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Le duel manqué de Paul Porthos Mahalin

Paul Mahalin fut un critique théâtral sans pitié, à la plume acérée, à l'encre vitriolée et l'usage immodéré des pseudonymes ne put l'empêcher d'avoir, quelquefois, à régler sur le pré, ses différends d'auteur. Il n'était pourtant pas un adepte du duel et les procès-verbaux le mettant en cause sont rares en regard d'une carrière prolifique.
Pourtant, Mahalin devait avoir une certaine attirance pour le monde batailleur des mousquetaires, lui qui s'attribua tout seul le second prénom de Porthos plutôt que celui d'Antoine légué par ses parents.
Cependant, l'auteur du Fils de Porthos, de la Filleule de Lagardère, de Mademoiselle Monte-Cristo, connu pour exceller dans les scènes d'actions, souvent violentes, sanglantes, se mit dans une situation fort délicate en refusant de se battre en duel. C'est la parution d'un procès verbal de duel, dans les principaux titres de la presse parisienne du 12 décembre 1885 qui lança l'affaire:

La Marche, 11 décembre 1885, 3 h après midi.
A la suite d'un article paru dans Gil-Blas du 8 décembre 1885, et jugé offensant pour M. le marquis de Spinosa, ce dernier a envoyé M. Paul Sohège et M. le marquis de Dusmet demander réparation par les armes à M. Paul Mahalin.
M. Paul Mahalin ayant voulu prétendre que cet article, dont il se déclarait l'auteur, n'entraînait aucune responsabilité pour lui, M. Cartillier, rédacteur en chef du journal Gil Blas, s'était mis à la disposition de M. le marquis de Spinosa et une rencontre avait été, en fait, décidée.
M. Paul Mahalin, revenant sur sa première décision, a alors accepté une rencontre au pistolet avec M. le marquis de Spinosa.
Cela écartait définitivement la responsabilité de M. Cartillier.
M. le marquis de Spinosa ayant demandé d'abord un duel au pistolet au premier sang, il avait été décidé en dernier lieu qu'il serait échangé quatre balles, soit deux balles par chaque adversaire, avec des pistolets rayés de combat ordinaire, à vingt-cinq pas.
M. le marquis de Spinosa et ses témoins se sont rendus à l'heure soit deux heures et demie, à La Marche, lieu désigné pour le combat, où ils ont trouvé MM. Fernand Xau et Emilien Chesneau, témoins de M. Paul Mahalin. Ces derniers leur ont déclaré qu'ils étaient dans la douloureuse obligation de constater l'absence de leur client qui, après avoir accepté la veille les conditions du combat, leur avait adressé au dernier moment une lettre déclinant la rencontre.
Après avoir lu cette lettre imprévue, sur le terrain, à MM. Paul Sohège et le marquis de Dusmet, en ajoutant qu'ils la jugeraient avec la plus extrême sévérité, MM. Fernand Xau et Emilien Chesneau se sont mis personnellement a la disposition de M. le marquis de Spinosa.
La substitution de M. Cartillier ayant écarté le principe de toute substitution postérieure, MM. Paul Sohège et le marquis de Dusmet n'ont pas cru devoir accepter l'offre de ces messieurs. En conséquence, l'incident a été déclaré clos.
Pour le marquis de Spinosa,
Fernand Xau, Paul Sohège

Comme suite naturelle de cette affaire, le Gil Blas déclarait le matin suivant que "M. Paul Mahalin, un vieil abonné, dont la collaboration à ce journal n'était, du reste, qu'intermittente, a cessé d'appartenir à la rédaction de Gil Blas."
Le Journal Le Gaulois, auquel Paul Mahalin collaborait depuis près de vingt ans, ne pouvait taire ce "pénible incident" et c'est Henri de Pène, fin bretteur lui-même, qui se chargea de la question dans un éditorial le 13 décembre suivant.

