ùJean-Paul Debeaupuis, shv, 2023

Roger Lord (1894-1974) architecte au Vésinet

Roger Édouard Stothard Lord est né à Bruxelles le 7 mars 1894. Son père Ernest Edward Lord, et sa mère Léontine Sainte Beuve sont alors domiciliés à Londres. Il semble que ce soit fortuitement, à l'occasion d'un voyage, que la naissance ait eu lieu en Belgique. Roger est le troisième enfant du couple. Deux filles sont nées en 1882 et 1884. Son père, Ernest Lord, sujet britannique, est jockey et entraîneur. [1, 2]
Ernest Lord étant dit « disparu », un acte de notoriété a été établi le 24 avril 1907 par le juge de paix de Sceaux. La mère de Roger Lord demande à retrouver la nationalité française. La naturalisation est obtenue pour elle et ses enfants en 1908 (Décret Nº 84438 publié au Bulletin des Lois Nº 4289).
En décembre 1914, Roger Lord est mobilisé. Il est alors qualifié de commis-architecte.
Affecté au 37e Régiment d'Infanterie (juin 1915) il est caporal fourrier puis sergent fourrier (1917) ; il sera sergent-major en juin 1918. Blessé à la jambe droite par des éclats d'obus le 30 avril 1917, il est affecté à la garde des prisonniers de guerre (53e Compagnie PGM) au Camp de Mailly le 18 juin 1918. [3]
Il recevra la Croix de guerre et sera cité à l'ordre du Régiment :

    A montré à maintes reprises comme fourrier puis comme sergent-major de belles qualités d'initiative et de courage.

    A assuré notamment le ravitaillement de son unité pendant les périodes de combat d'octobre et novembre 1918 dans des circonstances les plus difficiles.

Le 1er juillet 1919, il est placé « en sursis d'appel » et mis à la disposition de la Maison Boissel, 14 rue Béranger à Compiègne par décision spéciale du général commandant la 6e région militaire (n°3911bis). Anselme Boissel (1891-1951) jeune architecte de Compiègne devenu aviateur militaire, fut gravement blessé en septembre 1917. Resté mutilé à vie, pensionné à cent pour cent, il poursuivra ensuite ses réalisations architecturales (nombreux édifices, principalement des villas au Touquet-Paris-Plage dont certaines sont répertoriées à l'inventaire général du patrimoine national). [4] Roger Lord reste domicilié professionnellement à la Maison Boissel, au 14 rue Beranger jusqu'en 1920. A son mariage, le 10 décembre 1919, il se déclare architecte, profession qu'il exercera à Compiègne jusqu'en 1925. C'est à Compiègne que naîtront ses trois enfants : Ginette (1920), André (1922) et Madeleine (1923).
La première réalisation à son nom propre, publiée en janvier 1922 est un bâtiment pour logements d'animaux à la ferme du Tronquoy (Oise). [5]

Ferme du Tronquoy, Commune de Tricot, Oise. –R Lord (1922)

Façade principale du bâtiment de Ferme (logement des animaux)

    La ferme du Tronquoy est située près de Tricot (Oise), elle occupe une superficie de cent cinquante hectares et a été entièrement détruite par la guerre. