D'après les articles de Jacques Heugel, le Ménestrel, 1921-1925

Le monument funéraire de Gabriel Dupont

Souscription pour la tombe de Gabriel Dupont
Le Ménestrel, 1 juillet 1921

Gabriel Dupont, l'auteur maintenant illustre des Heures Dolentes, de la Glu, de la Farce du Cuvier et de ce magnifique Antar qui triomphe à l'Opéra, cet artiste si noble et si délicat qui mourut, on le sait, pendant la mobilisation, après une longue et douloureuse maladie, Gabriel Dupont n'a point de tombe digne de ce nom !
Dans le petit cimetière du Vésinet, c'est à peine si une vague pierre marque la place où repose son pauvre corps tant éprouvé. Ses amis ont pensé et, avec eux, tous les vrais amis de la musique penseront qu'un tel état de choses ne saurait durer. Sous le haut patronage de M. Paul Léon, une souscription est donc ouverte pour réunir les fonds nécessaires à l'érection d'un tombeau convenable, que pourra surmonter un buste du grand musicien si vite disparu.
Le Ministère des Beaux-Arts a offert spontanément son concours et, aussitôt la souscription close, comme il est d'usage, participera pour une somme importante à cette œuvre de justice artistique.
Les souscriptions seront reçues 2 bis, rue Vivienne, aux bureaux du Ménestrel, qui est heureux de pouvoir donner dès aujourd'hui la liste des premiers apports.

    Liste des souscripteurs, dans l'ordre d'inscription
    Le Ménestrel, juillet-septembre 1921

     

    M. Ch.-M. Widor, 1.000 frs

    M. Maurice Léna, 100 frs

    M. René Delange, 50 frs

    M. Lévy Strauss, 50 frs

    Mme Charles Max, 1.000 frs

    Mme Marqueste, 100 frs

    M. Jacques Heugel, 1.000 frs

    M. Fiedler, 20 frs

    Anonyme, 5 frs

    M. Henri Heugel, 1.000 frs

    M. Paul Bertrand, 100 frs

    M. Henry Février, 20 frs

    MM. Albert Carré, Emile et Vincent Isola, 300 frs

    M. Armand Belot, 5 frs

    M. Alphonse Raphaël, 1.000 frs

    M. Chekri Ganem, 200 frs

    M. Henri Cain, 200 frs

    M. Rouché, 1000 frs

    M. Levadé, 50 frs

    Docteur Paul Lafosse, 20 frs

    M. Philippe Gaubert, 20 frs

    Mme Marcelle Herrenschmidt, 30 frs

    Casino de Vichy, 100 frs

    Docteur Funck Brentano, 20 frs

    M. Bilewski, 50 frs

    M. Marc Delmas, 50 frs

    M. Louis Schneider, 20 frs

    M. Rothschild, directeur du théâtre de Brest, 25 frs

    M. Malausséna, directeur du théâtre de Rouen, 25 frs

    M. Paul Vidal, 25 frs

    M. Léon Ponzio, 50 frs

    M. Coryn, directeur du théâtre d'Anvers, 5o frs

    M. Rey-Andreu, de Narbonne, 20 frs

    Courrier Musical, 25 frs

    M. Joseph Héritier, 5 frs

    M. Jean Héritier, 5 frs

    M. Claude Héritier, 5 frs

    Mme Laute-Brun, 20 frs

    M. Paul-Émile Chevalier, 200 frs

    M. Maurice de Seroux, 10 frs

    MM. Montpellier et Cie, Musica, 10 frs

    Théâtre de la monnaie, Bruxelles, 300 frs

    M. Gabriel Pierné,50 frs

    etc.

