D'après "Les plantes de sous-bois" par Émile Thiébaut, dans la revue Jardinage (n°26, mars 1914)

Le jardin de Monsieur Émile Thiébaut, au Vésinet

M. Pierre THIÉBAUT a créé il y a une vingtaine d'années, au Vésinet, un jardin aujourd'hui admirablement entretenu par son fils, notre collaborateur et ami, M. Émile Thiébaut [1]. Entre autres cultures intéressantes et sur lesquelles nous aurons à revenir, une attention toute spéciale a été donnée aux plantes de sous-bois ; c'est le sujet du premier article de notre excellent collaborateur.

Les plantes de sous-bois

Il y a dans presque tous les jardins d'amateurs des parties ombragées qui font le désespoir de leurs propriétaires. Ceux-ci ont fait de nombreux essais pour les garnir et ils avouent qu'ils n'ont jamais obtenu un résultat qui leur donne satisfaction. Cependant ce "petit bois" ce "coin d'ombre" serait, s'il était un peu garni de plantes, orné de quelques fleurs, l'endroit le plus charmant où venir se reposer pendant les grandes chaleurs.
Nombreuses sont pourtant les plantes qui croissent à mi-ombre, mais je compte ne citer ici que celles qui, mises à cette épreuve dans notre jardin d'essais du Vésinet, ont continué à y vivre et à y prospérer. Je ne m'occuperai que de plantes vivaces ou bulbeuses et d'arbustes, en un mot, de plantes absolument rustiques, ne réclamant pas de soins.

Les plantes formant tapis
Tout d'abord, un certain nombre de plantes très basses, rampantes même, peuvent permettre de faire un tapis très régulier entre les arbres. Dans cette catégorie, le Sedum spurium, l'Antennaria dioïca, au feuillage blanchâtre, le Sedum hispanicum d'un joli vert bleu, le Lysimachia nummularia, qui se couvre au mois de juin d'une multitude de petites fleurs jaunes du plus charmant effet, tandis que tout le reste du temps son élégant feuillage couvre entièrement le sol. Le Cotula dioïca leptophylla, le Spergala pilifera, véritable petit gazon et sa variété à feuille dorée, peut-être moins rustique, mais dont on peut obtenir de jolis contrastes.

Les plantes basses préférant une exposition mi-ombragée
A côté des plantes qui couvrent absolument la terre, on peut employer avec beaucoup de succès toute une catégorie de plantes vivaces qui fleuriront d'autant mieux qu'elles auront un peu de lumière, mais qui vivront et fleuriront néanmoins à l'ombre :
le Saxifraga hypnoïdes (gazon turc) et sa jolie variété à fleur rouge, le Saxifraga hypnoïdes atropurpurea, au léger feuillage vert clair, qui se couvre en mai d'une quantité de petites fleurs écarlates du plus charmant effet; la Statice armeria rose et la Statice Laucheana à fleur plus foncée, la Veronica pedonculala à fleur blanche et la Veronica prostrata à fleur bleue, la Campanula muralis, mauve clair, et la Campanula Wilsoni aux sombres clochettes violettes.
Toutes ces plantes, qui ne mesurent guère plus de 15 à 20 centimètres de hauteur, peuvent très bien, comme celles de la première série, former des tapis, un peu moins réguliers peut-être, mais dont l'effet sera très heureux. En tout cas, il sera toujours préférable de les employer en assez grande quantité de chaque espèce, plutôt que de les mélanger.


Un coin boisé dans les jardins de M. Émile Thiébaut, au Vésinet (Seine & Oise) [2]
Cette photographie montre l'effet pittoresque obtenu avec des plantes grimpantes et vivaces, dans des endroits ombragés. Au premier plan, “Vitis cognetiae" garnissant le front d'un Vernis du Japon.


Effet obtenu avec des Plantes vivaces et des rosiers dans des parties ombragées. Tapis de Sedum spurium ; à gauche un Retinospora.
Jardins de M. Émile Thiébaut, au Vésinet (Seine & Oise).

