D'après Émile Rivoalen (1843-1912) dans Petites maisons modernes de ville et de campagne (Georges Fanchon éd., Paris, 1901).

La Villa Miraflores au Vésinet (Seine-et-Oise)
par M. Th. Bourgeois, Architecte

Incluse dès 1992 dans les demeures à protéger du Plan d'Occupation des Sols de 1992, la villa Miraflores eut droit à un paragraphe et une belle illustration dans l'ouvrage de référence : Le Vésinet, modèle français d'urbanisme paysager (1858-1930), Cahier de l'inventaire n°17, Imprimerie Nationale, Paris, 1989 réalisé à partir de l'inventaire du ministère de la Culture en 1980-86.[2]
Si son architecte, Théophile Bourgeois, n'a pas retenu cette maison parmi les modèles qu'il publia dans les trois fascicules de La Maison moderne (1899, 1903, 1910) censés représentatifs de son œuvre, d'autres architectes ont été sensibles à cette réalisation originale. Ainsi, Émile Rivoalen (1843-1912) dans l'ouvrage Petites maisons modernes de ville et de campagne (Paris, 1901) dont il dirigea la publication ; il lui consacre une minutieuse analyse dont nous citons quelques passages.

    Cette petite maison de plaisance a été récemment bâtie, pour le compte de M. de Y..., Américain du Sud [3], dans le site assez plat, mais agréablement boisé, que couronne la Seine et que dominent les coteaux de Saint-Germain, de Marly, de Louveciennes.

    C'est dire qu'on ne pouvait ici manquer - tant au point de vue du site environnant que pour satisfaire au vœu du client d'outre-mer - à la presque obligation de créer quelque chose d'original et mouvementé.

    Autant il parait rationnel, en pays de montagnes, d'étaler l'habitation presque de plain-pied, sous l'abri d'une vaste couverture dont l'égout descendrait, par les côtés exposés aux bourrasques, presqu'à terre ; autant il semble agréable, en plaine, de surélever au contraire, certaines parties de l'habitation ; de dresser tourelle ronde ou carrée, campanile ou clocheton ; et cela pour briser, à l'œil du passant, la monotonie du plan horizontal, de l'assiette environnante ; pour faciliter aux habitants la vue des lointains paysages.

    La villa « Miraflores » détache ses riantes façades blanches, émaillées de floraisons grimpantes, sur le rideau vert des taillis du Vésinet.

     

     

    L'amusante villette oppose le sursaut de sa grosse tour carrée, – telle une bastide méridionale – les garde-corps de ses toits en terrasse et les saillies de ses discrets miradors, de ses auvents multiples, à la douce égalité de ce terrain plat, sablonneux, qui constitue le sol de la presqu'île.

    L'irrégularité des séries d'ouvertures criblant les façades – loggia du 1er étage, arcature du second, gradins de l'escalier, etc. – est d'un jeu piquant, d'un capricieux effet.

    L'aspect extérieur de cette « folie » – comme on disait au XVIe siècle en parlant d'une maisonnette de plaisance – accuse bien l'absence de toute prétention à la durée séculaire, à la transmission familiale.

    Et le parti pris d'un aimable pied-à-terre a dû être le fond du programme dicté à l'architecte, par M. de Y…, son client. La somme dépensée (17400 frs) a été ingénieusement employée pour le maximum d'effet pittoresque et d'originalité, sans bizarrerie, sans « décousu ».

    A l'intérieur, salle, bibliothèque et salon, forment presque une seule galerie de réception (ensemble: 10,75 long x 4,00 larg.). Ces trois« temps » d'une même grande salle, peuvent se réunir ou se séparer, suivant le cas et l'humeur du moment. La petite cuisine et son armoire complètent le rez-de-chaussée dégagé par un vestibule ou cage d'escalier que précède un porche bas sous lequel s'abrite bien le seuil de l'avenante demeure.

    Au premier étage, la disposition de l'unique chambre à coucher indique, à la fois, la destination toute personnelle au propriétaire, en celle partie de l'habitation et le confort bien complet habituel aux riches méridionaux. D'abord, la chambre ne prend pas jour directement en façade mais s'ouvre, par un assez large vitrage, sur une loggia ombrée, elle-même, d'un auvent. Ainsi les ardeurs solaires, ne peuvent rendre ladite chambre inhabitable en été.

    Le cabinet de toilette, largement ouvert sur la chambre, ne prend jour que par une petite baie percée en façade latérale. Seules la salle de bain (pouvant s'alimenter par la cuisine située au-dessous) et la penderie sont directement éclairées sur le dehors. En cet appartement, si bien complet, du maitre ou des maitres de la maison, l'habitation sera douce durant les jours de grande chaleur et agréable durant les nuits chaudes car on pourra, en ouvrant le vitrage sur la loggia, aérer très complètement la chambre.

    N'aimerait-on même les stations nocturnes en chaise longue, par un temps d'étouffante chaleur, sur cette terrasse couverte, - qu'on aurait voulu un peu plus large, si le chiffre fixé de la dépense n'en avait dû s'enfler.

