Jean-Paul Debeaupuis, pour SHV, été 2017. Flic et voyou (de fiction) au Vésinet Plusieurs personnages de fiction sont passés par Le Vésinet. Le Vésinet selon Maigret Le célèbre commissaire Jules Maigret, né de l'imagination prolifique de Georges Simenon (1903-1989) et si souvent transposé à l'écran sous les traits nombreux acteurs dont Jean Gabin, Jean Richard ou Bruno Cremer pour ne citer que les plus connus, est passé par Le Vésinet. On le découvre au détour d'une biographie de Simenon [1, 2]. [...] Il y a une poésie profonde dans les plus humbles natures mortes, une poésie flamande de peintre d'intérieur. Il y suffit d'une odeur de café, du reflet d'un cuivre. Un âge d'or est latent dans la réalité. C'est celui que découvrent les enfants. Maigret en garde la nostalgie. Oui, qui croirait que le gros Maigret, blasé sur l'homme, le lourd Maigret qui a entendu les plus noires confessions, puisse rêver encore d'un monde qui serait « comme sur les images » ? [...] Et Maigret se demande s'il est le seul à éprouver cette nostalgie ou si d'autres l'ont sans l'avouer. Tant « il aurait voulu que le monde soit comme on le découvre quand on est petit, c'est-à-dire comme sur les images ». « Et pas seulement les décors extérieurs, mais les gens, le père, la mère, les enfants sages, les bons grands-parents à cheveux blancs...« Un temps, avant 1914, avant le règne despotique de l'auto, à ses débuts dans la police, il avait situé ce paradis au Vésinet où les gros bourgeois avaient de « larges maisons en briques, aux jardins bien entretenus, garnis de jets d'eau, d'escarpolettes et de grosses boules argentées. Les valets de chambre avaient des gilets rayés de jaune ». Tout était ordre et beauté, luxe, calme et volupté. Le décor même semblait-il à Maigret, du bonheur et de la vertu. Et il avait été secrètement déçu quand une affaire malpropre avait éclaté là, dans des jardins si bien ratissés. Il gardait le regret enfantin de ce monde d'image où le valet de chambre du bonheur et de la vertu porte un gilet noir rayé de jaune. Renseignements pris, l'allusion au Vésinet est tirée de Maigret et la vieille dame, un roman de la série des Maigret publié en 1950. Mais en raison son caractère très secondaire – l'évocation d'un souvenir de Maigret sans lien direct avec l'action – elle n'a pas été retenue dans les adaptations pour l'écran : The Old Lady, téléfilm anglais d'Eric Taylor, avec Rupert Davies, diffusé en 1960 ; Maigret et la Dame d'Etretat, téléfilm français de Stéphane Bertin avec Jean Richard diffusé en 1979 ; Maigret et la vieille dame, téléfilm franco-belge de David Delrieux, avec Bruno Cremer, diffusé en 1994. Simenon
ne semble pas avoir séjourné au Vésinet mais il y avait des relations.
Son courrier en atteste. De plus, il y fait allusion dans d'autres
ouvrages dont La fuite de Monsieur Monde, roman de 1945, autre évocation d'un souvenir d'enfance en vacances au Vésinet et Le Fils, autre roman paru en 1957 où c'est encore par le truchement d'un souvenir évoqué par le narrateur qu'apparait Le Vésinet. Mais bien avant Maigret, un autre personnage tout aussi mythique et récurrent s'était intéressé au Vésinet, envisageant même de s'y installer. C'est le célèbre cambrioleur Arsène Lupin, héros de romans et nouvelles de Maurice Leblanc (1864-1941). Arsène Lupin, Vésigondin […] Le monsieur pénétra chez un pâtissier de la rue du Havre, en sortit avec un paquet de gâteaux, et se dirigea vers la gare Saint-Lazare. « Crebleu ! se dit Lupin, va-t-il prendre le train et me mener au diable ? » Il prenait le train. Lupin, tout en protestant, le prit aussi, et, dans le long compartiment encombré de voyageurs, ils filèrent de conserve sur la ligne de Saint-Germain. Le monsieur tenait fortement contre sa poitrine, comme une mère tient son enfant, la serviette de maroquin. Il descendit, au-delà de la petite ville de Chatou, à la station du Vésinet, ce qui réjouit Lupin, l'endroit lui plaisant infiniment. À douze kilomètres de Paris, encerclé par une boucle de la Seine, le Vésinet, ou du moins ce quartier du Vésinet, est soumis à des servitudes très rigoureuses d'aménagement et de construction, et développe autour d'un lac endormi sous des arbres, ses larges avenues ornées de jardins et de riches villas. Ce matin-là, les branches faisaient miroiter au soleil des gouttes de rosée qui restaient du givre de la nuit. Le sol était dur et sonore. Quel délice de