D'après J. D. dans Armée et démocratie. Journal hebdomadaire (A7, N31) 4 Août 1912. [1]

Un crime royal dans la forêt du Vésinet (17 août 1789)

Dans ses Notes et Souvenirs, Ludovic Halévy raconte qu'il eut un jour grand'peine — c'était aux environs de 1875 — à emmener dîner à Saint-Germain un vieil auteur dramatique du nom de Dupin, assez célèbre en son temps pour avoir été le collaborateur de Scribe. Ce brave homme détestait la campagne. Quand Ludovic Halévy l'eut installé sur la terrasse, le père Dupin se pencha et, montrant l'horizon, dit à ses interlocuteurs: « Autrefois, pour venir ici, il fallait traverser une affreuse forêt... une forêt déserte... C'était très dangereux... Elle était là... tenez... cette forêt ! » Et il désignait les bois, les villas et le champ de courses du Vésinet. Le vieux vaudeviliste en tremblait encore.
De fait, les anciens bois du Vésinet avaient, il y a quelques siècles, une assez mauvaise réputation. Mais pourquoi s'en étonner à notre époque où l'on assassine encore en pleine forêt de Sénart ceux qui la traversent de jour en automobile ?
Les bois du Vésinet connurent des destinées pareilles. Nous en avons retrouvé la preuve en feuilletant de vieux papiers. Il serait oiseux de s'attarder sur l'événement s'il s'agissait d'un crime banal. Mais, lorsque l'assassin est le père d'un roi, l'histoire prend de la valeur. Or, le crime dont nous allons parler fut perpétré par Louis-Philippe-Joseph d'Orléans, dit Philippe-Égalité, père de Louis-Philippe Ier, roi des Français et ancêtre direct de l'épais Gamelle, prétendant au trône de France. [2]

Les d'Orléans

Ce Philippe-Égalité, bien qu'ayant fait des risettes à la Révolution est considéré par tous les partis et par tous les historiens comme un répugnant personnage. Pour sauver sa tête, il vota, la mort de Louis XVI, son cousin. Il ne la sauva point et compromit un peu plus sa réputation. Petit-fils du Régent, il en avait tous les défauts crapuleux sans en posséder aucune des qualités. On peut dire qu'il résuma en lui tous les vices des d'Orléans qui en ont été si constamment pourvus.
Mais était-il Orléans ? Question. Vous savez le proverbe : « On est toujours le fils de sa mère... » Si le père d'Égalité fut bien par hasard un assez honnête homme, Madame sa mère fut tout le contraire d'une respectable dame. Princesse de la maison de Conti, elle n'est célèbre que par ses aventures : c'est Messaline. A sa mort, en 1759, elle s'offre la fantaisie vicieuse de n'inscrire sur son testament que la nomenclature de ses amants et un couplet d'une licence idéale sur chacun d'eux. Dans le même ordre d'idées, comme on lui demandait un jour quel était le père du duc de Chartres — futur Egalité — elle répondit sinrplement : « Lorsqu'on tombe sur un fagot d'épines, peut-on savoir celle qui vous a blessée. »
Egalité se le tint pour dit. Lorsqu'il crut avoir profit à cesser d'être prince, il criait dans les réunions publiques qu'il était fils de n'importe qui, du premier venu, d'un cocher sans doute. Il faisait allusion au cocher Lacroix pour lequel son estimable mère eut des amabilités. A tout le moins, ce n'était pas à lui à la décrier.
Ces façons dégoûtèrent tous ses contemporains, tellement que Mirabeau disait de lui « qu'il ne sentait pas la différence du bien et du mal », et Talleyrand « qu'il était le baquet dans lequel on a jeté toutes les ordures de la Révolution ». Et chacun sait que Mirabeau et Talleyrand n'étaient pas précisément des hommes vertueux.

Choderlos de Laclos (1741-1803) et le duc d'Orléans dit Philippe-Égalité (1747-1793)

accusés par la rumeur d'être les instigateurs de l'assassinat du banquier Pinet.

Égalité joua dans la Révolution un rôle plus que louche. Il est certain qu'un moment il forma le rêve de remplacer Louis XVI sur le trône. Le complot fut bien mené. Mais il fallait de l'argent. Égalité, criblé de dettes, n'en avait pas. Pour s'en procurer, il recourut au crime. Il tripotait dans d'assez sales affaires avec l'agent de change Pinet. Ceci laissait des papiers compromettants pour les deux hommes. Pinet, pris de peur, offre, un jour à Égalité de lui racheter tout le paquet. Mais alors, c'est Égalité entre les mains de Pinet. Et ce que veut Égalité, c'est l'argent et les papiers.
Voici comment il eut l'un et l'autre pour rien, d'après Crétineau-Joly [3]

Le crime

Pinet se présente chez le duc d'Orléans porteur de l'argent :

    Le prince alors lui annonce que Bazin, son homme d'affaires, va tout régler. Bazin habite une maison de campagne près du village du Vésinet ; mais d'Orléans offre d'y faire conduire le banquier par une voiture à ses armes. Cette garantie rassure Pinet. A peine la voiture a-t-elle pénétré dans la forêt que deux hommes, revêtus d'une fausse livrée de la reine, apparaissent. Ils forcent le banquier à descendre, puis un coup de pistolet tiré par derrière et à bout portant, le frappe à la tête. On le croit tué raide ; la voiture s'éloigne précipitamment en laissant auprès de lui une arme déchargée pour faire croire au suicide.

