L'Industriel de Saint-Germain, Samedi 9 janvier 1858 (8e année, n°2-335) [1]

Promenade historique aux environs de Paris

Le Pecq.Son origine et son histoire. — Le Vésinet. — Mareil-Marly. — Fourqueux.— L'Etang-Ia-Ville.

On ne peut parler de Saint-Germain-en-Laye sans signaler Le Pecq, qui lui est contigu et dont il parait être un faubourg. Il est bâti en amphithéâtre sur la pente rapide de la montagne où s'élève Saint-Germain, et qui s'abaisse jusqu'à la rive gauche de la Seine, que l'on y passe sur un beau pont de sept arches en bois, supportées par des piles de pierre. On y jouit d'une fort belle vue sur le cours de la Seine, sur les riantes collines qui bordent le cours de cette rivière et sur une plaine immense qui s'étend jusqu'au-dela de Maisons et de Saint-Denis. L'église paroissiale, dédiée à Saint Wandille, est fort ancienne et a été restaurée plusieurs fois. L'édifice actuel est de 1746 ; quoiqu'il ait une aile de chaque côté, on ne tourne pas derrière le sanctuaire. Cette église est ornée très ordinairement ; mais y a-t-il une cérémonie importante, aussitôt on se met en frais et on la décore avec magnificence; l'année dernière, elle ne laissait rien à désirer le jour de l'Adoration perpétuelle du St-Sacrement, qu'on y célébrait le 6 octobre. Le portail est simple, surmonté d'une tour carrée, et précédé d'une petite place.

Le Pecq. — Église St-Wandrille (XVIIIe).

Pour bien comprendre l'origine de ce bourg, il faut remonter à son étymologie. On disait, il y a trois cents ans, Aupec pour indiquer la paroisse au-dessus de laquelle Saint-Germain-en-Laye s'est élevé, et ce langage était raisonnable, parce qu'il était tout naturellement dérivé du latin Alpicum ou Alpecum, qui est le nom que ce lieu porte dans un titre de plus de mille ans. Au VIIe siècle, ce village était du domaine du fisc, mais en 704, le roi Childebert III donna Aupec à l'abbaye de Fontenelle ou de Saint-Wandrille, en Normandie, et cette abbaye le conserva d'autant plus soigneusement que c'était un vignoble considerable d'où elle tirait annuellement 350 muids de bon vin. Le prieuré de Saint-Wandrille était un de ceux qui devaient le piment [2] à Notre-Dame de Paris, le jour de l'Assomption. En 1596, Henri IV affranchit pour toujours les habitants du Pecq de toutes tailles, impositions et subsides, à la réserve du taillon, pour les dédommager de l'abandon qu'ils avaient fait de dix-huit ou vingt arpents destinés aux jardins du château qu'il élevait à Saint-Germain. Louis XIII et Louis XIV confirmèrent cet affranchissement.
Le Pecq est célèbre encore dans notre histoire moderne, pour avoir été l'endroit où les armées étrangères effectuèrent le passage de la Seine, en 1815. Le 1er juillet, les troupes commandées par le maréchal Blücher et lord Wellington, lassées d'échanger inutilement des coups de canon et de fusil avec les Français, protégés par les fortifications de Montmartre, Saint-Chaumont et autres, se replièrent sur le Pecq et y effectuèrent le passage de la Seine. L'un des rédacteurs des nombreux journaux de Paris s'est dit-on, vanté de les avoir secondés. Des ouvriers avaient été placés sur le pont du Pecq avec ordre de le rompre à la première approche de l'ennemi. Le rédacteur, connu par son grand zèle pour la cause royale, propriétaire d'une maison proche le pont du Pecq, craignant avec raison que la rupture de ce pont n'opposât un trop long obstacle au passage de la rivière, amusa les ouvriers en les faisant boire ; pendant ce temps, les ennemis surviennent, s'emparent du pont et effectuent le passage, qui bientôt leur facilite l'invasion de la rive gauche du fleuve, où le défaut de fortifications leur donnait l'espoir de se rendre bientôt les maîtres de la capitale. Cependant ils ne s'emparèrent pas de ce poste important sans une vive résistance de la part du petit nombre de Français commis à sa garde. Ceux-ci s'opposèrent, avec leur bravoure accoutumée, à l'irruption soudaine des troupes ennemies, et ce n'est qu'après avoir vu tomber l'officier qui les commandait, et la plupart de leurs camarades, que les autres se retirèrent, en combattant toujours, par le bois du Vésinet, qui est de l'autre côté du pont.

