D'après Noël de Montmorin, cité dans "Édouard de Naurois, sa vie et ses oeuvres. Le Vésinet. Auteuil". Paris, 1877.
Bénédiction de la Chapelle de l'Orphelinat du Vésinet
Les Sœurs de Saint-Charles furent ce même jour solennellement installées dans leur maison au milieu de ces chères petites orphelines dont elles sont devenues les mères. Mais, obligées, faute de chapelle, d'aller en semaine aux offices de l'église paroissiale, maîtresses et élèves étaient souvent privées du saint Sacrifice, surtout pendant la mauvaise saison; car l'orphelinat est à douze minutes du village. Les bonnes Sœurs, habituées par vertu aux privations, souffraient en silence de cette lacune dans l'oeuvre du généreux bienfaiteur. M. de Naurois comprit cette situation difficile, et bientôt une délicieuse petite chapelle de style roman surgit de terre. Suivant sa volonté expresse, un caveau a été ménagé devant l'autel pour y recevoir un jour sa dépouille mortelle. [1]
La bénédiction solennelle de ce gracieux monument eut lieu le mercredi 22 août 1877, au milieu d'une assistance nombreuse et choisie. MM. d'Haussonville, président de la Société de protection des Alsaciens-Lorrains ; Rumpler, vice-président ; H. Penot, secrétaire général; de Naurois, fondateur; Petit, architecte, et de nombreux membres du clergé, entre autres M. l'abbé Sisson, curé de Saint-Honoré de la Plaine; M. Maurin, ancien aumônier de l'Ecole militaire, chanoine de Saint-Denis; MM. Borreau, curé de Chatou; Desroziers, curé de Montesson; Bellart, vicaire du Vésinet ; Viollette, vicaire de Bougival; Ferron, vicaire de Saint-Honoré, et M. l'abbé Roussel, fondateur et directeur de l'Œuvre de la Première Communion et des Apprentis orphelins, rehaussaient de leur présence l'éclat de cette cérémonie.
Délégué, durant la vacance du siège, par MM. les vicaires capitulaires de Versailles, Mgr Léon Maret, chanoine d'honneur de Bordeaux, de Coutances, d'Agen, de Terracine, etc., curé du Vésinet, bénit le monument conformément aux prescriptions du rite romain. Après cette bénédiction solennelle, Mgr Maret prononça l'allocution suivante, écoutée au milieu de la plus religieuse attention :
Messieurs et très chers frères,
Une œuvre importante, conçue en vue de la gloire du Seigneur et du salut des hommes, obtient toujours une protection spéciale du Ciel. L'esprit de Dieu s'unit aux âmes appelées à donner leur concours à son exécution. Avec un zèle généreux et intelligent, il leur souffle une persévérance qui ne sait pas se démentir, et, sous l'action de ces volontés ainsi dirigées et soutenues, les obstacles disparaissent, et des monuments consacrés au bien de l'humanité s'élèvent comme par enchantement; ils diront aux générations futures ce que peut la foi inspirée par la charité la plus tendre et le patriotisme le plus ardent et le plus éclairé.
Messieurs, il y a environ vingt mois (le 5 décembre 1875), avaient lieu la bénédiction de cet Orphelinat, l'installation des chères Sœurs de Saint-Charles de Nancy et de quelques orphelines de l'Alsace et de la Lorraine, que de pieuses fondations avaient dotées.
Mme la maréchale de Mac-Mahon, que l'on trouve partout où il va du bien à faire ou une œuvre à patronner, assista à cette cérémonie, ainsi que M. le Président de la Société protectrice des Alsaciens-Lorrains, quelques membres fondateurs et dames patronnesses. Retenu à Rome, auprès du Saint-Père, à cette époque de l'année, il nous en coûta beaucoup d'être privé d'assister à cette inauguration, présidée religieusement par Monsieur l'abbé Chauvel, vicaire général, curé doyen de Saint-Germain en Laye; mais, absent de corps, nous étions présent d'esprit ; et au moment même où cet Orphelinat était béni, de notre côté, nous demandions au Saint-Père sa bénédiction pour la France, pour notre paroisse, pour nos communautés, pour les fondateurs de cet Orphelinat et pour tous ceux qui contribuaient à son érection ou à son entretien.