Les plantes d'ombre
Vient ensuite toute une catégorie de plantes extrêmement rustiques qui peuvent être utilisées en grands groupes réguliers comme plantes de fond. Ce sont les Violettes, les Pervenches à petite fleur, les Hypericum ou Millepertuis aux larges fleurs jaunes et toute la série des Saxifraga dont le Saxifraga ombrosa (le vulgaire "Désespoir du peintre") et sa variété à feuillage panaché sont les types les plus répandus. Ces charmantes plantes, vigoureuses et rustiques, poussent sans aucun soin : leur feuillage forme une jolie rosette d'où s'élève au mois de mai une élégante et légère tige florale.
Toutes les plantes que je viens de citer, et qui sont du reste les plus connues et les plus répandues croissent merveilleusement dans les sous-bois les plus épais, ainsi du reste que l'Helleborus niger, la Rose de Noël et ses nombreuses variétés hybrides aux teintes mauves, violettes et rosées, le Funkia japonica ou Hémérocalle et les Corydalis lutea, ochroleuca et cheilantifolia.
Parmi les plantes pouvant donner d'excellents résultats dans les endroits très ombragés il ne faut pas oublier les Fougères qui poussent à l'état naturel dans nos forêts où elles forment d'imposants sous-bois.
Dans les forêts ce sont les Athyrium, aux grandes et longues feuilles, que l'on rencontre le plus souvent et dont il existe un grand nombre de variétés cultivées. Les plus belles sont les suivantes: Athyrium felix femina aseiforme, asplenioides coronatum, depauperatum, diffissum, digitatum, elegans, Elworthi forminse, Frizeliae, Lemariae multiceps, plumosum, polydactylon, Pritchardi pulchrum, pumilum, purpureum, sagitatum, monstrusum, todesides.
Beaucoup moins imposantes, mais de formes plus légères ou plus originales, quelques autres variétés viennent s'ajouter: ce sont l'Adiantum pedatum nigrum, au feuillage foncé, le Blenchnum spicant (ou Lomaria), le Gystopteris fragilis, l'Osmunda regalis qui porte si bien son nom, car son port est vraiment majestueux; l'Onoclea sensibilis, le Polypodium dryspaeris et le Polypodium ramosum, le Polystichum angulare, le P. acrostichoides et le P. plumosa gracilis, les Scolopendres aux feuilles contournées et ondulées et parmi eux le Scolopendrium cristatum monstrusum, le Scolopendrium officinale et le S. undulatum et les Struthopteris germanica et pensylvanica qui affectionnent, le premier surtout, les endroits frais et marécageux. Enfin toute la série des Lastreas permettra d'obtenir une très grande variété: Lastrea decurens, dilatata filix mas abbreviata, filis mas barnesii, filix mas bolladix, filix mas crisata, filix mas crisata angulosa, filix mas cristata religiosa, filix mas digitata, filix mas furcans, filix mas grandiceps, filix mas iveryana, filix mas fluctuosa, filix mas lineare, filix mas pumila, filix mas spinulosa, spinulosa aurea.
Les variétés très courantes pousseront aisément dans tous les terrains, mais beaucoup d'entre elles auront besoin de terre de bruyère pour bien prospérer.
Il est enfin un arbuste propre par excellence pour les sous-bois lorsqu'on veut garnir de grands espaces c'est le Rhododendron ponticum, absolument rustique. Les variétés hybrides de Rhododendron à grandes fleurs peuvent aussi être employées mais à condition de leur donner un bon sol de terre de bruyère et l'air dont ils ont absolument besoin.


Plantes de sous-bois.
Fusin à feuilles panachées ”Evonymus radicans follis variegatis. Au premier plan, une touffe de violettes ; à gauche, des spirées.
Jardins de M. Émile Thiébaut, au Vésinet (Seine & Oise).


Sous-bois dans le jardin de M. Émile Thiébaut, au Vésinet (S. & O.)
Au premier plan, un tapis de Saxifraga umbrosa (désespoir du peintre). Au deuxième plan, Hémérocalles à larges feuilles et Hypericum Millepertuis.

