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La « Gaîté qui guérit » à l'Asile du Vésinet

Entre 1935 et 1944, les pensionnaires de l'Asile national du Vésinet ont été distraites, soignées et peut-être « guéries » par plusieurs troupes théâtrales ou musicales philanthropiques comme La Jeunesse Sportive Théâtrale et surtout La Gaîté qui guérit cette dernière étant assurément la plus fréquemment sollicitée.

Fondée sous la forme d'une association régie par la loi du 1er juillet 1901, La Gaîté qui guérit, œuvre artistique et philanthropique (déclarée sous le n°172.833 le 27 décembre 1934), se donnait pour objets statutaires : 1. Apporter un réconfort moral et de saines distractions aux malades, en organisant des représentations artistiques, cinématographiques et théâtrales gratuites dans les établissements hospitaliers ; 2. Apporter des secours en nature aux malades abandonnés ; 3. Procéder à des distributions d'objets de première nécessité et de friandises.

Au verso du programme (vendu au profit de l'œuvre) on pouvait lire l'appel aux dons suivant :

    Grâce à “LA GAITÉ QUI GUÉRIT” vous venez de passer quelques heures agréables.

    Si la gaîté ne guérit pas seule, elle est pour le médecin un précieux auxiliaire, et ne sont-ils pas louables, n’ont-ils pas droit à votre reconnaissance, ces artistes et musiciens qui viennent de faire éclore gracieusement sur vos lèvres le bon rire qui soulage et aide à guérir. En effet, ils n’hésitent pas à sacrifier leurs instants de loisirs pour venir vous distraire. Méditez leur geste, leur bonne action, et quand vous quitterez cet Etablissement, souvenez-vous en, faîtes vous-même quelque chose en faveur de ceux que vous rencontrerez sur votre route et qui seront malheureux.

    Nous vous demandons de conserver un bon souvenir du passage de la troupe de “LA GAÎTÉ QUI GUÉRIT” dans l'Etablissement où vous êtes soigné actuellement, et de nous aider à votre tour en diffusant notre action bienfaisante, en propageant notre idéal, en faisant connaître à vos parents, à vos amis, le bien moral que vous avez éprouvé au cours de ce concert, et de les inciter à nous aider à leur tour en s’inscrivant comme Membre Bienfaiteur.

    Pour devenir Membre Bienfaiteur de l’Œuvre, il suffit d’envoyer la somme de 25 francs MINIMUM, davantage si possible, par mandat chèque postal à M. Charles Frévan, 5, Rue Marsoulan, Paris XIIe. (Compte Chèques Postaux Paris 2149.44.)

    Il est accusé réception de toute somme reçue, et chaque Membre Bienfaiteur reçoit une carte lui permettant d’assister gratuitement avec sa famille à certains grands Galas Artistiques organisés plusieurs fois par an. Les Membres récupèrent ainsi largement le montant de leur cotisation et contribuent au développement et à l’intensification de “LA GAITÉ QUI GUÉRIT” qui a déjà donné jusqu’à présent plus de cinq cents concerts gratuits et distribué plus de 40.000 objets divers et paquets de friandises.

La troupe de l'œuvre artistique et philanthropique La Gaîté qui guérit.

Ce Soir (journal quotidien du soir), octobre 1938.

Le président fondateur de l'œuvre, un certain Charles Dupuis connu sous le nom de scène de Charles Frévan, âgé de 32 ans à la création de l'association, assurait la direction de celle-ci et celle des spectacles. On lui doit aussi quelques compositions musicales enregistrées sur disques 78 tours vendus au profit de l'œuvre et que l'on peut encore écouter en ligne sur YouTube.
Ses prestations dans les grands établissements de soins de Paris et de sa région, tels les hôpitaux de la Pitié, de Cochin, de Beaujon à Clichy, l'asile d'aliénés de Villejuif, le sanatorium des cheminots à Ris-Orangis ou l'Asile de Vincennes, entre autres, valent à l'association une excellente réputation et elle obtient à partir de 1937 une subvention du Conseil de Paris qui sera reconduite annuellement durant plus de dix ans.

