Le Vésinet au théâtre, SHV, 2020. Mon mari du Vésinet Comédie-vaudeville en trois actes Après dix mois de succès, Les Maîtres-nageurs, comédie satirique de Marcel Franck, allaient quitter l'affiche. Et c'était « une farce 1900 » de René Rongé intitulée Mon Mari du Vésinet qui lui succèderait sur la scène du Théâtre de la Potinière à partir du 20 avril 1950. Son auteur, comédien belge alors pensionnaire du Gymnase de Liège depuis 15 ans et professeur au Conservatoire de cette ville, avait écrit sept comédies, toutes inédites à Paris. Une programmation risquée pour la directrice de ce théâtre abonné aux pièces dites de Boulevard. Avec quelques semaines d'avance, l'annonce précisait que « L'action de Mon mari du Vésinet a pour décors la boutique d'un oiseleur. La pièce retrace les mésaventures comiques d'un jeune homme qui se découvre marié malgré lui par suite d'une erreur d'un employé de l'état civil ». Armontel incarnera ce malheureux, Edna Damasco sera sa pseudo épouse, tandis que Martine de Breteuil (la directrice du théâtre) jouera (à contre-emploi) les ingénues perverses, aux côtés de Raymond Pellegrin, Yolande Laffon, Madeleine Subbel, Willie Rey, etc. [1] Edna Damasco (brésilienne présentée comme la nouvelle Elvire Popesco) malade a finalement laissé sa place à Arlette Merry (Arlette Pinoteau, sœur du cinéaste Claude Pinoteau). Quelques jours après la première, les critiques commencent à paraître. Sous la plume de Max Favalelli (1905-1989) journaliste, verbicruciste, et animateur de jeux télévisés qui sera plus tard une des figures du petit écran, on peut lire : A la Potinière : MON MARI DU VÉSINET Ce n'est pas un vaudeville, c'est sa banlieue laborieuse... L'idée de départ utilisée par M. René Rongé n'est pas plus mauvaise qu'une autre. Un employé de l'état-civil ayant commis une erreur d'inscription dans les registres de la mairie, un homme et une femme, qui ne se connaissent absolument pas, se trouvent sans le savoir unis par les liens du mariage. Ajoutez que l'homme est un " rosier " [2] qui poursuit au Vésinet des études sur l'ornithologie, que la femme est une bouillante Espagnole, elle-même mariée à un irascible gentleman lequel a pour compagnon un coquelin très épris de la dite volcanique Ibère (vous me suivez ?). Et que, autour de ces personnages, gravitent des satellites qui sont, par ordre de candeur : une soubrette douée d'un vigoureux tempérament, une donzelle qui a fauté et cherche à se faire épouser, un notaire à barbiche et un valet de chambre barytonnant. Tous les ingrédients y sont et M. René Rongé aurait pu cuisiner avec le tout un bon vaudeville. « Mon Mari du Vésinet » n'est qu'un vaudeville de plus. Ce qu'il y manque ? Un premier acte dont l'exposition soit plus alerte, moins mécanique. Un second acte (le meilleur) dont la conclusion soit mieux dans le mouvement. Un troisième acte qui utilise avec plus de bouffonnerie les quiproquos. Ceci dit, je ne doute pas que "Mon Mari du Vésinet" ne rencontre un certain succès auprès d'un certain public dont l'appétit s'accommode des recettes les plus éprouvées. Quelque chose comme le bœuf gros sel. Guidée par la fantaisie de M. Jacques-Henri Duval, une troupe vaillante mène toute cette affaire dans un excellent rythme. M. Armontel est un des rares acteurs à posséder vraiment le style du Vaudeville. Trépidante, jouant de la prunelle et de la hanche (et quel éclatant sourire!), Mlle Arlette Merry prête à l'Espagne des charmes auxquels nul ne songe à résister. Mme Marcelle Praince est, comme toujours exquise et sait mettre du tact là ou il le faut. Enfin, nous retrouvons ici avec plaisir un comédien que nous n'avions pas vu depuis de longs mois sur une scène parisienne Raymond Pellegrin. Avouons que nous aurions souhaité pour lui un rôle qui soit mieux à sa mesure. [3] Le Théâtre de la Potinière (théâtre privé) rue Louis-le-Grand dans le 2e arrondissement a fonctionné de 1919 à 1993 avec parfois un autre nom : Théâtre Isola (1938), Théâtre George VI (1938-1940), Théâtre Louis-le-Grand (1940-1942), Théâtre des deux Masques (1961), Biothéâtre (1974-1978), Nouvelle-Comédie. Il est devenu Pépinière Opéra en 1993 puis Théâtre de la Pépinière depuis 2008. En avril 1950, il est dirigé par Martine de Breteuil. D'origine ukrainienne (son nom de naissance est Moussia Bielinnko) sa famille a fui la révolution russe de 1917 et s'est installée en France. Après avoir étudié la danse, elle devint sur scène meneuse de revues et de comédies musicales. Elle fut notamment une des protagonistes de l'opérette libertine Les Aventures du roi Pausole créée en décembre 1930 au Théâtre des Bouffes-Parisiens. Elle était connue alors sous le nom de Moussia. On ne peut chercher querelle à M. René Rongé, auteur de « Mon mari du Vésinet », qui avoue n'avoir d'autre prétention que celle de