    Un bon cabinet d'aisances, bien aéré, complète le confort dudit appartement, mais cela d'une façon indépendante, pour le service du reste de la maison, et sans préjudice du service domestique assuré par un autre cabinet w.c. disposé au sous-sol.

    En outre de l'appartement de maître, est une « salle » cabinet de travail ou petite chambre d'ami agrémentée d'un mirador ou bow-window en bois, plutôt fermé aux chaleurs estivales qu'ouvert à la lumière.

    Pour l'accès du 2e étage contenu en la tour carrée et de la terrasse couvrant le reste du bâtiment, un escalier secondaire monte a côté de la pièce susdite, et, sous cette rampe, un réduit est ménage comme dépôt d'objet de toilette, penderie, etc.

    Au 2e étage, enfin, et destinée à un serviteur est une chambrette, au moins fort salubre par la facile aération que lui assure une série de petites baies, et le grenier perdu qui la surmonte.

    L'accès, par dégagement, ménage a la grande terrasse – où peuvent être disposés des arbustes à feuillage persistant – offrirait aux habitants un bosquet fort agréable durant les soirées d'été, hors des vapeurs du sol végétal. Ce dernier point caractérise, encore mieux que tout ce qui vient d'être noté : l'habitation d'un fils de l'Amérique méridionale.

    Au sous-sol, auquel donne accès un escalier en bois, sont disposées : buanderie bien éclairée (avec tuyau de fumée dans le mur de face pour la lessiveuse, et tuyau de calorifère dans le mur de refend), cave à liquides et cave à charbon – cette dernière, s'ouvrant au dehors, par une baie qui sert à la descente des futs. Un cabinet d'aisances, spacieux et directement aéré, est disposé près de la fosse; et cette dernière, établie sous le porche et le perron, fournit, par ses murs et sa voûte, une solide fondation à des parties accessoires du bâtiment – parties trop souvent établies sur assiette insuffisante. Le sol carrelé de la cuisine est établi sur terre-plein.

    Vu la recherche de rationnelle originalité marquant, non seulement l'ensemble mais, encore plus, les détails extérieurs de cette petite maison – depuis la véranda en bois abritant une terrasse basse, au-devant de la salle à manger, jusqu'à l'arrangement (très inédit d'une souche de cheminée qui intercepte, en haut d'une façade latérale, le garde-corps de la terrasse (toiture plate) ...

Construite au bord du Grand Lac, la villa (très bien conservée) est ouverte sur l'extérieur par une tour de belvédère avec bow-window, des balcons, une loggia et un toit en terrasse. [4] Chaque façade est pourvue de balcons, dont les garde-corps en bois sont découpés en forme de silhouettes de griffons (une des marques de fabrique de l'architecte). Les nombreuses fenêtres favorisent l'éclairement. Dans les arcs en plein cintre de certaines d'entre elles, les observateurs ont vu une influence vénitienne. La villa, remarquée autant pour la personnalité de son architecte que pour son inspiration italienne est datée « vers 1905 ». Mais la brochure de Rivo a len est parue en 1901 (édition de G. Fanchon, Paris) et ce qu'on sait du commanditaire laisse penser qu'elle fut mise en chantier avant 1900.
Au moment de sa mort au cours d'un séjour à Nice en 1907,
Alexandre de Ydiaquez était domicilié « à Lima, Pérou » mais il était toujours propriétaire de la villa Miraflores dont son épouse hérita de l'usufruit [5].

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    Notes et sources :

    [1] Mentionnée (AI-73) sur la première liste des demeures à protéger ( annexe n°5 du règlement du Plan d'Occupation des Sols, [révision approuvée le 24 février 1992]) elle est classée « maison exceptionnelle » dans le Plan Local d'Urbanisme (2014) et dans les documents annexes du Site Patrimonial Remarquable (2018).

    [2] Figurant dans la Base Mérimée ( notice n°IA00057534. ), base de données sur le patrimoine architectural français, créée en 1978 et mise en ligne en 1995 par le ministère de la Culture  qui, au Vésinet a conduit à l'édition du Cahier d'Inventaire n°17 : Le Vésinet, modèle français d'urbanisme paysager (1858-1930). La villa, remarquée pour son architecture italienne et par la personnalité de son architecte, est datée de 1905. Mais la brochure de Rivo a len est parue en 1901 (édition de G. Fanchon, Paris) et ce qu'on sait du commanditaire laisse penser qu'elle fut mise en chantier avant 1900.

    [3] M. de Y..., Américain du Sud, le commanditaire, est bien connu. C'est un diplomate péruvien du nom de Ydiaquez. Notons que dans les documents en langues hispaniques ou anglaises, son patronyme (de Idiaquez) s'écrit toujours avec un "I". Mais en français, pour des raisons que nous n'avons pas pu déterminer, le patronyme s'écrit (presque) toujours avec un "Y".

    [4] Selon les annonces immobilières parues à l'occasion de sa vente en 2022, la propriété comporte une maison de 140 m²(sans compter le sous-sol et les dépendances estimées à 100m²) sur une parcelle arborée de 1395m².

    [5] Table des successions et absences, Seine-et-Oise (Bureau d'enregistrement de St Germain-en-Laye, 1908-1909).


Société d'Histoire du Vésinet, 2025 • www.histoire-vesinet.org