    Le Conseil,

    Vu la pétition par laquelle l'œuvre dite : « La gaité qui guérit » sollicite l'allocation d'une subvention ;

    Sur le rapport présenté par M. Raymond Laurent, au nom de la 5e Commission,

    Délibère :

    Article premier. — Une subvention de 1,000 francs est accordée pour 1937 à l'œuvre dite : « La gaîté qui guérit ».

    Art. 2. — Cette somme sera versée entre les mains du représentant dûment qualifié de ladite société dont le siège est à Paris, 48, rue Sedaine.

    Art. 3. — La dépense sera imputée sur la réserve du budget de l'exercice 1937, chap. 10, art. 250, avec rappel au compte au chap. 10, art. 31, dudit budget.

Une telle subvention n'étant évidemment pas suffisante, l'association organise des galas de charité dans les mairies ou les salles des fêtes et fait du démarchage pour recueillir les fonds nécessaires à réalisation des spectacles (extraits de pièces à succès, sketches, ballets, concerts) et l'achat des objets de première nécessité et de friandises à distribuer.

Au Vésinet

La première représentation de l'œuvre à l'Asile des Convalescentes du Vésinet semble être celle du 25 juillet 1936.
Ce Concert de bienfaisance (gratuit) sous la direction de Charles Frévan, se déroule avec le concours d'artistes « connus, familiers des scènes parisiennes » qui se produisent bénévolement. Ce seront plus ou moins toujours les mêmes durant des années. Comédiens, musiciens, fantaisistes, artistes de seconds rôles, débutants ou amateurs, parmi ceux qui se produiront au Vésinet durant la période d'avant-guerre, on a relevé :

    Mmes Alice Duc, Alice Richard (pianiste), Andrée Jany, Billy Walls, Blanche Blanc, Ginette May, Laetitia Denuit, Laurence Delval, Liane d'Ivarrès, Lilian Mary, Lise Vergnes, Lucienne Magnier, Marguerite Saint-André, Maryse Martin, Nelly-Andrée, Paulette Fournier, Rima Grina, Rita Saint-Pol, Suzy Silver, Yvonne Gardon.

    MM. Bergeret, Haguet, Jean Cyrano, Jean Thovex (accordéoniste), Julius (Julius Wildy et Alfred), le professeur Marcel, Lory et Charles Frévan, Mah-Jong, Marcel Liévin, Marcel Vial, Mario Delhi, Mélard, Nicollot, Paul Brébant, Paul Velsa, Simoni...

La troupe sera de retour en représentation au Vésinet, dans la salle des fêtes de l'Asile, le 18 octobre 1936 puis le 23 janvier et le 3 juin 1937, le 19 mars et le 3 septembre 1938, 18 mars 1939. [1]
On note alors une interruption jusqu'au 10 septembre 1941 qui correspond à la période où l'Asile du Vésinet fait office d'hôpital militaire.
Mais à partir du 10 septembre 1941, les représentations de La Gaîté qui guérit pour les Convalescentes de l'Asile du Vésinet reprennent et se multiplient : 11 novembre 1941, 4 mars 1942, 8 décembre 1942, février et avril 1943...
Les « concerts artistiques gratuits sous la direction de Charles Frévan, président-fondaleur » sont donnés « avec le concours de nombreux artistes des scènes parisiennes » qui ne sont plus cités et de l'orchestre de l'œuvre placé désormais sous la direction de Gaston Delabre auquel succèdera le maestro Raoul Plas. Les convalescentes sont de retour, la vie de l'Asile a repris son cours, marqué en 1943 par la visite officielle du docteur Grasset, secrétaire d'Etat à la Santé, en tournée d'inspection. [2]

