Rapports et délibérations - Vosges, Conseil général, 1858-1862.

Demande relative au jeune Monchablon, élève peintre

Commission du 27 août 1858

Rapport du Préfet
Messieurs, j'ai l'honneur de mettre sous vos yeux, avec plusieurs pièces à l'appui, une demande d'encouragement pécuniaire présentée par la Société d'Émulation, en faveur du jeune Monchablon, de Vincey, qui paraît montrer des dispositions remarquables pour,la grande peinture historique.
Comme je sais que le Conseil général des Vosges a déjà accordé de semblables encouragements, j'ai cru devoir inscrire au budget de 1859 (2e Section, Sous-chapitre XVII, article 16), une somme de 1.000 frs pour aider le jeune Monchablon à se procurer les moyens de cultiver ses heureuses dispositions.

Rapport de la Commission
Messieurs, dans le projet de budget de 1859, M. le Préfet propose le vote d'une somme de 1.000 frs, sous le titre d'encouragement au jeune Monchablon, de Vincey, élève peintre. Il s'agit d'un jeune homme d'une conduite parfaite , de mœurs douces, d'antécédents irréprochables, qui dès son jeune âge a montré les plus belles dispositions pour la peinture. Il s'agit d'un jeune homme sans fortune, du fils d'un des bons instituteurs du département, qui est aujourd'hui à Paris, vivant péniblement à l'aide des dons généreux de quelques amis, travaillant du matin au soir avec courage et énergie, au milieu des plus dures privations, ne pensant qu'à l'art qu'il cultive et qu'il aime.
Il s'agit d'un protégé de la Société d'Émulation, qu'elle recommande chaudement et qu'elle encourage elle-même par une subvention annuelle de 150 frs.
Monchablon lui a paru digne de telles faveurs: en effet, sur près de 300 concurrents, il a été reçu le septième à l'école des beaux arts, il y a obtenu plusieurs médailles et déjà il a été assez heureux pour être admis au concours pour le prix de Rome.
Le secours qui vous est demandé a pour but de le mettre en situation de continuer ses études pour aborder la grande peinture historique, plutôt que de chercher à se créer des ressources à Paris par des travaux légers qui arrêteraient son essor et feraient avorter son talent. Tel est l'exposé de la demande et des pièces à l'appui. Si l'on ne devait prendre en considération que ce que je viens de dire, la détermination serait facile, mais des difficultés sérieuses se présentent.
Dispensateurs des deniers publics prélevés sur les contribuables, vous ne devez en faire emploi qu'au profit de tous ou dans un intérêt collectif. Telle est la règle générale dont on trouve la sévère et constante application dans vos délibérations et dans vos budgets.
Pour s'en écarter en faveur d'une individualité, il faut des circonstances extraordinaires; il faut que celui qui motive cette exception soit déjà un sujet d'élite capable d'illustrer un jour le département qui l'aurait adopté. En matière de peinture surtout, Messieurs, il est fort difficile de prévoir l'avenir des jeunes artistes ; parmi ceux qui cultivent cet art, il y a une multitude de médiocrités et de talents incomplets. Quelles que soient donc les belles espérances qu'il est permis de concevoir à l'égard du jeune Monchablon, rien ne nous garantit le succès.
D'un autre côté, quelle serait la durée du sacrifice qui vous est demandé ? il est difficile encore de la fixer.
Enfin, il faut craindre par dessus tout les précédents, et notamment de faire naître chez les jeunes gens, toujours si présomptueux, l'espoir d'obtenir de votre bienveillance les ressources nécessaires pour suivre une carrière à laquelle ils ne sont point appelés, ou atteindre un but auquel ils n'arriveront jamais.
D'après ces diverses considérations, votre Commission, à la majorité, estime qu'il y a lieu de refuser l'allocation demandée, mais en même temps de prier M. le Préfet de vouloir bien recommander le jeune Monchablon à la bienveillance de S. Ex. le Ministre d'Etat.

M. le Préfet expose au Conseil que lorsqu'il a paru dans le sein de la Commission, il n'avait pas encore tous les renseignements au sujet du jeune Monchablon, que c'est là la cause du peu d'insistance qu'il a mis au maintien du crédit de 1.000 frs, mais qu'il espérait au moins un vote de 500 frs à titre tout à fait exceptionnel, et comme ne devant pas se renouveler; parce que ce vote peu important et qui n'engageait pas l'avenir, serait le meilleur moyen de rendre efficace la recommandation dont on le chargeait près de M. le Ministre d'État.
Il ne peut présager les destinées du jeune Monchablon, qui n'a que 20 ans, mais ses premiers succès sont réellement de nature à attirer l'attention du Conseil. Il obtenait à l'école des beaux arts à Paris :

  • En janvier 1858, une médaille de dessin d'après l'antique.
  • En mars, une médaille d'anatomie.
  • En avril, une médaille de dessin d'après nature.
  • En juin, la deuxième médaille de composition peinte (il n'y a pas eu de première).
  • En juin, sur 15 concurrents, il a été reçu le troisième dans un concours de paysage.
  • Il a été admis au premier essai au grand concours du prix de Rome.