Le Pecq. — La ferme du Roy (XVIIIe) dite du Vésinet

Le Vésinet, Visiniolum, est cité dans les diplômes du IXe siècle. Au commencement du siècle dernier [XVIIIe], dans ce lieu où l'on fit défricher trois cents arpents de terre, on établit des fermes, des laboureurs et des vignerons, en sorte qu'il s'y réunit soixante ou quatre-vingt personnes ; on y fit construire une chapelle et l'on obtint qu'un chapelain pût y dire la messe, chanter vêpres dimanches et fêtes, et conserver le Saint-Sacrement et les Saintes Huiles. La forêt ou le bois du Vésinet a longtemps porté le nom de Bois de la Trahison, parce que la tradition était que le preux Roland y avait été assassiné par le traître Ganelon, le même qui avait fait ses preuves dans les environs de Compiègne, où se voit encore une montagne qui porte son nom, au-dessus du village de Clairoy; nous en parlerons en son lieu. Il y avait encore dans ce bois une mare, d'un côté de laquelle une branche d'arbre surnageait comme sur toute autre pièce d'eau, tandis que de l'autre il tombait aussitôt au fond : conte du bon vieux temps rapporte par Pasquier.
Un autre écart du Pecq est Demonval, qui est le Dimonvallis d'une charte de 1177; on raconte sur ce lieu mille histoires romanesques, entre autres celle de Cretzet-Cot et buvet d'éguo, qui est passée en proverbe dons la Limagne d'Auvergne.

Mareil, qu'on nomme Mareil-sous-Marly ou Mareil-Marly, pour le distinguer de plusieurs autres localités de ce nom, et notamment de Mareil-le-Guyon et de Mareil-sur-Mauldre, dans le même département, est situé sur le penchant de la colline qui borde la rive gauche de la Seine, tout en dominant le hameau de Demontval ; il n'est qu'à une demie-lieue de Saint-Germain. A droite est le village de l'Etang, à gauche le château de Grandchamp, et le sommet de la colline est couronnée par un bois qui s'étend jusqu'à Marly. On voit par d'anciens titres que, dès le temps des rois de la première race, les moines de Saint-Denis avaient reçu de la libéralité de ces rois des biens situés à Mareil, puisqu'on trouve un jugement du maire du palais, Pépin, qui reconnaît la propriété de l'abbaye sur ces biens. L'église de Mareil fut donnée, en 1060, aux moines de Coulombs. Ou compte un grand nombre de seigneurs de Mareil. Les habitants furent affranchis de la servitude en 1335. Ce qu'il y a de plus remarquable à Mareil, c'est son église qui date du XIIIe siècle ; elle est toute construite en pierres de taille, voûtée et pavée, avec une aile de chaque côté. La nef est ornée de galeries dont les arcs sont supportés par de petits piliers carrés. Le portail de la façade et celui du côté sont du XIIIe siècle ; la tour du clocher latéral paraît être du XIIe siècle, à l'exception du sommet, qui est moderne et terminé pur un pavillon d'ardoise.

Fourqueux est un petit village qui avoisine le précédent. La terre de Fourqueux était autrefois seigneuriale, avec haute, moyenne et basse justice. Le village, situé sur le penchant d'une colline, ne forme qu'une seule rue très-longue ; il renferme un château de construction moderne, dont le parc de 130 arpents, tient à la forêt de Marly. Une portion de ce parc est plantée dans le genre paysagiste.