marcher ainsi sans autre souci que de veiller sur la fortune de son prochain ! De jolies maisons, cernées par une avenue extérieure, s'élèvent au bord d'une première pièce d'eau, modeste étang, plus petit et plus discret, dont les rives appartiennent aux propriétaires mêmes des villas qui l'entourent. On passa devant la Roseraie, puis devant l'Orangerie, puis le monsieur souleva le marteau d'une maison qui s'appelait les Clématites. Lupin continuait sa route, à l'écart, de manière à n'être pas remarqué. La porte s'ouvrit. Deux jeunes filles s'élancèrent gaiement : – En retard, mon oncle ! le déjeuner est prêt. Qu'est-ce que tu nous apportes de bon ? Lupin fut charmé. L'accueil empressé que l'on faisait à l'oncle-gâteau, l'exubérance des deux nièces, la forme basse et un peu démodée de la maison, tout cela était fort sympathique. Il serait vraiment agréable de pénétrer dans ce milieu cordial et d'y respirer la tiède atmosphère d'une famille unie. Cinq cents mètres plus loin, c'était le grand lac, si pittoresque avec son île amarrée par un pont de bois. On y mange dans un excellent restaurant où Lupin fit honneur au menu. Après quoi, il contourna le lac, admirant, sur le côté extérieur de la route, d'aimables villas, closes pour la plupart en ces jours d'hiver. Mais l'une d'elles attira son attention, non pas seulement parce qu'elle était plaisante et gratifiée d'un jardin bien dessiné, mais aussi parce qu'un écriteau s'accrochait à la grille, et qu'on y pouvait lire : « Clair-Logis. Propriété à vendre. S'adresser ici pour visiter et à la villa des Clématites pour tous renseignements. » Les Clématites ! Précisément la villa où « mon oncle » déjeunait ! En vérité, le destin y mettait de la malice. Comment ne pas associer, en effet, l'idée de la serviette de cuir et l'idée du Clair-Logis ? Deux pavillons flanquaient la grille d'entrée. Le jardinier habitait celui de droite. Lupin sonna. Aussitôt, on lui fit visiter la maison, et tout de suite il fut ravi. C'est qu'il était adorable, ce Logis, un peu délabré, en ruine même, à certains endroits, mais si bien distribué et se prêtant si bien à une adroite restauration ! « C'est ça… C'est ça qu'il me faut, pensait-il. Moi qui désirais avoir un pied-à-terre aux environs de Paris pour y passer de temps à autre un paisible week-end ! Je ne veux pas autre chose ! » Et puis, quelle affaire merveilleuse ! Quelle aubaine inattendue ! Le destin lui offrait d'une part un logis idéal, et, de l'autre, de quoi acquérir ce logis sans bourse délier. La serviette de maroquin n'était-elle pas là pour financer l'acquisition ? Comme tout s'arrange ! [Chapitre I : Sur la piste de Guerre, pp. 6-7.] Le roman dont ce passage est tiré, La Cagliostro se venge, fut publié par Maurice Leblanc en 1935 [2]. On ne peut douter que l'auteur ait au moins visité le Vésinet car l'endroit est très présent tout au long de l'ouvrage (il sera cité 37 fois), les descriptions plausibles, les noms des villas aussi. La Roseraie, Les Clématites, le Clair-Logis existent ou ont existé, quant à l'Orangerie, si elle n'est plus connue aujourd'hui, aurait bien pu l'être il y a quatre-vingt ans. Un Clair-Logis existe encore aujourd'hui mais ni sa localisation, ni son style ne le lient à l'histoire du roman. Au milieu des années Trente, de nombreux articles vantaient les mérites du Vésinet, ses efforts pour assurer sa sauvegarde, son récent classement (1934) contribuant à en faire ce lieu très à la mode où les "vedettes" du moment venaient s'installer ou se reposer. En notant que Le Vésinet, « est soumis à des servitudes très rigoureuses d'aménagement et de construction », Lupin (Leblanc) traduit l'impact des défenseurs du Site dans la conscience collective par les nombreux articles qu'ils ont laissés, et il y contribue en s'en faisant l'écho. Editions Presses Pocket (1965). Le Vésinet apparaît sur la couverture Plus loin dans l'histoire (Chapitre 6 : La Statue, p. 68), l'installation du gentleman cambrioleur au Clair-Logis se confirme : ... à travers la France, sur la Côte d'Azur ou en Normandie, en Savoie ou aux environs de Paris, se préparait-il des oasis où il trouverait à portée de sa main ce repos éventuel. Une de ces oasis était sa propriété du Vésinet. Il y avait installé, comme dans ses autres domaines, d'anciens camarades à lui, un domestique-chauffeur, une cuisinière et des jardiniers-concierges, à qui il offrait ainsi une