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L'incendie des Établissements E. Boulogne au Vésinet

Les journaux parisiens du 7 septembre 1913 consacrèrent presque tous quelques ligne à un événement survenu au Vésinet la nuit précédente.
Un incendie avait éclaté vers six heures, dans une des scieries Boulogne, au Vésinet, rue de l'Eglise. En quelques minutes, les hangars et l'énorme quantité de bois qui se trouvaient dans les cours flambèrent. Les pompiers du Vésinet, aidés par la population, firent l'impossible pour se rendre maîtres du feu. Mais le sinistre prit brusquement une telle extension que M. Van Langhenhoven, commissaire de police, dût faire appel plusieurs fois à des renforts. On finit par maîtriser le feu, protéger les alentours. Mais la scierie avait été presque totalement détruite. [1]

    VIOLENT INCENDIE AU VÉSINET DANS UNE MENUISERIE

    M. Boulogne, entrepreneur de menuiserie au Vésinet, occupe, 13 rue de l'Eglise, un très coquet et confortable pavillon norvégien [2], tout construit en bois, élevé de deux étages sur rez-de-chaussée. En bas sont aménagés les ateliers, au premier étage les magasins et les bureaux, à l'étage supérieur l'appartement de M. Boulogne et de sa famille.

    Hier soir, un peu après six heures, quand les ouvriers eurent quitté le travail, l'industriel et les siens s'éloignèrent à leur tour pour aller dîner et passer la soirée chez des amis. Un peu avant huit heures, des voisins virent soudain de longues gerbes de flammes qui s'élevaient au-dessus du pavillon occupé par M. Boulogne. Un violent incendie venait de s'y déclarer. L'alarme fut aussitôt donnée. Bientôt accoururent les pompiers de la localité, puis ceux du Pecq et de Montesson. Mais, en dépit des efforts des combattants, les flammes faisaient rage. On put craindre un instant que le sinistre ne se propageât aux immeubles avoisinants. Aussi M. Rouvier, maire du Vésinet, téléphona-t-il à la préfecture de police pour demander le concours des pompiers parisiens. Le feu put être alors efficacement combattu et, vers dix heures, on en était définitivement maître. Mais les flammes avaient détruit une grande partie du pavillon habité par M. Boulogne. Aussi les dégâts sont-ils des plus considérables : on les évalue à 100,000 francs.

    Tout ne s'était pas borné, malheureusement, à des pertes matérielles. Au cours de la lutte contre le feu, plusieurs personnes furent blessées. Un pompier de Montesson, M. Bontemps, qui était monté sur le toit pour essayer de sauver une partie du mobilier, passa à travers la toiture et s'abîma sur le parquet du rez-de-chaussée. On le releva à demi asphyxié et assez grièvement brûlé en diverses parties du corps. Après avoir reçu, dans une pharmacie où on l'avait transporté, les soins du docteur Petit, M. Bontemps a demandé à être ramené chez lui. Un courrier des postes, M. Berryer [Bérier], qui prêtait son concours au sauvetage, fut grièvement brûlé en diverses parties du corps et notamment au visage. On n'est pas sans inquiétudes pour sa vue.

    On cite encore parmi les blessés : M. Charrot [Charat], sous-lieutenant des pompiers de Saint-Germain ; un voisin de M. Petit ; un terrassier, M. Henri Lavacherie ; un employé de chemin de fer, M. Collet, et les pompiers Lefèvre et Jacques Wach. Mais leur état n'inspire aucune inquiétude. Le sinistre est attribué à un court-circuit.

La première série d'articles, datés du 7 septembre, fait le récit plus ou moins fidèle et détaillé de l'évènement. On a avancé le nombre de 2000 personnes rassemblées sur la place de l'Eglise voisine pour assister au drame. La lueur de l'énorme brasier était visible à plusieurs kilomètres à la ronde [3].
La seconde série, datée du lendemain, détaille les efforts des reporters en quête de témoignages et s'attache à déterminer les blessures des acteurs du sinistre [4].