Les bénédictions du Saint-Père ont porté bonheur : de 14 jeunes orphelines, le nombre s'est élevé à 24, et nous sommes heureux de les voir en ce jour autour de nous. Dieu les a privées de leurs parents ; d'autres pères, d'autres mères dans l'ordre de la nature leur ont été donnés dans ces Messieurs et ces Dames de leur Société protectrice, dans ces bienfaiteurs à qui rien n'a coûté pour assurer leur avenir ; nous, nous voulons être, nous sommes, en effet, leur père spirituel, et nous sentons, pour ces enfants, comme pour les saintes religieuses qui sont aussi leurs mères, nous sentons que nous les aimons et que nous les aimerons toujours.
Et comment pourrait-il en être autrement? Quand nous pensons au deuil de la patrie, à ces chères provinces, si françaises par le cœur et par les aspirations, qui nous ont été enlevées et que Dieu nous rendra peut-être un jour; quand nous pensons à tant d'enfants orphelins; quand, en ce qui nous concerne, nous remontons à 25 ans dans notre vie, et que revient à notre mémoire ce temps prospère où nous habitions nous-même cette chère Lorraine qui n'est plus à nous; lorsque, par une disposition de la divine Providence, nous rencontrons ici, parmi ces enfants qui nous écoutent, deux d'entre elles dont nous avons connu la mère, et que la première communion de cette mère ne nous a pas été étrangère : tous ces souvenirs nous touchent et nous brisent à la fois. Comment ne pas être ému, comment ne pas les aimer, ces chères enfants, et ne pas s'intéresser à leur sort ?
Vous l'avez compris, Monsieur le comte d'Haussonville, vous aussi, Messieurs leurs protecteurs, et vous, Dames patronnesses, en vous dévouant à cette œuvre avec un zèle au-dessus de tout éloge.
L'Orphelinat était établi au Vésinet ; il fallait songer à un oratoire pour ces chères Sœurs et leurs enfants; la disposition de la maison et surtout ses accroissements qui, à un moment donné, deviendront indispensables, ne permettaient pas de l'établir à l'intérieur de cette demeure. Que faire ? La proposition fut à peine énoncée devant le généreux fondateur de l'Orphelinat, que la chapelle était décidée, M. de Naurois ajoutait ainsi un nouveau bienfait à tant d'autres.
Je ne voudrais pas blesser sa modestie en exaltant ses œuvres, qui parlent assez d'elles-mêmes; mais il m'est bien permis de dire qu'indépendamment de la récompense promise par Dieu, dans une autre vie aux hommes bienfaisants, il en est une autre dès ici-bas : la satisfaction qu'on éprouve à faire ainsi ces bonnes actions.
En quelques mois, cette petite chapelle, qui nous rappelle le style gothique du XIVe siècle, a été édifiée par M. Eugène Petit, l'habile architecte de l'Orphelinat, qui lui aussi a voulu faire son cadeau à la nouvelle chapelle ; et voici qu'aujourd'hui, on nous demande les prières de l'Eglise pour la bénédiction de cet oratoire.
Nous aurions voulu que cette cérémonie fût présidée par le cher Evêque de Versailles que Dieu a rappelé à lui le 8 mai dernier, à Rome, ou par le successeur que la Providence lui destine (Mgr Goux, présenté par le gouvernement français le 14 juillet 1874 pour l'évêché de Versailles et élu le 21 septembre), prélat que nous aimons déjà, parce que nous connaissons ses œuvres à Toulouse, et qu'il continuera les pieuses traditions de Mgr Mabile. La présence du chef du diocèse aurait donné plus de solennité à cette fête ; cela n'a pas été possible, et nous avons été délégué pour faire les prières liturgiques de la bénédiction. Nous en sommes flatté, et, dans cette, fête religieuse, nous pouvons répéter le cantique dont les anges firent retentir les airs, après avoir annoncé aux bergers de Bethléem la naissance du Dieu Sauveur : « Gloire à Dieu au plus haut des Cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ! » Voilà le double but, la double destination de cette chapelle que nous allons bénir. Elle servira désormais à procurer ici-bas, à Dieu, la gloire qui lui est due, et aux hommes de bonne volonté, la paix et le vrai bonheur.