Les plantes à isoler

Les plantes vivaces
Afin de rompre la monotonie des tapis que nous aurons formés avec les différentes variétés de Sedum Antennaria, Lysimachia ou même avec les plantes de la deuxième catégorie : Statice, Campanules, etc., il sera bon d'y planter de place en place, par unité ou par groupes de trois ou de cinq, quelques jolies plantes vivaces s'accommodant de peu de lumière. Le Fuchsia Ricartoni, absolument rustique, aux petites fleurs rouge brillant, le Rudbeckia speciosa aux capitules jaunes à disque noir, la Bocconia microcarpa au délicat feuillage grisâtre, le Phlox "Comtesse de Jarnac", à feuille panachée, l'Arrundodona à feuille panachée, les Hoteia japonica à fleur blanche et à fleur rose, quelques variétés d'Asters de petite taille telles que Ptarmicoïdes, les Amellus, Bessarabicus, etc., et tous les Sedum japonicum à feuillage vert, panaché et pourpre, toutes ces plantes égaieront de leurs coloris variés le sous-bois.

Arbustes et conifères
Si nous avons à garnir des espaces plus vastes, plus larges, nous utiliserons toute une série de Conifères de petite taille : Retinospora obtusa, Retinospora squarrosa, Retinospora obtusa nana gracilis, Cupressus Stewarti, Cupressus Lawsoniana minima glauca ; et aussi des arbustes tels que les Erables negundoro au feuillage blanc panaché de jaune, I'Evonimus radicans à feuille panachée, les Eleagnus ou Oliviers de Bohême aux feuilles vertes, dorées et panachées, qui feront, les uns et les autres, de jolies contrastes avec des Prunus Pissardi et des Noisetiers pourpres, tous deux à feuillage rouge ; enfin, des arbustes légers et gracieux tels que le Salix americana pendula, le Sambucus plumosa aurea, le Sambucus foliis variegatis, variétés élégantes du Sureau commun, presque tous les Spiraeas et tontes les variétés de Cotoneasters, ces charmants arbustes aux formes si diverses qui se couvrent à l'automne d'une multitude de petits fruits de différentes couleurs : le Cotoneaster adpressa, le C. augustifolia au port étalé, à fruit jaune vif orangé, le C. buxifolia à fruits écarlates, le C. congesta rampant, le C. horizontalis à végétation étalée à fruits rouge corail brillant, certainement l’un des plus curieux, le C. microphylla à feuilles plus petites que le précédent, le C. pannosa atteignant de 1 m 50 à 2 mètres, se couvrant d’une quantité de petites fleurs blanches, le C. thymifolia à feuille de thym, plante très naine et rampante et le C. Wheleri, variété très vigoureuse à rameaux étalés, pouvant atteindre 2 mètres de hauteur et se couvrant de nombreux fruits rouges pendant l’hiver.

Les plantes grimpantes

Dans un bois qui ne sera pas très touffu on obtiendra de très jolis effets et des contrastes ravissants en habillant les troncs de certains arbres d'arbustes grimpants dont le choix sera aussi varié qu'on peut le désirer car une quantité d'entre eux, pour ne pas dire presque tous, y prospéreront malgré le manque de lumière. Tout d'abord les Lierres qui permettront de jeter soit une note sombre en utilisant les variétés à feuillage vert et vert foncé tels que le Hedera cordata, aux larges feuilles en forme de cœur, Hedera algeriensis, Hedera esmeraldgem, Hedera helix lobata major, soit une note gaie en employant les variétés à feuillage clair ou panaché tels que le Hedera argentes, Hedera helix elegantissima folies variegatis, Hedera cuenwoodiana à toutes petites feuilles très découpées d'une légèreté incomparable.
Ensuite la Vigne-vierge et ses nombreuses variétés pourront nous fournir les éléments d'une garniture, jolie l'été et incomparable à l'automne, grâce aux tons bruns et rouges que prendront l'Ampelopsis (Vigne-vierge) veitchi, Ampelopsis veitchi purpurea, Ampelospsis engelmeni, Ampelopsis japonica et Ampelopsis citrueloides. Puis les Clématites et parmi elles la Clématite flammula, à fleur blanche odorante, la Clématite Jackmani, aux grandes fleurs d'un bleu violet intense, la Clématite paniculata et la Clématite vitalba.
Enfin, de-ci de-là, quelques Akebia quinata, au feuillage si léger, une Aristoloche sipho, au contraire, aux grandes et larges feuilles imposantes, un Vitis cognetiae, cette superbe Vigne ornementale, originaire du Japon, dont les énormes feuilles gaufrées prennent à l'automne une teinte écarlate ; des Bignonia (Jasmin de Virginie) aux fleurs rouges, un Houblon vigoureux, des Jasmins à grandes et petites fleurs et surtout le Jasminum nudiflorum fleurissant en hiver et au premier printemps, le Jasminum primu linum aux larges fleurs jaunes, et le Jasminum officinalis à fleur blanche ; des Chèvrefeuilles parmi lesquels il faut choisir le Lonicera sempervirens, à feuillage toujours vert et qui est une des variétés les plus florifères et les plus odorantes, le Lonicera sinensis à fleur rose et le Lonicera japonica à fleurs jaunes et blanches d'un merveilleux effet.


