Camille Flamarion, Clairs de Lunes, Paris 1924.

Les habitants du Vésinet, il y a cent mille ans [1]

Depuis la première révélation authentique de silex taillés faite par Boucher de Perthes en 1832, à Thuisen, aux portes d'Abbeville, les trouvailles ont été non pas seulement nombreuses, mais pour ainsi dire innombrables.
Dans le bassin de la Seine seulement, elles sont considérables et prouvent que nos régions ont été habitées par des races humaines primitives. Nous avons reçu sur ce point un mémoire de M. Guégan [2] sur les recherches qu'il a faites lui-même depuis 1872 dans le département de Seine-et-Oise. Signalons, par exemple, Le Vésinet.
Tout le territoire de cette commune appartient à l'époque quaternaire, le sol végétal est peu profond, et il est entièrement composé d'un limon de couleur rouge ocreuse, sous lequel on trouve une couche de gravier qui atteint quelquefois une assez grande puissance. On y a pratiqué de nombreuses sablières, dans lesquelles on trouve les silex taillés associés aux ossements des animaux dont les espèces ont disparu, tels que l'Elephas primigenius, les Rhinoceros tichorhimis, le cerf, le cheval et le grand bœuf.
L'homme a donc habité cette vallée avant le mouvement géologique qui l'a transformée en un grand lac ou une petite mer dont les flots battaient les collines de Saint-Germain, de Cormeilles et d'Orgemont. Puis le sol s'étant asséché, il y est revenu
[dix mille ans avant notre ère]; c'est ce qu'attestent les nombreuses haches polies qu'on a trouvées dans le sol superficiel du Vésinet.


Planche tirée de l'ouvrage "Le Préhistorique, antiquité de l'homme", publié en 1883 et illustré par Adrien de Mortillet, fils de Gabriel.

Cette occupation s'est prolongée jusqu'à l'époque gallo-romaine, car on y a aussi découvert, dans ces derniers temps, une épée en fer et quelques objets en bronze.
Au pied de Saint-Germain, au Pecq, sur la rive gauche de la Seine, en pratiquant une fouille en 1876 pour l'établissement d'une pompe à feu [3], on a trouvé, à trois mètres de profondeur, une quantité considérable de silex taillés, sur lesquels M. Guégan s'empressa d'attirer l'attention de M. de Mortillet. Ces instruments primitifs de l'âge de pierre se trouvent aujourd'hui au musée de Saint-Germain.
La couche de terre noire dans laquelle gisaient ces silex taillés était recouverte par une épaisseur de limon boueux, d'alluvions de 2,10 m dans laquelle existent beaucoup de coquilles fluviales. Ces primitifs instruments de pierre, derniers témoins d'une humanité disparue, ont été trouvés également dans les sablières de Bois-Colombes, dans les ballastières de Mantes, dans les carrières de sable et de gravier de Sotteville près Rouen, dans la vallée de l'Oise, dans la vallée de la Marne, notamment à Chelles, dont le gisement, devenu célèbre, a été choisi par M. de Mortillet [4] comme type de l'époque la plus ancienne de ces premiers instruments de pierre. On les a retrouvés également en Normandie, en Bretagne, dans le bassin de la Loire, dans la vallée de la Vienne, dans les bassins de la Dordogne, de la Gironde et du Rhône, en un mot sur la surface entière de la France, et cela par dizaines de milliers d'échantillons. Signalons en particulier les récentes découvertes faites à Mondragon (Vaucluse) par M. Perrin.

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    Notes:

    [1]  Pour paraphraser le titre du chapitre de C. Flamarion d'où est tiré ce texte : "Les habitants de la France il y a cent mille ans". La datation n'est pas à prendre "au pied de la lettre".

    [2]  Guégan de L'Isle, Paul - Recherches géologiques et préhistoriques aux environs de Saint-Germain-en-Laye. Versailles, Etienne.

    [3]  Dans le tome 12 (1880) de la Société des Sciences Morales, Lettres et Arts de Seine-et-Oise, on peut lire qu’au mois de février 1876, des terrassiers occupés à pratiquer une fouille pour l'établissement d’une pompe à feu, sur la rive gauche de la Seine, au Pecq, trouvèrent un certain nombre de silex taillés et quantité de coquilles du Cyclostoma elegans et du Helis nemoralis. Ils trouvèrent aussi plusieurs lames et grattoirs qui "par leur forme spéciale et leur degré de perfection, peuvent être comparés et assimilés à ceux de l'époque des Cavernes".

    [4]  Mortillet, Adrien (de) - Coup de poing Chelléen, Bulletin de la Société Préhistorique Française, 1906, III:231.Le terme Chelléen, aujourd'hui tombé en désuétude, désignait une industrie lithique ancienne du Paléolithique inférieur d'Europe occidentale, antérieure à l'Acheuléen et caractérisée par des bifaces grossiers et irréguliers. Elle se termine il y a environ 300 000 ans, lorsque des changements au niveau de l'outillage et de l'évolution humaine annoncent le début du Paléolithique moyen.


Société d'Histoire du Vésinet, 2008 - -vesinet.org