Conseil Central d'Hygiène et de Salubrité
DU DÉPARTEMENT DE SEINE-ET-OISE
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Salubrité des Eaux de l'alimentation du Vésinet

RAPPORT

MONSIEUR LE PRÉFET,

Conformément aux instructions contenues dans votre lettre en date du 27 Novembre 1888, le Conseil d'hygiène, dans sa séance du 28, a nommé une commission chargée de se rendre au Vésinet, à Chatou et à Croissy, afin d'examiner les puits d'alimentation de la Compagnie des Eaux de ces communes, les réservoirs, les conduites de distribution et de prélever des échantillons destinés à être analysés, afin de constater l'état des eaux d'alimentation, dire si elles sont salubres ou si elles sont contaminées par une cause quelconque.
La Commission, composée de MM.

  • RABOT, Docteur ès-sciences, Vice-Président du Conseil:
  • BELIN, Pharmacien, Secrétiaire du Conseil :
  • Docteur PARIS, Médecin des épidémies ;
  • Docteur BROUSSIN ;
  • LEFEBVRE, Professeur de Sciences au Lycée de Versailles:
  • OTTENHEIM ;
  • Docteur SELLIER, Inspecteur de l'Assistance Publique;

s'est rendue au Vésinet le Jeudi 29 Novembre et a successivement visité :

  1. L'établissement, hydraulique où se trouve la bâche de la pompe nourricière recevant les eaux des deux puits, dont le débit était de 3,000 mètres cubes par 24 heures.
  2. Le premier puits, dit puits des eaux d'alluvion, foré en 1868.
  3. Le deuxième puits, dit puits des eaux de la craie fissurée, achevé en 1887.
  4. Les cuves du Château d'Eau à 2,400 mètres de l'établissement hydraulique. Les deux cuves en service contenaient 51 mètres cubes, la troisième cuve est en réparation pour recevoir une hausse permettant de donner à la conduite de distribution une altitude plus élevée. L'eau ne séjourne pas dans ces réservoirs en tôle, qui ne sont en réalité que des régulateurs de distribution. Leurs parois ne présentaient aucune trace de végétation suspecte.
  5. La jauge de la fontaine publique de Chatou (Eglise), à 1,700 mètres du Château d'Eau.
  6. La jauge de l'avenue du Chemin-de-Fer, n°34, à Chatou, à 1,700 mètres du Château d'Eau et 540 mètres du point précédent.
  7. Jauge de la rue Labélonye, n°34, à Chatou, 2,250 mètres du Château d'Eau, 520 mètres du point précédent.
  8. Jauge du boulevard de la Mairie, n°25, à Croissy, 2,060 mètres du Château d'Eau, 1,020 mètres du point précédent.

A chacune de ces stations, la commission a prélevé des échantillons qui ont été étiquetés et rapportés à Versailles au laboratoire de M. Rabot pour être soumis à l'analyse chimique et à l'examen micrographique. Tous ces échantillons prélevés sur le parcours des conduites de distribution étaient d'une limpidité parfaite et n'avaient que la saveur fraîche d'une eau potable. Les personnes interrogées par la Commission ont répondu que l'eau est toujours la même, n'a donné lieu à aucune plainte de la part des habitants et qu'elles la trouvent de bonne qualité. Aucune maladie épidémique pouvant être attribuée à l'usage de l'eau de concession n'a été observée dans le pays.

EXAMEN MICROGRAPHIQUE

Nous avons versé dans une éprouvette allongée se terminant en cône étroit, 500 grammes d'eau prise aux réservoirs et après avoir recouvert l'appareil d'une feuille d'étain, nous l'avons laissée pendant trois jours dans une pièce où la température a été constamment de 10° à 18°C.
Au bout de trois jours, l'eau était parfaitement limpide, avait conservé sa saveur normale et sa neutralité aux réactifs.
Au moyen d'un robinet de fond, nous avons retiré la couche inférieure dans laquelle ont dû se déposer tous les corpuscules en suspension et nous en avons fait l'examen micrographique à un grossissement de 600 diamètres.

  1. Sans addition de matières colorantes;
  2. Avec addition de carminate d'ammoniaque;
  3. Avec addition de violet de méthyle.

Nous n'avons trouvé que très peu d'éléments figurés, ce qui explique la limpidité de la couche prélevée pour cet examen. Nous avons.constaté la présence:

  1. De fragments irréguliers, anguleux, opaques, débris minéraux, sable, argile, oxyde de fer;
  2. De débris végétaux, fibres, cellules, fragments de tissu;
  3. De quelques cladophora et zygnema, algues diverses divisées en articles, quelques-unes ramifiées, garnies de chlorophylle en petits amas régulièrement répartis, indice d'une eau contenant de l'oxygène libre ; malgré l'emploi de matières colorantes, nous n'avons trouvé ni bactéries ni vibrions.

