D'après Patrick Vazeilles dans Le Vésinet, revue municipale, n°59, juin 1982 ; compléments SHV, 2020. Les « inondations » au Vésinet
|
Au Vésinet, déserté en hiver par ses villégiateurs parisiens, les sujets d'intérêt étaient beaucoup plus limités pour la presse locale en ce mois de janvier 1886. L'Avenir s'attaque donc au problème des inondations à la gare du Vésinet. Question qui est abordée sous une forme ironique et polémique dans un premier article daté du 3 janvier 1886 : GEOGRAPHIE DU VESINET – Qu'est-ce que le Vésinet ? – Le Vésinet est une presqu'île entourée d'eau de tous côtés. – Ce n'est pas alors une presqu'île, expliquez-vous ? – Par entourée d'eau de tous côtés, je veux dire qui a de l'eau partout. – C'est alors un lac ! – Non, c'est une réunion de petits lacs. – Comment se sont formés ces lacs ? – Ces lacs se sont formés de différentes manières ; les uns ont été creusés par le génie et la main des hommes ; les autres ont été créés par la nature et les saisons pluvieuses; d'autres proviennent de l'impéritie de la compagnie du Chemin de fer de l'Ouest et de l'incapacité de ses ingénieurs; d'autres enfin sont les conséquences de la négligence de l'administration municipale et de la bonne harmonie qui n'a cessé de régner entre les divers conseils municipaux et la Société Pallu du Vésinet. – A quoi servent tous ces lacs ? – Tous ces lacs ont leur utilité particulière et peuvent être divisés en quatre classes [...] La troisième classe comprend deux lacs principaux; le lac sud et le lac nord de la gare du Vésinet. Le premier est le moins important. Il s'étend de la porte de la gare au bâtiment des latrines publiques et ferme le chemin donnant accès au passage à niveau et à la buvette à Noël. Le second, celui nord, s'étend de la porte d'entrée de la gare à la porte de sortie de la cour conduisant à la passerelle. C'est le déversoir le plus important de la population du Vésinet et des eaux du ciel. Ce lac a été placé à la porte même de sortie du quai de la gare. Au milieu de ce lac, se trouve un ilot formé du banc de la gare et dont l'occupation est réservée aux pieds sales qui peuvent y prendre un bain de pied fort à l'aise. L'intelligence qui a présidé à cette création maritime doit recevoir une médaille de la Compagnie du Chemin de Fer de l'Ouest au premier de l'an. Ladite compagnie, du reste, va autoriser la formation d'une société de patineurs sur l'un des lacs, et organiser des régates sur l'autre. Le second article, daté du 17 janvier, publiait la pétition adressée par des habitants du Vésinet au président du Conseil d'administration de la Compagnie de l'Ouest, propriétaire de la ligne. Son attention était attirée sur le fait qu'à la période des pluies, après un orage, et en hiver après le dégel, deux des voies aboutissant à la gare du Vésinet sont complètement obstruées par les eaux qui "forment deux vastes mares que les plus robustes et les plus audacieux ne peuvent franchir qu'au risque de compromettre leur santé". Suivaient quelques propositions susceptibles de remédier à cet état de fait. Le Vésinet pittoresque (série 1) – Cour de la gare (13 mai 1886) " Voyageur franchissant le gué du Lac Ouest pour prendre le train " Lors de sa séance du 2 février 1886, le Conseil municipal émettait le vœu que la Compagnie de l'Ouest soit mise en demeure par le ministre des Travaux publics de faire immédiatement les travaux nécessaires pour assainir la cour de la station du Vésinet, la commune ayant pris sur son propre terrain toutes les mesures nécessaires d'assainissement. Le Vésinet pittoresque (série 2) – Cour de la gare (27 mai 1886) " Les sauveteur du Vésinet opérant un sauvetage dans le Lac Est " L'affaire, si l'on peut l'appeler ainsi, en reste là pendant quelques mois, puis le 16 mai, autre article qui précise que la gare du Vésinet est complètement inondée. On ne l'aborde plus qu'en barque ou à l'aide de pont. L'article concluait "Le chef de gare ne peut plus sortir de son logement que par l'ouverture donnant sur le quai ". Nouvel écho, parodique, le mois suivant, le 20 juin, sous un gros titre LES INONDATIONS AU VESINET. Une dame du Vésinet nous communique quelques lignes d'une lettre que son fils, soldat au Tonkin, lui adresse. Hué, 10 mai 1886 Ma chère mère, Quant aux récits des terribles inondations qui couvrent le pays que tu occupes, et dont les journaux annamites eux-mêmes racontent les désastreux effets, je te dirai que, jusqu'à la réception de ton télégramme qui m'a tranquillisé, j'ai craint un moment pour toi, sachant que notre maison n'est élevée au-dessus du sol que de deux mètres,.Fais-moi connaitre les noms des noyés. Se trouvent-ils parmi ces malheureux des personnes amies ? Les pompiers parait-il, se sont conduits avec un dévouement au-dessus de tous éloges. Quant à la corvette qui naviguait près de la gare, c'est au milieu de ces tristes événements, une consolation et un encouragement, car de ce fait, c'est un grand pas pour l'avenir de Paris-port-de-mer. L'on nous dit ici que le ministre de la Marine a l'intention d'établir une station navale dans les environs des gares du Pecq et du Vésinet, j'espère, rentrant en France, être dirigé vers ces mers intérieures, au moins ne serais-je pas si éloigné de toi. Avec l'été, la question quitte les colonnes