En 1943, les visites de la Gaîté qui guérit au Vésinet s'interrompent de nouveau tandis que l'Asile retrouve sa fonction d'hôpital militaire, allemand cette fois jusqu'à l'arrivée des alliés en août 1944. L'armée américaine y installera un hôpital doté de précieux et modernes équipements : salles d'opération, ascenseurs, réfrigérateurs, clinique dentaire, ensembles radiographiques (le tout estimé à 20 millions de dollars) avec aussi des quantités considérables de coton, de bandes de sparadrap, et la précieuse pénicilline, l’insuline, etc. Les Américains laisseront ce précieux trésor en partant, le 20 septembre 1945, après une année de présence. L'Asile du Vésinet était le premier d’une série de 50 établissements qui seront remis dans les mêmes conditions, contribuant ainsi au rééquipement hospitalier de la France. [3]
Rendu à l'autorité militaire française, l'Asile retourne à la vie civile et retrouve ses convalescentes en 1947. Cela ne plait pas à tout le monde :

    Au Vésinet, banlieue de choix (celle des industriels, des stars, des peintres en vogue et des princes du marché-noir, la seule où l’on ne réquisitionne pas les villas vides — et elles sont nombreuses — « pour ne pas avoir d'ennuis avec les huiles »). Il y a un asile « fourre-tout », bien commode pour l’Assistance publique qui y envoie, sans formalités, tous les déchets féminins de la capitale : prostituées précoces, épaves de toutes catégories, désespérées repêchées à temps. On y reçoit aussi les convalescentes, les petites vieilles que le trois-pour-cent fallacieux condamne à mourir d inanition, quelques grandes malades qui ont épuisé toutes les « générosités » de la Sécurité sociale. [4].

Le terme d'Asile pouvant prêter à confusion, revêtir un caractère péjoratif, il apparaîtra souhaitable aux autorités de tutelle d'en trouver un autre. Il prendra le nom d'Etablissement National de Convalescence du Vésinet E.N.C.V.

De son côté, La Gaîté qui guérit a continué son chemin, enrichissant son public des prisonniers malades rapatriés d'Allemagne, rassemblés à l'hôpital militaire Bégin [5]. Devant la difficulté de réunir une troupe de bénévoles, elle propose de plus en plus un spectacle presque exclusivement cinématographique composé d'actualités, d'un documentaire et d'un ou deux grands films. Si elle a modifié ses statuts en 1948, prenant le nom de « La Gaîté qui guérit - Fondation Charles Frévan » elle recueille les applaudissements de son public et les éloges de la presse :

    La « Gaîté qui guérit » a pour but d'apporter un réconfort moral et de saines distractions aux malades, aux blessés et aux vieillards, en organisant des concerts gratuits dans les hôpitaux, hospices, maisons de retraite et sanatoria de Paris, banlieue et province. L'an dernier plus de cinquante concerts ont pu être ainsi donnés grâce au dévouement des artistes qui jamais ne se ménagent quand il s'agit pour eux de soulager des infortunes, d'égayer quelques instants ceux dont le destin de souffrance est de vivre en marge de la collectivité. Jamais sans doute on ne dira assez combien de telles œuvres sont utiles et généreuses. [6]

Devant la Justice

Et puis le vent tourne.
M. Olmi, juge d’instruction, fait écrouer sous l’inculpation d’escroqueries Paul Plot, 22 ans, et Joseph Bertrand, 30 ans. Prétendant être délégués par la Préfecture de police, ces deux individus se présentaient chez des commerçants et quêtaient au profit des orphelins de la police ou des hôpitaux de Paris. Mais les sommes qu’ils recueillaient à ce titre servaient à leur usage personnel. Pour se donner davantage de respectabilité, ils s’étaient fait accréditer comme démarcheurs auprès de la Gaîté qui guérit à qui ils remettaient scrupuleusement les dons qui lui étaient destinés. En échange de leur argent, les commerçants recevaient une vignette éditée par cette association ; quand il s’agissait de leurs autres « œuvres » les escrocs se contentaient de remettre à leurs victimes un vague reçu des sommes qu’elles versaient. [7]
Peu de temps auparavant, le public avait été mis en garde par voie de presse contre les démarcheurs qui, au nom de certaines associations, en particuler la Gaîté qui guérit, présentaient divers objets tels que calendriers, timbres-vignettes etc... pour les vendre à un prix manifestement plus élevé que leur valeur marchande. Le prélèvement réservé aux œuvres de bienfaisance étant presque nul, ces opérations apparaissaient donc comme exclusivement commerciales, voire frauduleuses. [8]