En présence de ce résultat de recherches micrographiques directes nous n'avons pas cru devoir procéder par ensemencements d'après les méthodes indiquées par Kock et Angus Smith. L'eau du Vésinet, telle qu'elle est fournie par les deux puits forés dans les conditions indiquées, a été analysée à différentes époques par:

  • M. RICHE membre de l'Académie de Médecine, professeur de chimie à l'Ecole de Pharmacie, en 1876.
  • M. DURAND-CLAYE, Ingénieur de la Ville de Paris, en 1884.
  • M. GERARDIN, Docteur ès Sciences, Inspecteur des Etablissements classés, en 1877, 1884, 1888.
  • M. RAROT, Docteur ès Sciences, Vice-Président du Conseil d'hygiène, Chimiste expert des Tribunaux, en 1884, 1888;
  • M. DERENNES, Chef des travaux pratiques de chimie à l'Ecole Centrale, Directeur du Laboratoire du chemin de fer du Nord, en 1888.
  • M. HOUDAS, Pharmacien de 1° classe, ex-préparateur de chimie et Lauréat de l'Ecole de pharmacie, en 1888.

Tous lui ont reconnu les qualités d'une bonne eau potable.
Les échantillons prélevés par la Commission ont donné les résultats suivants:

 

I

II

III

IV

V

 

Puits d'alluvion

Puits de la craie

Réservoirs

Eglise de Chatou

Rue Labelonye

Limpidité

parfaite

id.

id.

id.

id.

Réaction chimique

nulle

id.

id.

id.

id.

Saveur

fraîche

id.

id.

id.

id.

Résidu par litre

0.50

0.50

0.50

0.50

0.50

Degré oxymétrique

4.75

4.75

7.80

6.80

6.80

Degré hydrotimétrique

38

38

38

37

37

Degré après emploi de l'oxalate d'ammoniaque

0

0

0

0

0

Degré après ébullition de l'eau

23

23

23

23

23

Matières organiques évaluées en acide oxalique (mg)

2.25

2.25

2.50

2.00

2.00

Ammoniaque évaluée avec les tubes de Nessler

0.00 (traces)

0.00

0.01

0.01

0.01

Azotates

extrêmement faibles

id.

id.

id.

id.

Les traces d'axolates sont appréciables seulement par une très légère coloration; elles ne peuvent être appréciées en poids. Cette eau n'a pas changé de composition. Elle est très différente de l'eau de Seine, tant au point de vue des matières minérales dissoutes qu'à celui des matières organiques.
Cette constatation faite dès le forage des puits et répétée par les différents expérimentateurs que nous venons de citer, a nettement établi que le premier puits est alimenté par les eaux souterraines des terrains d'alluvion et le second par celles de la craie perméable.
Les seules causes de contamination de ces eaux ne pourraient provenir que d'infiltrations de la Seine ou de pénétrations d'eaux de surface.
Dans un cas comme dans l'autre, les proportions des éléments minéraux diminueraient rapidement et révéleraient l'altération avant même que les matières organiques soient eu proportion assez considérable pour attirer l'attention.
En résumé, si nous prenons dans les instructions officielles ou dans le recueil des analyses faites au Laboratoire municipal de Paris, les conditions que doit présenter une eau pour être potable, nous trouvons :

  1. Elle doit contenir de 0,50 à 0,60 centigrammes de matières solides par litre.
    L'eau du Vésinet contient 0,50 centigrammes de résidu fixe;
  2. La quantité de sulfate de chaux en solution ne doit pas dépasser 250 milligrammes par litre.
    L'eau du Vésinet en contient 220 milligrammes au maximum (Derennes);
  3. La quantité de matière organique évaluée en acide oxalique ne doit pas dépasser 5 milligrammes par litre.
    L'eau du Vésinet, limpide, contient seulement 2 milligrammes à 2 millig. 50;
  4. Elle ne doit contenir que des traces de matières azotées, soit à l'état d'ammoniaque, soit à l'état d'azotites ou d'azotates. On tolère à Paris 1 milligramme d'ammoniaque par litre.
    L'eau du Vésinet contient beaucoup moins d'ammoniaque et d'azotates ;
  5. Elle doit contenir de l'oxygène libre.
    L'eau du Vésinet, à la sortie des conduites de distribution en contient 6,80 cc, preuve directe de l'absence de matières organiques, puisque l'eau prise à la sortie de la bâche ne donne que 4,75 cc.

CONCLUSIONS

Des constatations faites par la commission et de l'analyse qui précède, ainsi que des documents cités, nous concluons:

  1. Que l'eau d'alimentation du Vésinet n'a pas changé depuis le forage des puits;
  2. Que cette eau est de bonne qualité et que sa composition ne permet pas de la confondre avec l'eau provenant de la Seine;
  3. Que si dans les conduites de distribution quelques dépôts ont pu se faire à l'extrémité du réseau, ce phénomène n'a été qu'un accident passager pouvant se produire dans toutes les canalisations d'eaux potables et qu'un nettoyage régulier de conduites permet d'éviter d'une manière absolue;
  4. Que lors de la visite de la Commission, l'eau prise à l'extrémité du réseau en différents endroits ne présentait aucune trace d'altération et était d'une limpidité parfaite;
  5. Que les accusations portées contre la Compagnie des Eaux du Vésinet ne sont nullement fondées;
  6. Que les certificats des médecins du Vésinet constatent qu'aucune épidémie ou indisposition pouvant être attribuées à l'usage de l'eau ne s'est produite dans la région.

On signé, Messieurs les Membres de la Commission.

 

    © Société d'Histoire du Vésinet, 2003 - http://www.histoire-vesinet.org