UN PÉNIBLE INCIDENT

On a pu lire hier, dans le Gaulois, et dans presque tous les journaux, un procès-verbal fâcheux pour un de nos confrères. M. Paul Mahalin ne s'est pas trouvé à un de ces rendez-vous qu'il n'est pas permis de manquer après les avoir acceptés, et il a mis les deux amis qui devaient l'assister dans une situation difficile dont ils se sont fort galamment tirés. Il n'y a qu'une voix là-dessus parmi leurs confrères.
M. Xau a écrit hier au Gaulois pour demander la rectification d'une faute matérielle le concernant ainsi que M. Chesneau. C'est par erreur que leurs signatures au bas du procès-verbal ont été précédées de la mention "Pour M. Mahalin". Ils ne représentaient plus à ce moment là leur client absent. C'est évident.
Il est plus malaisé de parler du cas de M. Paul Mahalin qui, lui aussi, a adressé une lettre au Gaulois. M. Mahalin rappelle sa conduite martiale pendant la guerre de 1870-71. Il s'enrôla alors, en effet, dans un corps de francs-tireurs, dont nous l'avons vu porter l'uniforme, et nous n'avons jamais entendu dire qu'il ait fui le péril. M. Mahalin expose encore que, dans l'article publié par le Gil Blas, où, à propos d'une artiste de l'Eden, un gentilhomme étranger trouva pour lui une offense, il n'avait aucune intention d'attaquer celui qui se sentit blessé. Une sorte de fatalité aurait donné à sa prose irréfléchie une portée qu'elle n'avait pas dans sa pensée. Enfin, M. Mahalin invoque, pour justifier la conduite qu'il a cru devoir tenir, son âge et ses devoirs de père de famille. [1]
Il s'est mis, c'est trop évident, dans une situation des plus incorrectes. Fallait-il pour cela passer sous silence ce qu'il considère comme sa justification ?
Nous ne l'avons pas cru. M. Paul Mahalin, comme il l'écrit, n'est pas un jeune homme ; ce n'est pas non plus le premier venu dans la presse. Il a publié, en ces derniers temps, d'amusants romans de cape et d'épée. Que ne s'est-il, en cette circonstance, inspiré de ses récits! dit la galerie.
Il est bien certain que, quand on estime avoir passé l'âge des réparations d'usage, on doit s'interdire scrupuleusement les écarts de plume. Il est certain qu'un père de famille doit écrire, comme il doit vivre, en père de famille. Le tort que M. Mahalin paye cher, en ce moment, est d'avoir hésité, une fois la première faute commise, à en exprimer franchement ses regrets. En ces subtiles matières, où souvent l'on prononce trop légèrement le grand mot d'honneur, l'effusion du sang n'est pas, grâce au ciel, de rigueur, et l'on peut sortir d'un mauvais pas par des explications loyales.
Il nous semble que M. Mahalin a été aussi maladroit que possible. Il en est bien puni! Le justifier est une tâche que nous n'entreprendrons pas; mais sied-il d'être sans pitié pour un travailleur spirituel. Ce n'est pas nous, en tout cas, qui lui jetterons la dernière pierre. Ah si cet incident pouvait servir de leçon générale !

H. De Pène [2]

Paul Mahalin avait alors 57 ans, une fille de 18 ans, une autre de 4 ans à peine, une belle situation ... et un duel au pistolet, dans les conditions retenues par son adversaire, n'était pas sans risque d'y laisser la vie...
L'affaire, peut-être en serait restée là, mais Paul Mahalin crut devoir se justifier et adressa à ses confrères des courriers d'explication, des certificats, des "attestations de courage" qui n'eurent pour effet que de relancer la polémique et de multiplier les papiers sarcastiques dont celui d'Aurélien Scholl, du journal Le Matin (20 novembre 1886) est peut-être le plus mordant parce qu'il adopte la dérision :

