Louis Delâge

Ne faire qu'une chose, mais la bien faire.
devise de Louis Delâge

Honni par sa famille, baffoué par ses camarades, Louis Delâge abandonne à 23 ans, un poste à responsabilité, un salaire de 600 frs par mois dans une grande entreprise pour ouvrir un bureau d'étude qui ne lui en rapportera que le tiers. Mais il s'agit d'automobile !
Marié très jeune à Gabrielle Andréa Yvon, ce père de famille fait encore le désespoir des siens lorsque quelques années plus tard, il renonce à un poste prometteur dans une entreprise en plein développement, Peugeot, pour créer sa propre société en commandite, Delâge et Cie, le 10 janvier 1905.
Mais l'affaire, qui prend corps dans un modeste atelier au
62, rue Chaptal, à Levallois-Perret, va vite se développer. A peine deux ans plus tard, les ateliers sont transférés dans un local plus grand, toujours à Levallois et, en 1908, l'usine emploie 116 personnes sur 4 000 m² . Cinq ans encore et il faut s'agrandir. Une nouvelle usine est construite en 1912 à Courbevoie, près de l'île de La Jatte.
Mais arrive la Grande guerre. Après une période de mise en veilleuse de l'usine de Courbevoie, elle est reconvertie dans la fabrication d'obus, puis de véhicules de liaison pour l'armée. La fabrication de prototypes pour l'après-guerre, que l'on veut proche, se poursuit, cependant, dans un atelier séparé.
En 1916, Louis Delâge acquiert au Pecq une très grande propriété appelée le Château du Pecq, qui s’étend entre la rue Victor-Hugo et l'avenue Carnot (actuelle avenue Charles de Gaulle). Outre une très grande maison, elle comporte un grand parc planté d’arbres magnifiques et une piscine. Delâge acquiert également un petit terrain situé de l’autre côté de cette avenue; il y construit, pour loger ses parents, deux petits bâtiments comportant des crénelages qui leur donnent un aspect très particulier.

Le 27 août 1930, Louis Delâge, qui s'est séparé de sa première femme se remarie à Paris avec Solange Henriette Achard.
Mais la profonde dépression économique en 1930-33 met en péril l'entreprise malgré une refonte totale de la gamme, mal adaptée à cette période de crise. Delâge souffre également de problèmes structurels en particulier de méthodes de fabrication obsolètes et d'un réseau de vente inadapté. Beaucoup de responsables quittent la maison et le service commercial, considérablement réorganisé, est confié à Pierre Delâge, le fils, revenu dans l'entreprise familiale à la fin de 1927. Tout le monde croit au miracle mais il faut bientôt admettre que la fin est imminente. La Société d'Exploitation des Automobiles Delâge (SEAD), créée en février 1935 avec un apport d'argent frais, ne empêchera pas l'inévitable. Hier encore au sommet de sa gloire, constructeur de voitures spécifiquement françaises vouées au culte de la qualité et auréolées d'un titre de Champion du Monde de vitesse, Louis Delâge est dédormais à la tête d'une marque moribonde et le 20 avril 1935, il jette l'éponge.
La marque Delâge est alors reprise par son concurrent, Delahaye, et malgré l'adaptation de moteur Delahaye, pour des raisons évidentes de rationalisation de la production, elle parviendra à conserver son caractère. Les chassis seront améliorés et tous ces efforts porteront leurs fruits : Delâge reviendra au sommet des grandes marques françaises à la fin des années 30.
De son côté, Louis Delâge est criblé de dettes. A la requête de sa femme, qui a obtenu le divorce, la magnifique propriété du Pecq est mise en vente.
Sollicité par la Mairie du Pecq qui voudrait utiliser une partie du terrain, Delâge répond:

C’est avec plaisir que je souscris à la demande que vous me faites de laisser les terrains de la "Madeleine" à la disposition de la municipalité, pour y conduire les enfants des écoles. Vous n’ignorez cependant pas que ma propriété du Pecq est appelée à être mise en vente aux enchères, très prochainement, comme bien Delâge-Yvon. Cette situation motive le fait que je ne puis consentir à ce que vous disposiez des terrains dont vous parlez, que si vous considérez leur mise à votre disposition sous une forme précaire et que vous rendiez ces terrains libres, dès le moment où l’acquéreur du Pecq le notifiera à moins, bien entendu, qu’il ne vous donne la même permission que moi-même.
Les terrains de la "Madeleine" formant d’ailleurs, dans le projet de vente du Pecq, des lots à part, il serait possible à la commune de les acquérir, d'autant plus que je ne pense pas qu’ils atteignent un prix élevé. Je serais heureux si les enfants du Pecq pouvaient en jouir en pleine quiétude ...

Correspondance, Le Vésinet, 3 novembre 1938.

L'affaire ne se fera pas. Le terrain, morcelé, sera en grande partie couvert d'immeubles.
Louis Delâge se replie alors au Vésinet, où il passera les dix dernières années de sa vie, d'abord au 23 avenue du Grand-Veneur, puis plus tard, au 20 allée de la Meute.
Il ne reste pratiquement plus rien de son empire industriel. Démuni de tous ses biens, seul après son divorce, il a choisi le chemin de la simplicité, de la sagesse et de Dieu. A pied, à vélo, il se rend souvent à Lourdes, et il n'est pas rare qu'il croise sur son chemin quelques-uns de ses anciens modèles, ceux qui ont contribué au renom d'une certaine automobile française, celle ou le luxe côtoie les performances et le prestige.
Il meurt au Pecq, le 14 décembre 1947, au 53 rue de Paris, à la Maison de Retraite Notre-Dame. Il est enterré au Pecq dans le caveau qu’il avait fait construire lors du décès de sa mère et où sont également inhumés son père et plusieurs de ses descendants.

Sources:

    - Le Pecq sur Seine, mille ans d'histoire.

    - Omnia, revue pratique de locomotion, n°136, 1908.

    - Eric Favre, Delâge, le luxe sinon rien, 2002.

    - Archives municipales du Vésinet.


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