    LE FEU AU VÉSINET

    Un incendie s'est déclaré l'avant-dernière nuit dans une scierie mécanique, située place de l'Eglise, n°7 [ou au 13 rue de l'Eglise devenue rue du Maréchal Foch], au Vésinet, et dirigée par M. Boulogne, entrepreneur de menuiserie. L'alarme fut aussitôt donnée. Bientôt accoururent les pompiers de la localité, puis ceux du Pecq et de Montesson, enfin ceux de Chatou, de Saint-Germain, de Bougival et de la caserne Niel, à Paris.[5]

    Plusieurs lances, mises en batterie, inondèrent le brasier. De nombreuses bonnes volontés particulières offrirent leur concours aux pompiers. Malheureusement plusieurs personnes furent victimes de leur zèle, et à onze heures du soir, on ne comptait pas moins de huit blessés dont deux assez grièvement.

    Le sous-lieutenant de pompiers Charat, de Saint-Germain, avait aux reins d'assez fortes contusions provoquées par la chute d'un madrier ; le pompier Bontemps, de Montesson, âgé d'une quarantaine d'années, avait un doigt de la main gauche presque entièrement tranché ; un autre pompier, M. Lefèvre, était légèrement blessé.

    Parmi les personnes ayant coopéré à l'extinction du feu, M. Bérier, courrier postal, demeurant au Vésinet, place de l'Eglise, a eu les yeux grièvement brûlés ; on ne peut se prononcer sur la gravité de son état. M. Collet, employé au chemin de fer, a été blessé sérieusement à un bras et à la tête. Un voisin, M. Jacques Wach, a reçu des contusions graves au flanc droit ; enfin MM. Ernest Astruc âgé de trente ans et Van Gravelinge, âgé de vingt-huit ans, sont plus légèrement atteints, le premier à la main droite, le second à l'œil gauche.

Au moment de l'incendie, le propriétaire est Eugène Stanislas Marie Boulogne. Il est le fils du fondateur de l'entreprise, Stanislas Sébastien Boulogne natif de Clamart et venu s'installer au Vésinet, commune de Chatou vers 1860, comme menuisier puis entrepreneur de menuiserie.
Marié à Anne Fédora Maugé [6], orpheline épousée à Chatou le 27 avril 1867, ils habitent déjà rue de l'Eglise mais au n°21. Leur premier enfant, Eugène Stanislas Marie, vient au monde à cette adresse, le 28 mars 1868. Un deuxième garçon, Albert Charles (1874-1878), puis deux filles Marie Jeanne Valentine (1877-1884) et Juliette Angèle (1881-1881) suivront mais pour mourir en bas âge.
En 1883, c'est au tour de Stanislas Boulogne de mourir prématurément à 42 ans. Sa veuve, Fédora, dirigera l'entreprise durant deux décennies. Eugène, le fils aîné, n'a que quinze ans à la mort de son père. Il y a aussi un jeune frère de Stanislas, de quinze ans son cadet : Auguste Charles né à Clamart en 1855. Il est aussi menuisier comme presque tous les hommes de la famille depuis plusieurs générations. Il viendra s'installer au Vésinet pour s'y marier en 1887 et y faire souche mais on ne peut le relier à l'entreprise fondée par son frère et dirigée avec autorité durant près de 20 ans par « la veuve Boulogne ».
Elle a développé une entreprise prospère, particulièrement opportune puisqu'elle fournissait aux nouveaux arrivants tout ce dont ils avaient besoin pour édifier leur maison.
Au moment de l'incendie, la famille Boulogne
avait son domicile au 13 rue de l'Eglise. La maison était attenante aux entrepôts et aux ateliers alimentés en électricité et mécanisées par des machines à vapeur, occupant presque toute la rive sud de la place de l'Eglise, aux numéros 3, 5 et 7.
On peut voir sur des cartes postales du début du XXe siècle les ateliers et entrepôts de la place de l'Eglise et deviner l'allure de la grande bâtisse parfois décrite de style « néogothique » mais plutôt influencée par l'Art Nouveau élevée sur la rue de l'Eglise, comptant 4 étages surmontés d'un imposant toit en pavillon, lui-même encore rehaussé d'un épi de faîtage. Sans doute une des plus hautes constructions du Village, l'église mise à part.