Avant d'écrire quoi que ce soit qui puisse porter atteinte à la dignité d'un particulier, ou seulement froisser son amour-propre, il est bon de tourner sept fois sa plume dans la bouche de Paul Mahalin. Ce foudre méconnu m'envoie par la poste une suite de certificats prouvant qu'il a droit à une place distinguée dans la galerie des grands batailleurs après Bayard, Turenne, Masséna et le marquis du Hallay:
   1° Le 26 novembre 1864, un sieur Vaudin, intimidé, refusait le combat à Mahalin;
   2° Le jour de la mort de Barrière, Paul Mahalin remportait une victoire sérieuse en Belgique, où il s'emparait de la ville de Mons;
   3° Le même héros exhibe le certificat suivant:
« Armée de Paris, Corps francs de la Seine.
« Nous, soussignés, officiers composant le conseil d'administration des Tirailleurs des Ternes, certifions que le citoyen Mahalin (Paul-Porthos) a fait partie du bataillon pendant toute la durée de la guerre, qu'il y a tenu une bonne conduite, et qu'il y a constamment servi avec courage, honneur et dévouement.
»
      (Suivent les signatures).
Courage, honneur et dévouement étaient sans doute trois volontaires de la même famille que les frères Etiam, Manu et Militari.
Là s'arrêtent les documents produits par le fougueux Mahalin, mais, au risque de blesser sa modestie, nous avons voulu compléter l'histoire de cet homme qui, s'il eût vécu trois mille ans plus tôt, aurait certainement été mis au rang des demi-dieux.
Le 11 décembre 1870, à minuit, une patrouille de ulhans faisait une reconnaissance aux environs du Mont-Valérien. Les Prussiens avançaient doucement, prêtant l'oreille au moindre bruit. Une ombre sortit tout à coup du buisson qui entoure la briqueterie de Suresnes cette ombre rampait derrière les ulhans. Deux, détonations retentirent, deux chevaux roulèrent dans la poussière. Trahison! cria une voix avec un accent allemand très prononcé. Cinq coups de revolver étendirent cinq cadavres sur la route; c'en était fait des uhlans. L'ombre eut alors un ricanement féroce. Elle tira cinq cartes de visite et sur la poitrine de chacun des morts, plaça l'une de ces cartes sur lesquelles le général von Ambigustein put lire à l'aube se nom terrible et redouté Paul Mahalin.
Quelques jours plus tard, le département du Loiret avait disparu sous la neige. Un messager,vint apprendre au général d'Aurelles de Paladine que les Bavarois marchaient sur Orléans. "Une heure pour réunir mes forces" s'écria le général," je ne demande qu'une heure, mais il me la faut".
Un homme s'avança. L'énergie était peinte sur tous ses traits. "Général, dit il, faites-moi donner un cheval et six révolvers sept coups, je me charge de retarder d'une heure la marche des Bavarois.
– Qui êtes-vous? demanda d'Aurelles de Paladine.
– Je suis Paul Mahalin, répondit l'inconnu avec simplicité. J'ai traversé les lignes prussiennes pour voir un peu ce qui se passait sur les bords de la Loire.
– Et vous répondez d'arrêter les Bavarois ? Qu'on donne à cet homme ce qu'il demande ! dit le général.
Un gros de Bavarois était signalé sur la route d'Olivet. Mahalin courut à leur rencontre. Il arracha la hache d'un bûcheron, abattit une douzaine d'arbres séculaires qu'il plaça en travers des chemins, puis il s'étendit sur le sol et attendit. Les Bavarois arrivèrent au petit trot. Mahalin, tenant un revolver chaque main, abattit les dix-huit premiers, car il y eût deux coups doubles. "L'ennemi est en nombre supérieur! s'écria un officier bavarois. Allons chercher du renfort. Les Bavarois tournèrent bride."

