celui-ci, tout en continuant à nous apprendre à lire.
Je revois encore, venant de l'Asile, la voiture et son cheval qui
transportait un petit groupe d'élèves habitant dans ce quartier
éloigné.
Nous aimions, lorsque la Compagnie des Eaux vidait les petites rivières derrière la Mairie, patauger pieds
nus dans la vase, pour y attraper des poissons. Un jour, j'avais
pris une carpe avant d'entrer à l'école à 13 heures et celle-ci,
ayant la vie dure, donnait des grands coups de queue dans ma case
où, je l'avais cachée.
Dans la case, sous la table où des générations de
gamins avaient gravé leurs noms, on cachait les
catalogues des grands magasins, que le facteur,
impatiemment guetté, distribuait dans les boîtes
aux lettres au début de décembre. A la "récré", on
regardait, on comparait, on choisissait, on
supputait, on rêvait de la "loco" du train
électrique, du "mécano", du dernier album des
"Pieds Nickelés"... On rêvait aussi d'aller à
Paris voir les vitrines animées dans les flots de
lumière et de voitures...
Un jour, dans la classe de Monsieur Faivre,
le fils ainé de Monsieur Delaunay, boulanger à la gare du Vésinet,
jouant à allumer des allumettes souffrées, fut surpris
par l'instituteur et jeta la dernière allumette dans la bouche à
air chaud du calorifère ; ce dernier, rempli de vieux papiers, se
mit à cracher de la fumée et le feu se déclara dans la conduite
du chauffage. On évacua la salle de classe et le directeur prévint
les parents, après avoir fait appel aux pompiers.
Le jeudi, nous
allions chez Verthier, acheter "Cricri", "Le
Bon-Point", "L'Epatant" ou encore "L'Intrépide",
que nous échangions après les avoir lus, avec les copains. Au mois
de mai, on secouait les arbres, pour ramasser les hannetons et ensuite
les porter dans un tonneau, derrière la Mairie où l'on nous donnait
dix sous. Et, je me rappelle encore, que chaque mardi, à 16 heures,
nous partions de l'école à pied, pour aller jusqu'à un terrain de
la ville, situé près du cimetière du Vésinet, pour y prendre des
leçons de jardinage.
Pour prendre patience, en rentrant de l'école -
c'était sur le chemin - on s'arrêtait chez Mme
Seclin pour acheter du bois de réglisse et des
roudoudous et pour un sou on avait deux
caramels...
Noël
"Tant crie-t-on Noël qu'il vient" disait
déjà François Villon. C'était d'abord l'arbre de
Noël du Temple en fin d'après-midi. On avait droit
à un jouet, à une tablette de chocolat, à une
orange - une merveilleuse orange à l'écorce bien
dure et luisante - que nous distribuait la bonne
Mlle Caesar, et Mme Fleury qui
jouait de l'harmonium...
Et puis le 24 décembre arrivait... A la maison,
les préparatifs duraient depuis plusieurs jours.
Dans la cuisine, où ça sentait bon, il y avait des
dents de loup, des gâteaux à l'anis, des
croquignoles, on farcissait la dinde que mon père
découpait en faisant le bonnet d'évêque...
Pour que les enfants ne puissent rien surprendre,
on avait tendu des couvertures devant les portes
vitrées du salon pendant la décoration du sapin...
Merveilleux sapin qui montait jusqu'au plafond
avec sa grosse étoile qui scintillait au sommet,
un petit Père Noèl rouge juste en dessous, les
guirlandes d'or, les boules et les bougies
multicolores et au pied de l'arbre, les paquets
qu'on ouvrait, les jouets tant attendus, tant
espérés, et la crêche avec les rois mages, le
boeuf, l'âne (qui n'avait que trois pattes), le
petit Jésus sur son lit de paille...
...