paisible retraite en souvenir des services passés ... Quelle belle définition de la villégiature. Maurice Leblanc aurait bien mérité une rue ou une allée dans la ville-parc. Il y a une rue Maurice Leblanc à Croissy-sur-Seine. Maurice Leblanc (1857-1923), Croissillon illustre, n'est pas comme on le croit le "père" d'Arsène Lupin, mais son homonyme, un inventeur de génie, ingénieur polytechnicien qui fut un des scientifiques les plus innovateurs de son temps. Lupin, Vésigondin d'opérette A l'insu peut-être de Maurice Leblanc, Raoul d'Averny alias Arsène Lupin avait déjà sévi dès 1930 au Vésinet sous la plume du librettiste Yves Mirande dans Arsène Lupin Banquier, opérette policière en 3 actes et 4 tableaux où Jean Gabin tient un second rôle (et quelques figurations) aux côtés des comédiens vedettes René Koval et Jacqueline Francell. Voici, la critique qu'en faisait L'Illustration lors de sa création : Depuis qu'il a été imaginé par la fantaisie féconde de M. Maurice Leblanc, Arsène Lupin est devenu un personnage classique. Ses avatars multiples de gentilhomme cambrioleur ont défrayé le roman et le théâtre. Grâce à M. Yves Mirande, le voici aujourd'hui établi banquier. Une actualité récente rend plausible cette métamorphose, et le public admet sans peine que d'un voleur professionnel à un brasseur d'affaires patenté la différence puisse être aisément comblée [4]. Arsène Lupin, banquier, n'est pas, au reste, une comédie, mais une opérette policière aux péripéties des plus divertissantes et qui a remporté aux Bouffes-Parisiens le plus vif succès. Elle est enjolivée d'une partition de la meilleure qualité musicale, due à M. Marcel Lattès, qui semble vouloir prendre la succession du regretté maître André Messager. MM. Koval, Gabin, Louis Blanche, Lucien Baroux, Mmes Jacqueline Francell et Meg Lemonnier sont des interprètes de choix qui feront pendant de longs soirs la fortune de la banque Lupin. Il reste de cette œuvre impérissable des enregistrements (Pathé, x2227) et les partitions (éditions Salabert). L'argument est proposé brièvement dans le Larousse Mensuel. [5] Le banquier Bourdin est déjà près de la faillite, mais il reste encore en caisse deux millions qu'Arsène Lupin, déguisé en lord Turner, escroque à l'aide d'une fausse lettre de change. Après quoi, Arsène se fait cambrioleur, mais sans succès, puis il remplace le banquier et disparaît pour laisser tout le monde heureux. Car il y a en tout cela quelques histoires d'amour. La musique de Marcel Lattès est fort élégante, distinguée, et d'une écriture soignée ; elle a même de l'émotion ; elle doit plaire. Comment résister après de telles promesses à citer ce court passage du livret qui atteste avec subtilité qu'une bonne partie de l'action se passe au Vésinet.
Le gentleman cambrioleur, tel que nous le voyons, aux Bouffes, dans sa nouvelle incarnation, prend successivement l'apparence de lord Turner, et comme tel, se fait verser par le banquier Bourdin les deux millions qui lui restent ; puis celle de Bourdin lui-même, qui, disparu au premier acte avec un passif de dix millions, reviendra au dernier immensément riche, chef d'une maison prospère, intime de plusieurs ministres, et décoré. **** Notes et Sources [1] Gilles Henry - Commissaire Maigret qui êtes-vous ? Plon, Paris, 1977 [2] Alexandre Vialatte - Le paradoxal M. Maigret, essais et nouvelles, Julliard, Paris. 1995 [2] D'abord proposé sous forme de feuilleton dans le Journal en 1934, le livre est publié aux éditions Pierre Laffitte en 1935. Il est disponible au Livre de Poche et sous forme électronique (e-book). [3] L'Intransigent, juin 1930. [4] A cette époque, plusieurs affaires avaient défrayé la chronique, dont par exemple le cas de Jean Comtesse, demeurant au Vésinet (avenue de la Princesse), directeur d'une entreprise financière de l'avenue des Champs-Elysées. Il avait fondé, en octobre 1923, une Société anonyme bancaire au capital de 2 millions, qui était en réalité fictive. Aucun capital n'a jamais été versé. Après diverses escroqueries, Comtesse fut arrêté en 1927. Le Matin, 28 février 1927. Et pour mémoire, plusieurs larcins imputés à Jules Bonnot étaient situés au Vésinet (1911-1914). [5] Le Larousse Mensuel, juin 1930. [6] Critique de Gustave Bret, L'Intransigeant, 9 mai 1930. [7] Maurice Leblanc, lettre publiée dans L'Intransigeant 30 mai 1930.
Société d'Histoire du Vésinet, 2018- www.histoire-vesinet.org |