Par les chants et les prières, par l'aspersion de l'eau lustrale que nous allons faire à l'extérieur et à l'intérieur du monument, par l'intercession des saints et de saint Edouard en particulier, que nous allons invoquer, nous prierons le Seigneur, et vous vous associerez à nos prières et à celles de ce pieux clergé, nous prierons le Seigneur d'y répandre ses grâces les plus abondantes, et de lui donner des anges tutélaires pour fidèles gardiens, cérémonie mémorable qui rappellera la possession que Dieu prend de ce lieu. Par la bénédiction, l'édifice sera consacré à la gloire de Dieu, au salut des hommes. Dieu choisit ce lieu pour se" rencontrer avec nous, et nous le destinons à Dieu pour nous y rencontrer avec lui. Là nous trouverons Dieu, là Dieu nous trouvera.
Il est vrai que Dieu est partout; mais il est aussi malheureusement vrai que Dieu est oublié en plusieurs lieux. Il nous faut donc un palais privilégié où l'on ne puisse pas oublier le Créateur, où les facultés physiques et morales soient tellement préoccupées des vérités surnaturelles, que nous soyons vivement pénétrés de la présence de Celui qui est partout. Or, c'est dans nos églises et nos chapelles que nous éprouvons ce sentiment.
Depuis vingt mois, mes chères Sœurs, que ma paroisse a le bonheur de vous posséder, vous appeliez de tous vos vœux, et j'ai été le confident de vos pieux désirs, le complément précieux de ce que Dieu a daigné faire par une main généreuse en faveur de cet établissement. Vous désiriez un modeste oratoire, et c'était juste. Notre-Seigneur vous appartient, puisque vous l'avez pris pour partage, et la sainte Eucharistie est le trésor des Communautés religieuses.
La Chapelle au milieu des bois (illustration, 1877)
Ce vœu si légitime se trouve maintenant accompli. Notre-Seigneur, il est vrai, n'était pas - loin de vous; toutefois il fallait aller chercher ses bénédictions hors de votre demeure. Désormais votre bonheur sera plus grand. Par une faveur que je vous transmets et qui sera le commencement de plusieurs autres, vous posséderez Dieu chez vous; les saints mystères y seront célébrés. Vous continuerez néanmoins à édifier nos paroissiens chaque dimanche et à vous édifier vous-mêmes de leurs exemples; mais en même temps Jésus-Christ sera avec vous la nuit et le jour; vous pourrez le trouver ici à toute heure, converser avec lui librement, sans témoins, et ce sera pour votre piété l'aliment le plus précieux, en même temps que la plus douce consolation.
Non, nous ne nous trompons pas, en espérant des bénédictions nouvelles et plus abondantes; le grain de sénevé fécondé par Notre-Seigneur deviendra peu à peu un grand arbre, dont les rameaux bienfaisants se répandront dans cette paroisse que j'ai fondée, il y a douze ans ; ils seront fertiles en fruits de salut.
Pour la première fois, le saint sacrifice va être offert, en ce jour, dans cette chapelle, jour à jamais béni, octave d'une des grandes fêtes de la sainte Vierge, qui protégera cet asile; il me sera donné tout à l'heure d'y faire descendre Jésus-Christ ; de le placer dans le tabernacle, comme le bon pasteur au milieu de son troupeau, comme un tendre père au milieu de ses enfants chéris. » 0 mes Frères, ô mes Sœurs, avec quelle ferveur nos prières vont s'unir pour remercier d'abord Notre-Seigneur et sa sainte Mère, pour obtenir que l'œuvre sainte qui s'opère dans cet asile, prospère et se répande de plus en plus !