Charles Dupuis alias Charles Frévan

Président fondateur de La Gaîté qui guérit.

Dans ces affaires, la bonne fois des dirigeants de l'Œuvre ne fut pas remise en cause. D'ailleurs, le Journal l'Aurore qui avait un peu vite incriminé l'association sera condamné par la 17e chambre correctionnelle de le Seine, à une amende et à 100.000 francs de dommages et intérêts. Mais l'attention de la Justice avait été attirée et se devait de « passer ».
Au terme d’une longue et minutieuse enquête, les services de la sous-direction des Affaires économiques de la Sûreté nationale mirent en cause Charles Dupuis dit Charles Frévan (48 ans, négociant) et Arthur Galles (44 ans, secrétaire). Le premier président-fondateur, le second secrétaire administratif de l’association La Gaîté qui guérit.
Si rien n’était plus louable que les buts de cet organisme se proposant d'apporter « un réconfort moral et de saines distractions aux malades » d'apporter des secours en nature aux malades abandonnés et de distribuer des produits de première nécessité, un tel programme ne pouvait être mené à bien qu'avec le concours de la charité publique. Dupuis-Frévan y fit largement appel, engageant même des « démarcheurs » pour recueillir les fonds. Non seulement il ne fut pas très regardant sur le comportement de certains de ces démarcheurs mais les enquêteurs, poursuivant une information ouverte durant plus d'un an établirent que le président directeur général avait utilisé à son profit des sommes « considérables ». Charles Dupuis et son secrétaire Arthur Galles furent placés sous mandat de dépôt. Les démarcheurs qui touchaient 40 pour cent des fonds reçus furent considérés comme complices du détournement des oboles versées. [9] L'affaire fut jugée en correctionnelle ...

Écussons, timbres et médaillons vendus au profit de l'œuvre.

...divers objets tels que calendriers, timbres-vignettes etc... vendus à un prix manifestement plus élevé que leur valeur marchande...

Le prélèvement réservé aux œuvres de bienfaisance étant presque nul, ces opérations apparaissent donc comme exclusivement commerciales.[10]

L'association La Gaîté qui guérit n'a pas disparu. Plusieurs fois refondée, elle poursuit son œuvre dans une forme associative qui date de 1999. [11]

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    Notes et sources.

    [1] Les galas de charité et les représentations de bienfaisance de la Gaîté qui guérit ont été largement annoncées dans la presse, autant pour information que pour publicité. Leur inventaire n'est cependant pas exhaustif.

    [2] Paris-soir, 17 février 1943.

    [3] France, 24 août 1945 ; L’Aube, 1 septembre 1945 ; La Croix, 2 septembre 1945 ; etc.

    [4] Jean Rousselot et Paule Dabert. Le malade, ce paria aux portes de l’Enfer, Gavroche 28 janvier 1948.

    [5]L’Œuvre, 14 février 1944.

    [6] R. Carbinne-Petit, Le Journal, 31 janvier 1947.

    [7] Combat, 9 juin 1950.

    [8] Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, octobre 1949.

    [9] La Bourgogne républicaine, 3 novembre 1951.

    [10] Combat, 11 août 1949.

    [11] Association "La Gaité qui guérit", 20 Champ du Loup, 74540 Viuz la Chiesaz (association déclarée, créée le 25/01/1999).

 


Société d'Histoire du Vésinet, 2020 • www.histoire-vesinet.org