 

 

La tombe de Gabriel Dupont de nos jours (2007)

Inauguration du monument de Gabriel Dupont au cimetière du Vésinet
Le Ménestrel, 3 juillet 1925

Le vendredi 26 juin, pour une cérémonie tout intime, les parents du grand musicien, ses amis, ses collaborateurs, le maire et les conseillers municipaux du Vésinet, se sont réunis devant le beau médaillon exécuté par l'illustre sculpteur Dampt [1]. La pierre grise garde fidèlement les traits fins, un peu mélancoliques, du jeune artiste de génie si vite disparu. M. Ch.-M. Widor, président du Comité, après avoir remercié de leur aide précieuse, de leur charmante délicatesse, le maire, M. Saulnier, et le Conseil Municipal, lut ces quelques lignes que nous sommes heureux de pouvoir reproduire:

"Je fus son maître, je suis resté son camarade.
Un beau jour, je vois arriver dans ma classe, au Conservatoire, un petit gars normand à figure ronde, aux yeux gais. Il en fut tout de suite l'élève le plus intéressant, le plus éveillé, le plus gentil.
Sa bourse était modeste, je le fis nommer, çà et là, dans quelques chapelles, organiste-accompagnateur. Très vite, en dehors de ses travaux d'entraînement technique, il me présenta des compositions personnelles de pure imagination. Son premier essai d'orchestre avait pour titre Printemps; il y avait mis le sien. Je le fis jouer dans la salle de la comtesse de Béarn où nous avions un excellent orchestre. L'oeuvre sonna admirablement, et je compris dès lors ce que Gabriel Dupont serait plus tard.
Il n'eut que le second prix de Rome, et, comme s'il eût pressenti la brièveté de sa vie, il ne voulut plus concourir; il préféra l'indépendance et les hasards.
Sa première oeuvre au théâtre est la Cabrera. Elle lui valut le prix Sonzogno. Déjà malade, il ne put aller à Milan, et je le remplaçai aux dernières répétitions.
L'impression favorable que j'ai gardée de son Printemps ne m'empêchait pas, tout de même, puisqu'il s'agissait d'une première œuvre de théâtre, d'éprouver quelques craintes. Que serait son orchestre ? Je fus étonné. Tout était en place. L'équilibre des voix et des instruments était juste ; c'était la partition d'un musicien expérimenté.
Très romantique de tempérament et de style, il avait conservé par l'orgue un sens profond de la tradition que nous a transmise la polyphonie du moyen âge et dont Bach est la synthèse. Dans son quintette, notamment, intitulé Poème, sous une apparente liberté qui semblerait s'affranchir des règles, je retrouve, latente mais réelle, cette solidité d'architecture qui donne à tout monument son assise. Je me contente de citer cette œuvre comme étant à cet égard caractéristique entre toutes.
Ce qui ne l'empêche pas d'avoir d'autres qualités : un beau lyrisme, une vive sensibilité, l'instinct du théâtre.
Quelle perte pour la musique ! Dupont ne se payait pas de vaines aventures. Il n'avait que de saines hardiesses. Son art était d'une profonde honnêteté."

Ensuite, M. Maurice Léna, qui écrivit pour Dupont la Farce du Cuvier, et qui lui fut un très fidèle ami, rappela en quelles circonstances douloureuses disparut le jeune maître infortuné. Ne fut-il pas un des seuls à pouvoir, dans la fièvre de la mobilisation générale, aux premiers jours de la guerre, assister à son enterrement ? Enfin, M. Henry Malherbe, au nom des Écrivains Anciens Combattants, lut à son tour une page gravement émue.
Et les groupes se dispersèrent, dans la lumière un peu grise d'une nuageuse après-midi d'été.

    [1] Jean Dampt (1854-1945), sculpteur et bijoutier français. Son œuvre appartient au courant symboliste. Second au Prix de Rome. Il a travaillé le marbre, le bronze mais aussi l'or, l'argent et l'ivoire et a fabriqué quelques bijoux. Certaines de ses sculptures sont exposées au musée des beaux-arts de Dijon, et dans la section Art nouveau du Musée d'Orsay à Paris.


Société d'Histoire du Vésinet, 2011 - www.histoire-vesinet.org