D'après Edmond Héguin de Guerle pour L’Industriel de Saint-Germain-en-Laye, 31 juillet 1869.

La fête du Vésinet (1869)

    racontée par Édmond de Guerle

Monsieur le Rédacteur, selon ma promesse [1], je vous envoie, non pas un compte-rendu détaillé, mais une simple appréciation de la fête du Vésinet ; elle sera d’autant plus désintéressée que je n’ai ni terrain, ni maison à vendre au Vésinet. [2]
Ennemi irréconciliable de la chaleur et de la poussière, je n’ai assisté ni aux courses de vélocipèdes ni aux autres divertissements qui ont eu lieu dans la matinée, et par conséquent je n’en parlerai pas. Invité par un de mes vieux amis [3] à un dîner qui s’est prolongé jusqu’à huit heures et demie, je me suis rendu avec lui sur la pelouse au bout de laquelle se dressait l’échafaudage du feu d’artifice. De nombreux spectateurs nous y avaient déjà précédés, et, assis sur le gazon, préludaient par de joyeux chants aux plaisirs que leur promettait la soirée.
A neuf heures précises, deux fusées allumées par M. Pallu, directeur de la compagnie du Vésinet, donnèrent le signal d’ouvrir le feu, et, au même instant commencèrent et se prolongèrent pendant près d’une demi-heure tous les prodiges de la pyrotechnie : soleils , pyramides et cascades de feu, bombes lumineuses retombant en pluie d’or et en perles multicolores, etc.

Ce n’était que festons, ce n’était qu’astragales ; et, pour le bouquet, la façade d’un temple surmontée d’un cartouche aux armes du Vésinet : un chêne et deux marguerites en champ d’azur et d’argent, avec cette légende : Robur et Venustus, Force et Beauté, le tout parfaitement réussi [4]. Aussi, le public émerveillé témoigna son approbation par de chaleureux applaudissements que méritait, à juste titre, l'ordonnateur de cette partie de la fête.
La foule se dirigea ensuite au champ de foire où nous la suivîmes. Là, d’un centre commun, partaient plusieurs allées splendidement éclairées par des arcades de verres de couleurs ; c’était un coup d’œil vraiment féerique. De tous côtés s’offraient aux promeneurs les attractions ordinaires de ces sortes de fêtes ; les décevantes loteries d'objets de ménage où l'on dépense parfois cinq francs pour gagner un verre soi-disant de Bohême, une tasse qui n’a jamais vu Sèvres, ou quelque autre objet d’aussi mince valeur ; mais passons.
Voici les chevaux de bois, la joie des enfants, qui y prennent — sans danger — leurs premières leçons d’équitation ; plus loin des balançoires, des escarpolettes et un cirque plus ou moins olympique.
Mais que vois-je ? un théâtre dont l'affiche annonce une représentation de la Tour de Nesle, ce drame émouvant d’Alexandre Dumas et Gaillardet. Je n’éprouve cependant aucune envie d’y entrer, pour comparer le talent de ces artistes forains avec celui de Frédéric Lemaître et de Mlle Georges, que j’ai jadis applaudis dans cette pièce à grand succès.
Mais il est déjà dix heures, et, pour terminer la soirée, nous nous dirigeons vers la salle de bal où nous attirent les sons d'une musique vive et joyeuse. Là s’est réunie toute la jeunesse du Vésinet et des environs ; elle s’y livre, malgré la chaleur, à des danses qui ne sont peut-être pas rigoureusement conformes aux règles de la chorégraphie, mais qui, pourtant, n'ont rien de trop excentrique; je puis affirmer qu’aucune danseuse n’y élève la jambe à plus de quarante-cinq degrés au-dessus du sol, mesure légale ; aussi le rôle des bons gendarmes, ces pudiques modérateurs de la gaieté française, est-il en cet endroit une véritable sinécure.

Charmé de tout ce que j’ai vu ; mais surtout enchanté de retrouver, en sortant de cette étouffante atmosphère, la fraîcheur et le calme de la nuit, je prends le bras de mon ami, qui me guide à travers le dédale des allées de la forêt, où je me serais infailliblement perdu sans son secours. Au total la fête du Vésinet est assurément une des plus jolies et des plus fréquentées des environs de Paris.
Il est vrai de dire que la société Pallu et Compagnie ne ménage rien pour en augmenter l’agrément. [5]

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    Notes et sources :

    [1] A cette date, M. Héguin de Guerle était administrateur du Journal.

    [2] M. de Guerle joue sur les mots. Il a fait l'acquisition de près d'un hectare auprès de la Compagnie Pallu et Cie en 1868 (Commune de Chatou, section G du cadastre de 1864) et la maison sera imposée en 1870.

    [3] Ce pourrait être Hippolyte Chaminade, père de l'enfant prodige et future compositrice Cécile Chaminade. Tandis que M. de Guerle est directeur général de la filiale parisienne de la Gresham (compagnie d'assurances anglaise) M. Chaminade en est l'inspecteur général. Tous deux ont été témoins de l'enregistrement de l'acte de décès du beau-père de M. de Guerle, l'auteur dramatique Galoppe d'Onquaire en janvier 1867. M. de Guerle habitait alors chez son beau-père, dans une propriété de la route de la Plaine dont la maison n'existe plus.

    [4] Les armoiries du Vésinet que nous connaissons aujourd'hui ne seront dessinées et adoptées que vers 1900. En 1869, le blason que décrit M. de Guerle est celui proposé en 1865 par le peintre Couverchel pour la paroisse Ste Marguerite ; ".un écu d'or à l'arbre de sinople, au chef d'azur cartonné à dextre et à senestre de deux marguerites d'or".

    [5] Édmond de Guerle sera souscripteur du projet de ville écolière de Pallu en 1877. Il sera aussi membre du Comité de l'Orphelinat des Alsaciens-Lorrains (1889-1891) et président d'honneur de la section locale de la Société de Secours aux blessés militaires.

 


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