    Le coup était mortel, mais le banquier respirait encore. Le matin, des passants le transportèrent à l'auberge du Pecq. A peine revenu de son évanouissement, il porte la main à sa poche pour s'assurer que ses papiers n'ont pas été volés. Tout avait disparu. Il ne lui restait que la ruine et le trépas. Pinet survécut trois jours, fit des révélations et pendant son agonie ne cessa de répéter « Mon portefeuille ! mon portefeuille ! les scélérats ! » [4]

Restaient les témoins qui recueillirent ses dernières paroles. S'il faut en croire Crétineau-Joly, on s'en débarrassa le plus commodément du monde en les accusant d'être des accapareurs de blés : ils furent pendus à la lanterne.
On voudrait douter de la véracité de cette histoire. Malheureusement elle est confirmée par une lettre de Choderlos de Laclos, l'auteur des Liaisons dangereuses, individu à la conscience élastique qui fut pendant longtemps l'homme de confiance d'Égalité. Un beau jour, les deux larrons se brouillent. Et voici ce qu'écrit Laclos au d'Orléans au mois d'Août [1789] :

    — L'argent nous faut et, dans ces affaires-là, point d'argent, point d'assassins. Quel héroïsme, monseigneur, ne montrai-je pas alors pour remettre entre vos mains ce fameux portefeuille où un particulier tenait renfermée la fortune de tant de familles considérables ! A quels périls ne m'exposai-je pas dans cette démarche qui, heureusement pour moi, n'est pas encore bien connue. » (Archives nationales, n° 613-16, portefeuille 14 à 21, n° 17.)

C'est incontestablement du crime de la forêt du Vésinet qu'il est question ; les dates concordent. Voilà, ne trouverez-vous pas, une curieuse page d'histoire locale ? Et puis, elle est si flatteuse pour les d'Orléans, elle fera tellement plaisir aux royalistes qu'il m'a été très agréable de la publier. [5]

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    Notes et sources :

    [1] Armée et Démocratie est un journal hebdomadaire, fondé en juin 1916, qui s'adresse aux officiers et sous-officiers républicains, et qui est l'œuvre des plus radicaux d'entre eux. "Sous un vain prétexte d'éclectisme, arguant que l'Armée devait être soigneusement mise à l'abri de toutes les influences politiques, les gouvernements un seul excepté — qui se sont succédé depuis 35 ans, ont volontairement fermé les yeux sur l'oeuvre néfaste et cnminelle que la Congrégation et l'Eglise accomplissaient dans notre armée nationale ..." Ainsi se présentait-elle dans le premier numéro. Selon les grands principes de la Grande Muette, les articles sont presque toujours signés sous un pseudonyme ou des initiales. Le caractère provocateur de ces articles est assumé.

    [2] Le Prince Gamelle est le surnom donné à Louis Philippe Robert d’Orléans, duc d’Orléans (1869-1926) prétendant orléaniste au trône de France sous le nom de Philippe VIII de 1894 à 1926.

    [3] Jacques Augustin Marie Crétineau-Joly, (1803-1875), est un publiciste ultramontain. Pour l'historien Alain Gérard, Jacques Crétineau-Joly est un « écrivain profond autant que partisan, et qui a le sens de la formule » et « qui non seulement ne cite pas ses sources mais qui, selon la mode du temps, ne s'embarrasse pas d'en inventer, pourvu qu'elles fassent vrai ». De fait, le texte cité en référence ici, ne correspond à rien.

    [4] Cette mise en cause de Philippe Egalité et Choderlos de Laclos était mentionnée par Georges Poisson dans la première édition (1975) de son livre La curieuse histoire du Vésinet. Les éditions suivantes (1986 et 1998) en furent expurgées.

    [5] Cet article est introduit par la dédicace : Dédié sans commentaires à nos camarades républicains pour leur permettre d’admirer comme il convient la sérénité des abonnés du journal L'Action française. Plus qu'une « page d'Histoire » il faut y voir une provocation vis-à-vis des partisans de la Monarchie encore nombreux dans l'Armée à la veille de la Première Guerre mondiale.

     


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