"Mon général, dit Mahalin qui revint couvert de sueur à l'état-major, je vous ai promis une heure, vous en avez deux !
– Vous nous quittez? s'écria d'Aurelles de Paladine.
– Il le faut ! Je me dirige sur le Mans. Chanzy m'inquiète, je vais voir s'il a besoin de mon épée.
– Allez, dit le général d'Aurelles en maîtrisant un sanglot. Mais d'abord, laissez-moi vous presser sur mon, cœur."
Ils tombèrent dans les bras l'un de l'autre. Puis, Mahalin sauta sur son cheval et, piquant des deux, disparut au galop.
Ce qu'il fit, l'histoire le dira. Il nous suffit de rappeler que ce fut à cette époque qu'on put lire sur les murs de tous les villages envahis: "Cinquante mille florins de récompense à ce lui qui apportera la tête du Français Paul Mahalin. Cette récompense sera doublée si, avec la tête, on rapporte la peau dans un état de conservation suffisant pour qu'on puisse en faire une descente de lit à notre glorieux souverain le roi Guillaume."

Quelques mois plus tard, les choses s'étant un peu apaisées, le même Aurélien Scholl revint sur la question du duel à l'occasion de l'adaptation pour la scène du Fils de Porthos, du vieux Mahalin. Le ton est à l'apaisement, l'humour est toujours là mais la personne de Mahalin n'est plus si cruellement malmenée :

Le drame de cape et d'épée devait tôt ou tard reprendre sa place au théâtre. Que de gens ne savent de l'histoire que ce qu'ils en ont vu à l'Ambigu, à la Gaîté ou à la Porte-Saint-Martin. Ponson du Terrail prétendait que le dernier courtaud de boutique avait pour huit jours de bravoure sur la planche après une lecture des Mousquetaires. Ce qu'il y a d'amusant dans la circonstance, c'est que l'héroïsme reparaît sous les auspices de M. Paul Mahalin, qui a sincèrement l'horreur des combats. Il l'a prouvé en mainte occasion. Notez que je ne lui jette point la pierre à ce propos. En 1866, requis de rendre raison à un particulier, M. Mahalin esquiva la rencontre. Théophile Silvestre, alors rédacteur en chef du journal où écrivait M. Mahalin, inséra la note suivante "Un de nos rédacteurs, provoqué à l'occasion d'un de ses articles, a refusé d'en rendre raison. C'est affaire à lui. Il n'en reste pas moins attaché à la rédaction de ce journal. Ce sont des écrivains qu'il me faut, et non des spadassins."
C'était bien dit. Le duel a remplacé dans nos mœurs le Jugement de Dieu. Il coupe court aux polémiques qui dégénéreraient en coups de poing; il ferme la bouche à la médisance et rend de réels services, mais nul n'est tenu d'y avoir recours. A une époque où tant d'écervelés saisissent l'épée ou le pistolet pour d'inavouables futilités, il est bon, sain et moral que, de temps en temps, un esprit sérieux donne l'exemple d'un véritable attachement à la vie.
M. Paul Mahalin est, d'ailleurs, un homme d'esprit. Un de ses confrères qu'il avait écorché de sa plume acérée lui écrivit un jour "qu'il lui envoyait sa botte quelque part." M. Mahalin répondit aussitôt " Monsieur, j'ai bien reçu votre lettre et l'ai aussitôt mise en rapport avec la partie intéressée."

 

    [1] Paul Mahalin avait épousé à Chaillot, en 1866 une demoiselle Joséphine Duchêne, 23 ans, sans profession. Madame Mahalin fit la guerre de 1870-1871 comme infirmière (mouvement des "femmes de France") avec les Francs-tireurs de la Compagnie de son mari. Ils ont eu deux filles : Aimée Marie Caroline (1866) qui a fait carrière dans le théâtre sous le pseudonyme de Mlle de Braine, et Alice (1880).
     

    [2] Henri de Pène avait été donné pour mort après un duel fameux, au Vésinet en 1858. Les Journaux avaient publié sa nécrologie. Mais il se remit de ses blessures. Il mourut dans son lit trente ans plus tard, le 25 janvier 1888.

 


Société d'Histoire du Vésinet, 2011- www.histoire-vesinet.org