D'après Emile Robert pour Le Panthéon de l'industrie : journal hebdomadaire illustré, Paris, Août 1889.

Etienne Pallu et l'onyx d'Algérie

Il y a bien longtemps que l'Algérie est renommée pour la production de l'onyx. Lors de la période carthaginoise, des carrières d'onyx étaient en exploitation dans ce pays. On découvre, du reste, encore aujourd'hui sur le territoire de ces carrières tous les vestiges des travaux des Romains. A Tekbalet notamment, à 100 kilomètres d'Oran, ces vestiges sont très apparents ; on y a retrouvé des fûts de colonnes en onyx.
Ces carrières de Tekbalet, très riches, sont exploitées de nouveau, elles appartiennent maintenant à une Société française, la maison Pallu & Cie. Le siège de cette Société est à Paris, 63, rue Taitbout ; elle a pour représentant M. Honorez, marbrier, 16, rue Saint-Sabin, à Paris.
Les gisements d'onyx de Tekbalet constituent actuellement une vaste carrière d'une étendue d'environ 100 hectares et qui est certainement une des plus importantes qui existent en ce genre. Elle a des poches très nombreuses et très riches. Du reste, elle n'a pas toujours eu l'aspect qu'elle présente aujourd'hui. Depuis 1852 jusqu'à 1883, elle fut exploitée par la Société Pallu & Cie (commanditant la Société des marbres onyx d'Algérie sous des raisons sociales diverses), dans le but d'allier l'onyx, matière que l'on considérait comme précieuse, au bronze, et, partant, d'en faire des objets d'art divers.

En 1883, à l'instigation de M. Etienne Pallu, directeur de la Société, des recherches furent faites et l'exploitation prit une tout autre importance. Alors que deux ou trois carrières, avant cette date, suffisaient largement aux besoins de l'industrie du marbre allié au bronze, aujourd'hui plus de vingt carrières sont en exploitation, carrières renfermant des qualités différentes de marbres, de nuances diverses. Ceci indique le changement qui s'est opéré et le développement qui a été donné pour une carrière qui, nous l'espérons (puisque maintenant elle est abondamment pourvue grâce aux recherches qui ont été faites), pourra donner satisfaction à tous les besoins de la grande décoration architecturale et de la marbrerie, et faire, en un mot, ce qui a été fait mille ans avant nous : allier l'onyx au luxe des habitations.
L'onyx, en effet, est de nos jours fort employé en architecture, et l'on tire de cette riche matière les plus heureux effets. On sait que M. Charles Garnier a fait usage de l'onyx dans l'escalier de l'Opéra [1].

Escalier monumental de l'Opéra de Paris, en onyx de Tekbalet

En Algérie, on s'en est servi avec succès dans plusieurs édifices importants. Ainsi la rampe et la main courante de l'escalier de l'Hôtel de Ville d'Oran ont été construites en onyx [2]. Cet escalier est supporté par quatre colonnes d'onyx hautes de quatre mètres et dont le diamètre est de 60 centimètres. Sur l'un des flancs de l'une de ces colonnes, la nature s'est plu, comme elle en est souvent coutumière, à dessiner parfaitement une figure de femme qui excite la curiosité de tous les visiteurs. D'autre part, les Arabes ont employé la même pierre dans la mosquée de Tlemcen et dans le monument de Sidi Bou-Médin, fameux marabout qui vivait il y a huit siècles environ.
Ces colonnes, fait à noter, sont restées pendant ces sept ou huit cents ans sans subir en aucune façon les atteintes du temps, et nous ne pouvons regretter qu'une chose, c'est qu'elles n'aient pas été entretenues ou réparées depuis cette époque pour que nous puissions aujourd'hui, la saleté enlevée, les voir reparaître dans tout leur éclat.

Hôtel de Ville d'Oran en onyx de Tekbalet, don de M. Pallu.

Il est à remarquer que les carrières de Tekbalet ont le double mérite de produire beaucoup et de donner des onyx de la plus belle qualité. La production a augmenté dans des proportions énormes depuis 1883. Pendant trente ans, on en tirait annuellement de quinze à vingt mètres cubes d'onyx par an. Aujourd'hui, on en extrait annuellement cent mètres cubes environ. Ces marbres, étant bien stratifiés, se trouvant à la surface du sol, sous des couches d'une importance variable, peuvent être extraits sans trop de difficulté. Nous disons sans trop de difficulté, car il ne faut pas oublier que les carrières sont au sommet de collines, que le transport est laborieux et que, lorsqu'on est arrivé à la route, il faut encore franchir 102 kilomètres pour atteindre Oran. Tous ces beaux marbres sont employés aujourd'hui à de grands travaux d'architecture et de marbrerie de luxe. C'est, en effet, aux grands travaux de ce genre que la Société destine principalement ses onyx, et, en faisant bien connaître le parti qu'on en peut tirer, elle a rendu, nous pouvons l'affirmer, un sérieux service à l'architecture. Du reste, son exposition achèvera de démontrer que l'onyx peut être employé aux travaux les plus considérables.

Dans la classe 41, groupe V, MM. Pallu & Cie exposent des marbres bruts et polis. Nous citerons deux monolithes d'onyx d'environ trois mètres de hauteur sur un mètre de largeur et de 80 à 90 centimètres d'épaisseur. L'un de ces blocs est brut, l'autre est poli. Puis dans la classe 63, groupe VI, même salle, ils exposent un monument du style grec, composé de quatre colonnes supportant avec son entablement une vasque de deux mètres de diamètre. En présence de semblables spécimens, il est hors de doute que l'onyx est appelé à prendre une grande part à la décoration architecturale. Nous savons d'ailleurs que les architectes, les marbriers et le public se montrent très favorables à cette heureuse innovation.

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    Notes et sources complémentaires (shv) :

    [1] Jean-Louis-Charles Garnier a dessiné le Grand Escalier de 30 m de hauteur pour l’Opéra de Paris inauguré le 15 janvier 1875. Le marbre-onyx de Tekbalet ne compose que la rampe monumentale aux balustres de griotte rouge. La main courante de marbre-onyx d'Algérie, repose sur un limon vert de Suède et les marches sont en marbre blanc d’Italie.

    [2] La construction de l'Hôtel de Ville fut achevée en 1888. Etienne Pallu, nouveau propriétaire des carrières de marbres-onyx d‘Algérie, avait fait don à la ville, de toute la matière première nécessaire à la construction de l’escalier intérieur dit d’honneur, rampes et balustres comprises.


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