de L' Avenir, pour resurgir au mois de décembre. L'article du 19
décembre révélait que la gare du Vésinet avait été de nouveau inondée
la semaine passée "comme elle ne le fut jamais". Et le
journal poursuivait "Mardi, le chef de gare a dû fermer les portes
latérales de la gare afin d'éviter des noyades. Samedi, la même précaution
dût être prise afin d'éviter les accidents qui pourraient résulter du
passage dans la cour de cette station". Mais la presse nationale ne fut pas en reste. En témoigne cet article paru dans La Nation du 3 février 1887 sous le titre « A propos de la Gare du Vésinet ». Il n'a pas choisi le mode humoristique et apporte quelques utiles précisions. Rappelons que la gare avait été inaugurée le samedi 1er juin 1861. De prime abord, les lecteurs de la Nation pourraient croire que je veux les entretenir du chemin de fer du Congo et d'une station à peine desservie par trois trains par semaine et ne transportant des voyageurs que les jours où il y a marché à la ville voisine. J'ai mieux que cela à leur servir. Il s'agit d'une des gares les plus importantes de la ligne de Paris à Saint-Germain, du Vésinet, dont le mouvement par semaine est de 12.000 voyageurs en été et de 8.000 en hiver. Lorsque la Compagnie de l'Ouest se décida à ouvrir cette station, il y a vingt-cinq ans, les ingénieurs chargés de ce travail choisirent, avec le discernement qu'on leur connaît, le terrain le plus bas du pays et construisirent leur bâtiment de telle sorte qu'au moindre orage, ou seulement après une demi-journée de pluie, l'eau s'amoncelle tout autour et forme un petit lac. Pendant les premières années, l'eau s'accumulait devant la porte d'entrée de la station, à tel point que le public ne pouvait y arriver qu'à l'aide d'une grande planche faisant l'office d'un pont improvisé. L'appareil était si primitif que si deux voyageurs pressés avaient la mauvaise idée de s'aventurer ensemble sur cette élastique passerelle, ils ne pouvaient éviter un bain de pied aussi désagréable qu'intempestif. Ce n'est qu'après quinze ans de réclamations et de plaintes incessantes que la Compagnie se décida à changer cet état de choses. Elle fit rehausser le terrain devant la susdite porte et maintenant ce n'est plus à cet endroit que l'eau est stagnante, c'est de chaque côté du bâtiment ; au lieu d'un lac il y en a deux. Les voyageurs qui viennent par les avenues latérales pour prendre le train, sont obligés, s'ils ne veulent pas entrer dans l'eau jusqu'aux genoux, de se glisser le long d'un mince treillage et de patauger dans une boue épaisse et glissante qui ne vaut guère mieux que le bain de pieds qu'ils cherchent à éviter. La Compagnie croit sans doute en être quitte vis-à-vis du public, en plaçant le soir, au milieu de chacun de ces deux lacs, une lanterne sur un vieux banc. Ce second état de choses existe depuis dix ans et dure encore à l'heure présente, en l'an de grâce 1887 ! C'est à se demander si nous sommes dans un pays civilisé. Le malheureux chef de gare qui habite cette presqu'île doit forcément, après plusieurs années de fonctions, ne plus pouvoir compter ses rhumatismes ; mais il peut se livrer aux douceurs de la pisciculture. Les bons habitants du Vésinet, avec une persévérance dont je ne saurais trop les louer, n'ont pas cessé de réclamer, pendant ces vingt-cinq ans, un quart de siècle, rien que ça ! mais la Compagnie de l'Ouest les a toujours écoutés avec bienveillance et pris leurs plaintes en considération. En attendant mieux, les lacs sont toujours là ! Le sans-gêne de cette Compagnie est tout simplement scandaleux ; c'est un privilège du monopole. Au mois de mai suivant, nouveau rappel dans La Nation [14 mai 1887]: On nous écrit du Vésinet : Le bruit se confirme ici que la Compagnie de l'Ouest continue ses préparatifs pour organiser sa fête nautique à l'occasion du cinquantenaire des chemins de fer. On parle même, quelques pluies aidant, de faire manœuvrer sur le lac de la gare, un torpilleur qui sera la grande attraction de ces régates extraordinaires. Mais, cessons de rire, et demandons nettement et une fois pour toutes, si la Compagnie a l'intention de se moquer longtemps encore des plaintes et des réclamations du public. L'accès de la gare n'est littéralement qu'un marais. Il y a deux ans que nous protestons contre cet état de choses; il faut y mettre un terme. Par la suite, il n'en sera plus question. |
Société d'Histoire du Vésinet, 2003-2020 • www.histoire-vesinet.org |