Texte anonyme de la fin du XIXe siècle d'après Saint-Simon, Tome IV (1829) p.116-117.

L'histoire de Fieubet et de Courtin

Saint-Simon raconte une anecdote qui arriva vers 1685 et qui eut la forêt du Vésinet, probablement, pour théatre. [1]
Fieubet, conseiller d'Etat, homme très capable et d'un esprit charmant, était recherché par tout ce qu'il y avait de distingué parmi les gens de la cour et de la ville. Il avait été chambellan de la reine et était parfois gros joueur. Un jour, il menait dans son carrosse, au Conseil à Saint-Germain, son ami Courtin [2], autre conseiller. Or, on volait fort dans ce temps-là. En traversant les bois, le carosse fut arrêté et nos conseillers fouillés et volés. Fieubet fut dépouillé de tout ce qu'il avait, mais Courtin avait été plus heureux. Comme les voleurs s'étaient sauvés, Courtin railla Fieubet qui se plaignait d'avoir été dévalisé, tandis que lui avait sauvé sa montre et 50 pistoles en les faisant glisser dans sa brayette. A l'instant, voilà Fieubet qui met la tête à la portière et appelle les voleurs. Courtin ne sait ce qu'il veut dire, et les gredins étonnés hésitent, puis s'approchant pour voir ce dont il s'agit.

    Messieurs, dit Fieubet, vous êtes d'honnêtes gens dans le besoin.

    Il n'est pas raisonnable que vous soyez dupes de monsieur qui vous a escamoté cinquante pistoles et sa montre...

Et à Courtin, il dit en riant:

    Monsieur, vous l'avez dit, croyez-moi, donnez-les de bonne grâce et sans vous faire fouiller.

L'étonnement et l'indignation de Courtin furent tel qu'il se laissa fouiller sans sourciller mais les voleurs retirés, il entra dans une telle colère qu'il voulut étrangler Fieubet, qui riait à gorge déployée. Arrivés à Saint-Germain, l'histoire fut vite répandue mais Courtin était furieux, et leurs amis commun eurent toutes les peines du monde à les raccommoder. [3]

Portraits de Gaspard de Fieubet (1626-1694) et Honoré Courtin (1626-1703)

(1) Gravure de Nicolas Pitau, d'après Claude Lefebvre (1662). Rijksmuseum et

(2) Gravure de Nanteuil d'après Bailleul (1668). Musée Carnavalet, Histoire de Paris.

En été 1691, M. de Fieubet se retirait pour toujours aux Camaldules (ordre monastique bénédictin) de Grosbois, près de Paris. Il avait confié au roi son dessein mardi passé (7 août), et a prié Sa Majesté de ne point encore disposer de sa place dans le conseil. Fieubet avait été chancelier de la reine. C’était un des hommes de France qui avait le plus d’esprit, et le plus agréable, et le plus désiré dans toutes les meilleures compagnies de la cour ami particulier des gens les plus distingués, et avec cela capable, intègre et appliqué. Avec ces talents, qu’il sentait, il ne put jamais, quoi qu’il fit, arriver à rien de plus qu’à être conseiller d’État. Cela, et la mort de sa femme sans enfants, le détermina à la retraite, où il s’ennuya tant que la jaunisse le prit, dont il mourut après quelques années. Mais il soutint ce grand parti avec courage et une piété non démentie. M. de Pontchartrain envoya un jour son fils le voir aux Calmaldules, qui, assez peu discrètement, lui demanda ce qu’il faisait là. Ce que je fais, dit-il tout franchement, voulez-vous le savoir? Je m’ennuie, mais c’est ma pénitence, et je me suis assez bien diverti toute ma vie pour m’ennuyer présentement. [4]

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    Notes et sources (SHV):

    [1] Saint-Simon, Tome IV (1829) p.116-117.

    [2] Honoré Courtin (1626-1703) diplomate et commis d’État apparenté à la famille des Le Tellier. Très proche du ministre Louvois. Il était en charge des discussions diplomatiques à la fin de la guerre de Hollande, puis nommé en 1673 au Conseil d’État.

    [3] Il existe à Saint-Germain-en-Laye, dans le Quartier des Ursulines, un Hôtel de Fieubet. C’est une maison acquise en 1670 par Gaspard de Fieubet, conseiller ordinaire du roi. Il la transforma en Hôtel avec porte cochère et le revendit en 1693 à Claude Caron, géographe ordinaire du roi.

    [4] Journal du Marquis de Dangeau, Tome III.


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