A
l'époque, c'était Monsieur Shakleton qui en était le pasteur et
qui m'a fait la communion, avec Visconti (photographe à Chatou),
Duplat, Piveteau, etc. Je devais avoir 15 ans. J'ai bien connu Mademoiselle
Caesar et ce sont Mesdemoiselles Shakleton et Gromest qui nous faisaient
l'école du dimanche. Chaque dimanche et lorsque nous étions "présents".
sur un carton où figurait en dessin une grappe de raisin, elle collait
sur notre grappe, un grain rouge et si nous étions absents, elle
collait un grain vert. Aussi, à Noël, à l'appel de notre nom, devant
tout le monde, comme nous étions fiers d'apprendre que nous avions
52 grains rouges. Puis, c'était la distribution des cadeaux et les
chants de Noël, sans oublier, la tablette de
chocolat, l'orange et un petit pain au lait, offert par Monsieur
Gromest, boulanger place de l'Eglise [...]
La Salle des fêtes
En face de l'Ecole, il y avait la Salle des Fêtes où
chaque année au concours agricole grand-papa
exposait ses fruits, il était très fier de ses
poires - des "Beurré-Hardy", je me souviens qu'on
lui donnait un prix, il y avait aussi des dahlias
et des chrysanthèmes.
...Ah oui ! Comme ils étaient magnifiques, ces chrysanthèmes, ces légumes,
ces fruits. On pouvait lire, devant le stand de chaque
exposant, sur une pancarte, et avant son nom, l'inscription "hors-concours",
ou "médaille de vermeil" ou d'argent etc. L'Exposition
finie, les billets d'entrée, donnaient droit au tirage de la tombola
et chacun attendait espérant emporter une de ces plantes..
.
Société d'horticulture du Vésinet
Dans la salle des fêtes, fin juillet, avait lieu la distribution des prix. Nous mettions notre
costume du dimanche et le premier de chaque classe, "prix d'honneur",
tout en montant sur la scène pour y recevoir ses prix, avait droit
à une Marseillaise, jouée par l'Accord Parfait, dirigé par
Monsieur Ducouret. Comme nous étions fiers et comme nos prix étaient
beaux, rouges et dorés sur tranche.
Pour rester dans le cadre
de notre salle des fêtes, je me souviens qu'un jour une chanteuse
y était venue chanter et, sur sa demande et pour l'accompagner dans
son répertoire de vieilles chansons françaises, notre maître, nous
faisait apprendre les refrains des chansons qu'elle devait interprèter.
Jusque-là, pas de problème, mais le jour où l'artiste devait se
produire sur scène, on nous réclama le prix de notre entrée! Aussi,
avec les élèves de ma classe on n'était pas d'accord et on a refusé
de chanter. Tout a fini par s'arranger, on a chanté et on n'a pas
payé notre place.
Je me rappelle aussi les films qu'on y passait
en plusieurs épisodes. Les Trois Mousquetaires, 20 000
Lieues sous les Mers, Le Bossu ... tous accompagnés par
un pianiste qui jouait sans arrêt.
En ce temps-là, nous achetions
du "gros pain" et le boulanger y mettait la pesée. Maman,
pour notre goûter, nous donnait une tartine de pain sec et une demi
tablette de chocolat à croquer. On ne connaissait pas les "Choco".
Tout cela a changé, heureusement pour nos petits enfants.
Il y aurait
encore tant de choses à raconter... Les leçons de gymnastique, dirigées
par Madame Hess, et qui avaient lieu dans île des Ibis. La belle
fête du Vésinet, avec son manège de cochons galopants et son manège
d'autos-montagnes russes... La "fanfare" avec ses clairons
et tambours, dirigée par Monsieur Suze...L’équipe de football du Vésinet fondée par MacNair, qui tous les dimanches,
donne un match suivi avec passion par les Vésigondins.
Et je n'oublie pas les "bigophones",
aux Charmettes. Et les départs du Tour de France,
devant chez "Rudolphe", avec Charles Pelissier, André
Leduc, Antonin Magne, Maurice Archambaud, Georges Speicher, etc.
et notre regrettée Joséphine Baker qui leur donnait le départ...Et
les courses cyclistes autour des Ibis...
Oui, qu'il était beau
notre village.
****
[1] D'après les témoignages mêlés de Robert Garnier et Alain Jonemann .