D'après L'Aurore et Ce Soir (article de Jean Lachatre), mercredi 5 décembre 1951. Gil et Roger, les bandits du Vésinet (1951) Aux Assises de la Seine, réclusion pour les bandits du Vésinet, Roger B*** et Gilbert M*** les duettistes de la cambriole et leur receleur pittoresque Pierrot l'Amusette. ...A cet égard, ils ont prouvé leurs qualités professionnelles lorsqu'ils rendirent visite, le 17 février 1951, à l'appartement de M. Maxime Citroën, le fils du constructeur d'automobiles, 74, boulevard Maurice-Barrès, à Neuilly. Après s'être excusés de déranger leurs hôtes à une heure aussi matinale (il était 9 heures) les deux « gentlemen gangsters » invitèrent, fort civilement, M. et Mme Citroën à se placer face à un mur et à lever les bras en l'air pendant qu'ils s'occupaient de leur côté à mettre les domestiques sous clé dans les placards. Puis il demandèrent aux maitres de céans d'avoir l'obligeance de leur remettre leurs bijoux (ils en reçurent pour une valeur de trois millions). Enfin, ils attachèrent confortablement chacun sur un fauteuil et ils prirent fort poliment congé. Titre en Une du journal Ce Soir (5 décembre 1951) Mais leur dernier exploit, le cambriolage du domicile de Me Fayssat, avocat à la Cour de Paris [4], ne devait pas leur porter bonheur. C'est encore dans le compte-rendu d'audience de Ce Soir [5] que l'on trouve la description la plus détaillée : ... Gil et Roger commirent cependant la fatale imprudence, quelque temps après, de s'attaquer … à un avocat! Il s'agissait de Me Fayssat chez qui Roger avait effectué, jadis, quelques réparations. Les deux malfaiteurs se rendirent à son appartement vers 10 heures du matin. La bonne vint leur ouvrir. Gil braqua sous son nez un colt impressionnant de 11mm. Elle cria. Il se jeta sur elle, la fit tomber à la renverse, lui appliqua brutalement la main sur la bouche … Me Fayssat, qui travaillait dans son bureau, avec sa secrétaire, comprit immédiatement ce qui se passait. Avec à propos, il ferma sa porte à clé puis décrocha son téléphone. En quelques secondes, il réussit de la sorte à prévenir ses voisins et à alerter la police. Les deux bandits déguerpirent. Roger n'eut cependant pas le temps de quitter les lieux. On l'appréhenda dans une cave où il tentait de se cacher. Quant à son complice Gil la Casse, il fut arrêté peu après, chez lui, au Vésinet. Parmi les Jurés en train d'écouter le réquisitoire de l'avocat général Raphaël, on remarquait M. François Mauriac, que l'on voit ici, à l'extrême droite (L'Aurore, 5 décembre 1951) ... Voici au banc des accusés : de gauche a droite, Roger B***, Gilbert M*** et Pierre Millière alias Pierrot l'Amusette. (L'Aurore, 5 décembre 1951)
Au président de Moissac, les deux accusés balbutient de vagues excuses … quelques regrets, du bout des lèvres. Ils paraissent stupides et accablés. Enveloppé dans un pardessus gris foncé, le cou emmitouflé dans une écharpe noire, le teint terne, l'œil sombre, les sourcils broussailleux, le front bas, les cheveux rétifs et couleur d'encre, Pierrot la Musette [c'est la forme adoptée par le journal Ce Soir et quelques autres] a de faux airs de Pierre Laval. « Je bois depuis l'âge de 15 ans, explique-t-il … ». Il en avait 41 au moment des faits. – Si je suis ici, dit-il, c'est que j'ai toujours soif. Dans la vie, je n'aime que ma mère et le bon vin. Et il faut bien trouver de l'argent pour boire … »[6] Le récit de son existence passée est en effet le récit de ses cuites les plus mémorables. « Tout jeune, a indiqué son père, au cours de l'enquête, Pierrot a manifesté qu'il n'aimait pas la terre et qu'il préférait aux fleurs le vin ; et l'accusé a un geste d'impuissance qui met le public en joie, puis s'écrie : « Que voulez-vous, j'aime le pinard !... . Aveu écouté religieusement par M. François Mauriac qui, tiré au sort, siège aujourd'hui au sein du jury. Gil et Roger, à l'opposé de Pierrot, se présentent correctement à l'audience pour ne rien perdre leur réputation de « gentlemen gangsters ». C'est avec infiniment de distinction – comme le feraient les propres héros des romans de M. Mauriac – qu'ils avouent tous les faits à eux reprochés. Avec un pareil mentor, Gil et Roger ne pouvaient que persévérer dans le mauvais chemin. Aussi l'avocat général Raphaël se montre, dans son réquisitoire, presque aussi sévère pour le receleur que pour les deux bandits. Après les plaidoiries de Maîtres Ducaud-Saumande, Wietrich, Moreau et Gessmann, le jury délibère. Il répondra affirmativement aux 55 questions posées. Pour