Dans le jardin de sous-bois de M. E. Thiébaut, au Vésinet.
Ce groupe, composé d'un Eulalia zebrina s'élançant au dessus d'un buisson composé d'un Cotoneaster et d'un Rosier, est du plus bel effet.


Jardin de M. Émile Thiébaut
A l'orée du bois, il convient de marier aux conifères aux feuillage bleu et aux arbrisseaux à fleurs, des plantes vivaces, des Desmonium, des Delphinium, des Anémones, des Phlox, etc.

Les sous-bois au printemps

Il est une époque de l'année où les sous-bois ont un attrait incomparable : c'est au printemps. Les arbres à ce moment-là commencent seulement à se garnir de feuilles, et toutes les plantes qu'ils abritent, heureuses de pouvoir jouir de l'air et de la lumière qui leur seront un peu plus tard moins largement données, fières enfin de se montrer, revêtent les plus brillantes couleurs pour nous éblouir et nous charmer : ce sont, après les Perce-Neige et les Crocus, les Narcisses jaunes et les Narcisses blancs simples et doubles, les Jacinthes et les Tulipes aux coloris si vifs élevant leurs hampes et leurs tiges parmi les Primevères aux nuances éclatantes, les Pâquerettes et les Violettes plus modestes. Ce sont aussi les Phlox canadensis à fleur bleue, et les Phlox amaena à fleurs rose, le Thlaspi toujours vert à fleur blanche entourant des groupes de Scilles, de Muscaris, d'Anémones, de Renoncules, d'Ornithogale "épi de la Vierge", d'Iris d'Espagne et d'Iris d'Angleterre.
De majestueuses "Couronnes impériales" disséminées de place en place jetteront une note chaude et des Digitales illumineront de leurs fusées multicolores cet ensemble très varié. N'oublions pas les arbustes de floraison printanière : Boules de neige, Lilas, Prunus triloba, Cerasus veitchi, Corchorus japonicus à fleur jaune et Forsythia suspensisa et viridissima.

Grâce à ce très simple exposé qui s'adresse aussi bien à ceux qui n'ont que quelques petits coins ombragés à garnir qu'aux possesseurs de vastes sous-bois, il sera aussi facile aux uns qu'aux autres de redonner à ces parties de leur jardin, tristes et mornes, la vie et la gaieté qu'apportent toujours avec elles les plantes et les fleurs.

 

    Notes:

    [1] Émile Thiébaut (1871-1949) sera de 1935 à 1941 le 11e maire du Vésinet. Horticulteur, fleuriste, Émile Thiébaut avait un établissement réputé au 30, place de la Madeleine, à Paris. Il fut durant de longues années l'actif président de la Société d'Horticulture du Vésinet.

    [2] Illustrations originales de l'article (photographe Cl. Pogany).


Société d'Histoire du Vésinet, 2013 - www.histoire-vesinet.org