La rue de l'Eglise (1914) avec la façade de la maison Boulogne.

La carte postale est oblitérée en 1914 mais le cliché doit être bien antérieur.

 

Les entrepôts des établissements de la Vve Boulogne, place de l'Eglise.

La carte postale est datée de 1916 mais le cliché doit être bien antérieur.

Eugène Stanislas Marie Boulogne, né en 1868, fréquente l'école communale de l'instituteur Désiré Thibault. C'est un bon élève. En 1881, il est lauréat du concours cantonal. Il est apprenti menuisier quand son père meurt en 1883. Il contribuera selon ses moyens au développement de l'entreprise que dirige sa mère.
En 1889, il est appelé sous les drapeaux mais exempté en tant que fils aîné d'une veuve. Il fera cependant une période d'exercice à Evreux (1889) puis deux périodes complémentaires dans l'infanterie en 1895 et 1898.[7]
En 1893, le 10 mai, à St-Germain-en-Laye, il épouse Marie Lespérier. C'est à cette période qu'est construite la haute bâtisse du 13 rue de l'Eglise qui deviendra leur demeure. Une fille, Irène-Marie, naîtra de leur union le 8 mars 1895. Sans doute fier de sa réussite, Eugène Boulogne représente ses biens sur son papier à en-tête. Ses factures reproduisent sa demeure vésigondine et ses entrepôts au Pecq, au bord de la Seine.

Papier à en-tête de l'entreprise d'Eugène Boulogne.

La facture date de 1923 (collection particulière)

Le siège de l'entreprise et la demeure de la famille Boulogne au 13, rue de l'Eglise.

Détail d'une facture datée de 1923 (collection particulière)

Bien que la maison ait été partiellement détruite par le feu, la façade était encore en place dans les années 1960, lorsque fut édifié le magasin Prisunic (devenu Monoprix par la suite).
L'établissement « Charpente – Menuiserie – Parqueterie » (maison fondée en 1860) proposait un catalogue très complet de matériaux bruts et de produits manufacturés dans un large éventail : Travaux d'Art et de Bâtiment • Lambris et plafonds de style, parquets en tous genres, escaliers, chalets • Agencement des magasins, menuiseries et charpentes horticoles, hangars, serres, bâches, rustiques • Ameublement, meubles de style, emballages • Bois de sciage (moulure, parquet, chêne, sapin) • Etudes et dessins, devis.
On trouve aussi à son catalogue du ciment (ciments Portland Anglais et Français), des poteries de bâtiment (pots à fleur, tuyaux en grès vernissé, appareils sanitaires, lattes, bardeaux, voliges, teillages, etc.) soit à peu près tout ce qu'il faut pour construire une maison, l'équiper, la décorer...
Les ateliers disposaient de machines à vapeur et de scieries mécaniques. Des chantiers de débarquement et de séchage, associés à d'autres entreprises, étaient installés au port du Pecq. Les matériaux déchargés des péniches étaient transportés jusqu'aux lieux de stockage par des bennes circulant sur des rails, une partie de la voie étant souterraine, passant sous le chemin de halage. Il en reste encore quelques vestiges. [8]
M. Boulogne ne manquait pas de mentionner la médaille d'or reçue à l'exposition universelle et internationale de Bruxelles en 1910. Il fut par ailleurs membre du jury et classé hors concours à l'exposition de Turin en 1911. Il énumérait aussi quelques fonctions honorifiques : Expert près le Conseil de préfecture de la Seine, professeur de travail manuel, Entrepreneur des Ministères, de la Légion d'Honneur etc. , Admis aux travaux de la Ville de Paris et du Département de la Seine...
En 1909, il reçut la médaille d'or de la Mutualité comme fondateur de plusieurs sociétés de secours mutuel au Vésinet. En janvier 1914, il reçut la croix de la Légion d'Honneur sous le motif suivant "entrepreneur de menuiserie et charpentes au Vésinet, expert près le conseil de préfecture de la Seine ; 25 ans de pratique industrielle ; a professé pendant cette période de temps des cours gratuits de travaux manuels"[9].
A la déclaration de Guerre et la mobilisation générale, Eugène Boulogne est rappelé sous les drapeaux. Affecté au Service des garde-voies jusqu'en décembre 1914, il est ensuite admis à un stage préliminaire pour être officier d'administration de 3e classe. Nommé comme tel au Génie à titre temporaire (décembre 1915) il est affecté à Marseille puis à Rouen.
Passé dans la Territoriale en mars 1916 et affecté au Mans, il sera démobilisé le 3 janvier 1919.