Un membre demande la parole; il aime à seconder les vues larges et éclairées de la Société d'Émulation ; il aime que, chaque année, les délibérations du Conseil soient couronnées par un vote d'encouragement aux arts ; c'est une noble tradition du Conseil qu'il ne faut pas perdre, il votera les 500 frs dans les termes indiqués par M. le Préfet.
Un autre membre rappelle que les sacrifices faits en faveur de Ponscarme ont été justifiés; c'est maintenant un artiste sérieux, honorable et qui soutient sa famille; il est probable que Monchablon un jour suivra son exemple : c'est un jeune homme d'une conduite parfaite, qui ne pense qu'à ses pinceaux; des juges très compétents, bons observateurs, prévoient qu'il fera un jour honneur aux Vosges.
Un membre fait ressortir que le seul fait d'être admis au concours du grand prix de Rome est une preuve de talent, qui justifie un vote de 500 frs (une fois payés).
La Commission , éclairée par la discussion et les documents nouveaux, déclare adhérer à la proposition de voter pour cette année une somme de 500 frs.

Délibération.
Les 500 frs sont votés à l'unanimité.

Commission du 27 août 1859

Rapport du Préfet
...J'ai cru devoir inscrire à l'article 16 un crédit de 50 frs pour souscription à l'intéressant album des Vosges qui est publié par un artiste distingué , et sur la demande de la Société d'Émulation, un nouveau crédit de 500 frs pour encouragement au jeune Monchablon, élève peintre, dont les brillants succès sont constatés par les certificats qui seront mis sous les yeux du Conseil général (extrait du rapport sur le budget, article XVII).

Rapport de la Commission
Messieurs, dans votre dernière session, sur la proposition de M. le Préfet, vous avez voté à titre d'encouragement une somme de 500 fr. en faveur d'Alphonse Monchablon, de Vincey, élève peintre à Paris. M. le Préfet vous propose de nouveau le vote d'une pareille somme en faveur de ce jeune homme qui montre de remarquables dispositions pour la peinture historique.
Il résulte des documents qui ont été mis sous les yeux de la Commission que Monchablon s'est rendu digne par son travail et sa conduite de cet acte d'encouragement et de générosité. Un certificat délivré par le secrétaire perpétuel de l'école impériale des beaux-arts constate que ce jeune artiste a obtenu dans les divers concours d'émulation de l'école :

  • 3 récompenses en 1857,
  • 7 en 1858,
  • 4 dans les 8 premiers mois de 1859,
  • et qu'il a été admis le premier à un concours de composition peinte.

M. Sébastien Cornu, un de nos peintres les plus distingués et un de ses maîtres, certifie qu'Alphonse Monchablon a réalisé jusqu'à présent, par ses progrès dans l'art du dessin et de la peinture, les espérances que la vue de ses premiers essais lui avait fait concevoir ; et il ne doute pas que Monchablon, qui joint les qualités du coeur et de l'intelligence aux dispositions les plus remarquables pour l'art qu'il étudie avec ardeur, ne devienne un artiste distingué qui fera honneur au département des Vosges.
Enfin la Société d'Emulation, par l'intermédiaire de son honorable Président, appelle particulièrement l'attention de M. le Préfet sur un portrait dû au pinceau de Monchablon : ce portrait, de grandeur naturelle, est un véritable tableau qui annonce chez son auteur d'incontestables progrès et le sentiment du vrai et du beau.
D'après ces considérations, votre Commission estime que le jeune Monchablon mérite à tous égards l'intérêt et les encouragements du Conseil général; elle pense que l'allocation demandée par M. le Préfet n'est pas suffisante pour lui assurer les moyens de continuer a Paris ses études spéciales pour la peinture historique et religieuse: elle a l'honneur de vous proposer d'inscrire à votre budget de 1860 un crédit de 800 frs, dont le montant sera délivré par M. le Préfet à ce jeune peintre, à titre de secours et d'encouragement.
Un membre demande la parole : Il rappelle que dans sa dernière session, malgré les conclusions de la Commission qui refusait l'allocation demandée, le Conseil a voté une somme de 500 frs à condition :

    1° Que ce serait pour une année seulement ;

    2° Et surtout pour mettre M. le Préfet en situation d'insister près du Ministre d'Etat, pour l'obtention d'un secours du Gouvernement.

M. le Ministre a-t-il accordé quelque chose en 1859 ? S'il n'a rien accordé, le membre espère que M. le Préfet fera de nouvelles instances en faisant connaître les succès du jeune élève vosgien, son peu de ressources, et tous les titres qu'il réunit par sa bonne conduite, son intelligence et ses dispositions remarquables, à la bienveillante protection de l'Empereur.
Sans s'opposer aux conclusions de la Commission, le membre aurait cru qu'on aurait pu se renfermer dans le crédit demandé par M. le Préfet, en insistant pour une nouvelle tentative près du Ministre.

Délibération.
Les conclusions de la Commission sont adoptées.

***

En 1860, la Commission Départementale, touchée par une lettre du jeune Monchablon indiquant que "au cas où il aurait le bonheur d'être grand'prix [de Rome], comme il serait entretenu aux frais de l'État, la subvention du département ne lui serait plus indispensable" et ému par cette marque d'honnêteté, lui votera une nouvelle aide de 800 frs "sans condition".
Elle la renouvellera en 1861 au motif que "Cet artiste fera honneur au département ; déjà, peut-être, pourrait-il se passer de cette subvention, car les portraits qu'il a exécutés lui assureraient certainement une existence honorable ; mais Monchablon veut aller plus loin, il veut devenir un peintre de genre, et il continue des études sous des maîtres éminents qui se plaisent à reconnaître son aptitude et ses progrès."
La Société d'Emulation du département des Vosges, dans son bulletin, écrit (1862) :..."Alphonse MONCHABLON, fils d'un instituteur de Portieux, chargé de famille dont elle expose les premiers dessins sur lequel elle attire l'attention du conseil général et qu'elle enconrage chaque année par des primes qui excitent son ardeur tout en ménageant les susceptibilités de son amour propre..."

     


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