vols qualifiés, Gil et Roger sont condamnés chacun à sept ans de réclusion. Pierrot l'Amusette à cinq ans de la même peine. *** Que l'une des victimes soit un affreux capitaliste et que se trouve fortuitement dans le jury l'abominable écrivain réactionnaire François Mauriac [7] justifie-t-il que les deux malfaiteurs soient vus comme les victimes d'une justice de classe ? On trouve dans Le Libertaire [8], sous la plume de René Lustre (anarchiste, communiste puis trotskiste) un autre son de cloche. Roger B*** et Gilbert M***, âgés respectivement de 21 et 23 ans, ont récolté en Cour d'Assise sept ans de réclusion pour vols à main armée. Petit fait divers de notre temps qui ne mériterait pas d'être relaté dans ces colonnes si une certaine importance ne lui avait été donnée dans la presse quotidienne, avide de tout ce qui peut faire vendre son papier. Ces deux garçons sont fils de « Français moyens » tenant à l'honorabilité et au respect des codes juridiques et moraux de notre société. Ils n'ont pas su, malgré « toute l'attention » que leur portèrent leurs parents, rester dans « le droit chemin ». « J'ai tout fait, tout essayé, la persuasion, les coups même » diront à l'audience les parents. Ça a commencé par le vol de bouteilles de vin, chez quelques-uns qui en avaient, et terminé par une razzia de l'appartement de M. et Mme Citroën eux-mêmes, qu'ils ficelèrent comme une mortadelle sur leurs fauteuils. Ils emportèrent les bijoux, « pas grand'chose » a dit « Monsieur », deux ou trois millions seulement et à peu près! C'était peut-être peu de chose, mais M. Citroën tient au respect de la propriété, du vol et recel légal, exécuté dans le cadre des lois ! Pour comprendre cela, il fallait un jury convaincu et convenable. Le hasard, qui fait bien les choses, nomma l'affreux, l'ignoble François Mauriac, membre du jury. Il parait que c'est la première fois que le vieillard du Figaro siège comme juré. C'est aussi certainement la première fois qu'il approche si près de sa frontière sociale et qu'il s'est trouvé devant ceux d'en face, devant ceux qu'il méprise tant. Convaincu du libre arbitre chrétien, du choix du mal ou du bien et, ayant comme complice cette presse pourrie qui le photographia sous tous les angles, l'infect bourgeois rendit son verdict de classe, satisfait et la conscience nette. M. Citroën aussi, qui peut continuer, ayant décidé depuis longtemps le vol pour soi et le châtiment pour les autres, de dévaliser ses ouvriers sur les chaînes de fabrication de ses usines et de les faire matraquer par ses flics lors des grèves. Mauriac rendra à nouveau son verdict, en éditorial, dans son torchon de Figaro. Mesdames et Messieurs les lecteurs apprécieront (ou pas). **** Notes et sources : [1] 5 av. Gaston-de-Casteran (22 rue du Onze-Novembre). [2] Ancien plombier carreleur, Roger B***, âgé de 21, 22 ou 24 ans selon les sources ou même 42 ans (ce qui doit être une coquille ou une confusion avec l'âge du 3e homme, le receleur), a su profiter habilement de l'expérience qu'il avait acquise dans l'exercice de son métier lorsqu'il en changea pour devenir « casseur ». Il rappela en effet ses souvenirs concernant la disposition des appartements où il avait travaillé pour pouvoir aller les dévaliser en compagnie de son camarade Gilbert M*** connu dans le milieu sous le surnom de « Gil la Casse ». Roger habitait alors chez ses parents, allée des Limites au Vésinet. Gilbert M*** électricien, était domicilié rue Ampère, dans le même quartier. Ils étaient « voisins ». [3] Ce soir, mercredi 5 décembre 1951. [4] Maître René Fayssat (1897-1968) commandeur de la Légion d'honneur, croix de guerre 14-18 (7 palmes), avocat à la Cour, fut aussi homme politique. Conseiller de Paris (il en fut le vice président), député des Alpes maritimes, conseiller général de la Seine, il est mort accidentellement près de Bologne en Italie. [5] Ce soir, mercredi 5 décembre 1951. Le journal avait rendu compte du fait-divers en avril de la même année (Ce Soir, dimanche 30 avril 1951) [6] L'alcoolisme pouvait alors être considéré comme circonstance atténuante. Le début de la prise en compte de l'alcoolisme comme circonstance aggravante date, pour le code de la route, de 1954. [7] François Mauriac (1885-1970) écrivain français lauréat du Grand prix du roman de l'Académie française en 1926, élu membre de l'Académie française en 1933, recevra le prix Nobel de littérature l'année suivante, en 1952. [8] Le Libertaire, 14 déc. 1951.
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