En 1924, une curieuse mention marginale est apposée sur son acte de naissance au registre d'Etat Civil de Chatou :"Mention rectificative : rectifié par ordonnance du président du tribunal civil de Senlis (Oise) rendue le 16 janvier 1924 et transcrite le 18 janvier 1924 en ce sens que le nom de Boulogne sera remplacé par celui de Boulogne Marquis de Beaurepaire." Elle n'a pas encore trouvé d'explication.
Eugène Boulogne est mort à son domicile du 13 rue du Maréchal-Foch, le 8 février 1938. Il était officier de la Légion d'Honneur et âgé de 70 ans.

Les bâtiments des anciens établissements Boulogne vers 1950.

On peut voir l'autre façade de la maison donnant sur la rue du Maréchal-Foch et les ateliers donnant sur la place de l'Eglise.

 


La maison Boulogne peu avant sa démolition au milieu des années 1960.

Le bâtiment fut démoli pour agrandir le magasin Prisunic voisin, réouvert en mai 1968.

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    Notes et sources

    [1] Le Figaro, 7 septembre 1913 ; Le Petit Parisien, 7 septembre 1913 ; Le Petit Journal, 7 septembre 1913...

    [2] Ailleurs l'habitation est décrite comme "une élégante maison avec auvents, construite presque toute en bois ; au rez-de-chaussée se trouvent les ateliers et les bureaux, tandis que les magasins et les appartements réservés à l'habitation sont répartis au premier et au deuxième-étages".

    [3] Le Journal, 7 septembre 1913.

    [4] La Lanterne, 8 septembre 1913 ; Le Rappel, 8 septembre 1913, Le Radical, 8 septembre 1913 ; Le Rappel, 9 septembre 1913.

    [5] Dans le quartier des Ternes (17e) la caserne de pompiers se trouvait au 27 avenue Niel.

    [6] Registres d'incorporation militaire ; dossier n°2074, Archives départementales des Yvelines.

    [7] Anatole Maugé, le frère de Fédora, fonda au Vésinet, à la même époque, une entreprise de plomberie installée rue de l'Eglise (n°24) non loin de la menuiserie S. Boulogne. Son fils Théodore Maugé transportera l'entreprise devenue « Couverture-Plomberie-Eau & Gaz » au 97, rue Thiers, à l'angle de la place du Marché. L'autre fils, Anatole Marie qui avait épousé la fille d'un plombier de Croissy, Joséphine Cadène, trouva la mort accidentellement à 26 ans en 1898.

    [8] Le Pecq sur Seine, mille ans d'histoire, Editions Maury, 1995.

    [9] Bulletin des Lois, janvier 1914.

 


Société d'Histoire du Vésinet, 2022 • www.histoire-vesinet.org