divertir le public. Tout au plus pourrait-on lui reprocher le choix des moyens, qui sont un peu gros... Mais l'auteur a prévu cela et intitulé sa pièce « comédie-vaudeville », ce qui implique qu'il ne prétendait pas non plus à la finesse. M. René Rongé est Belge et pensionnaire depuis quinze ans du Théâtre Royal du Gymnase de Liège où il tient l'emploi de jeune premier comique. Il a écrit une douzaine de comédies en trois actes, qui ont été créées sur cette scène. C'est vous dire que M. Rongé sait comment on fait rire un public, et comment on tient une salle. Je ne peux dire que je me réjouis de voir un vaudeville de plus occuper un plateau alors que tant de jeunes metteurs en scène (et qui ont fait leurs preuves) ne peuvent travailler faute d'outil. Mais c'est là un point de vue strictement personnel. « Mon mari du Vésinet » est bien à sa place à la Potinière, et a des chances d'y rester longtemps. Il suffit chaque soir d'une centaine de couples confortables, et peu enclins à la métaphysique. C'est dans un fait divers que M. René Rongé a trouvé la situation de ces trois actes : « M. X..., se présentant hier à sa mairie natale pour y obtenir les papiers nécessaires à la célébration de son mariage, apprit avec stupeur que, depuis six mois, à la suite d'une erreur d'inscription dans les registres de l'état-civil, il était déjà marié à son insu avec une dame Y..., d'origine espagnole. » M. Rongé a prudemment situé son intrigue au début du siècle, et ceci fait, a usé sans vergogne de tous les vieux trucs du vaudeville: on y casse de vilaines potiches, on s'y promène en chemise de nuit, l'ingénue est un peu enceinte, on prépare un constat d'adultère. Mais la mise en scène de MM. Jacques-Henri Duval et Albert Maréchal est alerte, les décors de M. Jacques Charvet plaisants, et Mme Arlette Merry, pétillante Pépita, M. Armontel (Roger) mènent brillamment le jeu. Ils sont bien entourés, en particulier par Marcelle Praince (Mme Savournin) et Raymond Pellegrin (Philippe). Le rôle de Miette (l'ingénue) est tenu par Mme Martine de Breteuil, ce qui, naturellement, ajoute un élément comique sur lequel l'auteur n'avait pas compté. Mon Mari du Vésinet. – Les principaux interprètes de la pièce en 1950. De gauche à droite : Armontel, Arlette Merry, Marcelle Praince, Raymond Pellegrin. Quelques semaines plus tard, dans une chronique intitulée Le Boulevard contre-attaque, André Alter pour le journal L'Aube qui se définit comme un journal d'opinion, d'obédience catholique et de gauche, mentionne notre Mari du Vésinet, parce qu'il est à l'affiche à ce moment : Le vaudeville de M. René Rongé, "Mon mari du Vésinet", que nous propose le théâtre de la Potinière, n'est pas plus mauvais qu'un autre. Le fait divers que l'auteur a pris pour point de départ contient même ce mélange explosif de tragédie et de farce qui a toujours été le trésor du vaudevilliste. Que l'on en juge : « M. X..., se présentant hier à sa mairie natale pour y obtenir les papiers nécessaires à la célébration de son mariage, apprit avec stupeur que, depuis six mois, à la suite d'une erreur d'inscription dans les registres de l'état civil, il était déjà marié à son insu avec une dame Y..., d'origine espagnole. » Mon Mari du Vésinet n'est pas mal joué dans l'ensemble, mais sans brillant, ce qui, dans ce genre d'aventure, s'avère assez rapidement catastrophique. Seul, M. Armontel trouve exactement le ton qui convient. Pourquoi faut-il que M. Raymond Pellegrin s'acharne à jouer le vaudeville ? Il n'est évidemment pas fait pour cela, ni par son physique ni par son tempérament. Cependant son talent n'est pas douteux. Le « Boulevard », on le voit, livre une offensive désespérée — et non seulement sur les scènes qui lui sont destinées, mais un peu partout... [5] En dehors d'une allusion discrète à « Marcelle Praince qui remporte un très grand succès dans Mon mari du Vésinet » dans la page des spectacles de l'Aurore, [6] la presse se limitera aux publicités tarifées jusqu'à la fin des représentations. Jouée pour la première fois le 20 avril 1950, la pièce ne restera à l'affiche que jusqu'à la mi juin et c'est La Vamp de René Gordon et Jacques Natanson, qui lui succédera pour achever la saison théâtrale. La « farce 1900 » de René Rongé ne semble pas avoir été reprise par la suite. Est-il nécessaire de préciser que rien dans l'intrigue ou dans le décor n'évoquait Le Vésinet ? **** Notes et sources: [1] L'Aurore 1er avril 1950. [2] Rosier dans le sens du Rosier de madame Husson, pièce à l'affiche au même moment, un homme chaste, version masculine de la rosière. [3] Paris-presse, L'Intransigeant 28 avril 1950. [4] Combat, 29 avril 1950. [5] L'Aube, 6 mai 1950. [6] L’Aurore 25 mai 1950. entrefilet illustré d'une photo de la comédienne.
Société d'Histoire du Vésinet, 2020 • www.histoire-vesinet.org |