Le village de l'Etang, qu'on surnomme l'Etang-la-Ville, est tout près de Marly-le-Roi, entouré par la forêt et dans une vallée assez profonde, entre une colline ombragée par des châtaigniers séculaires et le coteau où mûrissent les vignobles de Mareil. Ce village fut formé en cet endroit pour loger les vignerons qui cultivent les vignes plantées en assez grande quantité entre ce lieu et Mareil. L'Etang date du XIIe siècle. L'église de ce village en prouve l'antiquité ; les piliers du chœur paraissent appartenir à la fin du siècle déjà cité. La seigneurie de l'Étang n'est guère mentionnée qu'au XVe siècle. Au commencement du siècle suivant, elle appartenait à la famille Séguier, qui la conserva jusqu'à la fin du XVIIe. Les prétentions de l'Étang, en 1772, faisaient sourire de dédain l'antique Argenteuil, autrefois ceint de remparts, aimé de Charlemagne, et excitaient les railleries de Marly, plein du souvenir des Montmorency, de Marly-le-Roi, fier des préférences de Louis XIV. Une vieille tradition veut que ce village ait commencé par être une ville superbe. Les plus grands fleuves, le Nil lui-même, ont d'humbles courses ou des sources cachées ; l'Étang-la-Ville prétend, comme Carthage, avoir eu des temples et des palais avant des chaumières ; ses riches habitants se livraient au plaisir de la chasse dans la forêt de Marly, qui semblait plantée exprès pour les ébats de ses chasseurs. Malheureusement, les seigneurs dont les terres environnaient la cité, avaient, dans la forêt même, des droits de chasse dont ils étaient fort jaloux. L'Etang n'était, pour eux, qu'un nid de braconniers ; ce sont les paroles de Marie Aycard. Ils dépouillèrent la cité de ses privilèges, détruisirent ses monuments, et réduisirent la ville à devenir un petit village, qui eut l'orgueil d'ajouter à son nom un titre qu'il ne mérite plus, l'Etang-la-Ville. Sur la foi d'Homère, allez à Troie, et vous chercherez vainement des vestiges de Troie aux belles rues ; allez à l'Étang-la-Ville, et rien ne vous indiquera la cité disparue ; mais dans les archives du village, se trouvent des chartes des XIe et XIIe siècles, qui prouvent du moins son antiquité.
La Lombarderie est le hameau le plus considérable de la commune ; plusieurs autres ont été compris dans la parc de Marly. Nous devons dire un mot de celui de Chevaudeau, ainsi que d'un lieu nommé aujourd'hui la Maison-Rouge, situé dans la partie de la forêt de Croye, dépendant de la même paroisse. L'un et l'autre existaient vers la fin du règne de Charlemagne, car, dans un état des biens de l'abbaye de Saint-Germain, on voit qu'elle avait dans cette forêt deux églises : l'une à Chambourcy, l'autre au lieu dit les Maisons. Chambourcy existe encore. À trois quarts de lieue, vers le midi de l'étang, est le lieu-dit Maison-Rouge, auquel touchait la chapelle de Saint-Michel-de-Chevaudeau, qui appartient de temps immémorial A l'abbaye de Saint-Gerrnain-des-Prés. La chapelle de ce petit prieuré était encore debout en 1714, mais en très mauvais état, et depuis vingt ans, on n'y disait plus la messe; elle fut détruite, et à sa place fut élevée une croix.

J.-B. Léon de Billom
(La suite à un prochain numéro.)

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    Notes SHV

    [1] Sixième épisode d'un récit paru sous la forme d'un feuilleton dans l'Industriel de St-Germain à partir du 5 décembre 1857.

    [2] Boisson très usitée et très estimée au Moyen Âge. Le piment était un mélange de vin, de miel et d'épices, irritant et échauffant, que du reste Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, interdit au XIe siècle à ses religieux.

 


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