La récréation (illustration, 1877)
Nous prierons pour le généreux bienfaiteur de cette maison, M. Edouard de Naurois, dont l'affection, l'intérêt, le dévouement sont si persévérants à l'égard de ces chères orphelines, qu'il n'a pas voulu s'en éloigner même après sa mort. Nous prierons pour le président de la Société protectrice des Alsaciens-Lorrains, l'âme de cette œuvre par son zèle infatigable, qui sait si bien user de son influence pour la création de bourses nouvelles, afin d'augmenter le personnel de l'Institution en même temps que les ressources. Nous prierons pour l'habile architecte, aussi intelligent que généreux, lui aussi plein d'affection pour les enfants, et qui a voulu participer à l'installation de la chapelle, par différentes largesses, spécialement par le don des vitraux, dont les saintes figures rappelleront cette utile fondation. Nous prierons pour les membres du comité et pour les différents fondateurs de bourses, qui, en venant constater avec tant de régularité le travail et le progrès de nos jeunes orphelines, soutiennent une nécessaire émulation. Je me garderai bien d'oublier M. de Nar et Mme de Nar, qui met si volontiers son talent musical et sa remarquable vocalisation à la disposition de tous les promoteurs de bonnes œuvres, s'ils veulent bien en ce jour faire le charme de notre fête religieuse; cette honorable famille ne pouvait rester étrangère à cette bénédiction après avoir fondé deux bourses dans l'Orphelinat. Nous espérons bien faire d'autres appels à la bonne volonté de Mme de Nar, et nous la remercions publiquement, ainsi que ces Messieurs qui lui prêtent leur concours. Nous prierons pour la communauté des Sœurs de Saint-Charles et leur vénérée Supérieure générale, que nous attendions aujourd'hui et qui ne peut s'associer que de loin à cette fête.
Enfin, Messieurs et très-chers Frères, je me fais l'interprète de la pensée des Sœurs de Saint-Charles et de leurs sentiments de gratitude envers tous leurs bienfaiteurs, envers M. Pallu, maire du Vésinet, qui, comme moi, et avec son administration, protège cet asile, et lui a montré en toutes circonstances la plus touchante sympathie.
Nous n'avons voulu oublier personne. Nous venons de procéder à cette bénédiction si vivement attendue; je vais monter au saint autel, unissez-vous à moi; nos prières obtiendront pour tous ceux qui ont eu le mérite et le bonheur de concourir à cette cérémonie, les bénédictions du temps et surtout les bénédictions de l'éternité. »
Après cette allocution, Mgr Maret célébra une messe basse, pendant laquelle l'excellente cantatrice Mme Marie de Nar [1], MM. Lacroix, Flajollet, Varlet, sous l'habile direction du maestro Ronzi, se firent entendre et charmèrent la nombreuse assistance. Le salut solennel du saint Sacrement clôtura cette belle cérémonie. Durant le salut, les artistes que nous venons de nommer se firent entendre de nouveau. Une collation fut offerte ensuite aux invités dans un des pavillons de l'orphelinat, que M. Pierre Petit photographia quelques jours plus tard, avec la chapelle et le fondateur placé comme un père au milieu de ses enfants. Chaque année, le 13 octobre, fête de saint Edouard, patron de M. de Naurois, les jeunes Orphelines sont en fête, heureuses de témoigner à leur bienfaiteur qui se rend au milieu d'elles, touché et attendri jusqu'aux larmes, leur affectueuse reconnaissance. Ces fêtes de la bienfaisance laissent loin derrière elles les fêtes profanes ; elles reposent le cœur et l'esprit tout à la fois et sont un avant-goût des joies paisibles du ciel.
Notes:
[1] M. de Naurois y sera inhumé l'année suivante. Il est décédé le 24 mars 1878, quelques jours après avoir reçu la croix de la Légion d'honneur (10 février) pour son action durant la guerre de 1870-71.
[2] Mme Marie de Nar-Bey, artiste lyrique, était la fille de M. de Naurois et l'amie de Mme de Chabrillan (Pierre-Robert Leclercq, Céleste Mogador, Paris, 1996).
Société d'Histoire du Vésinet,
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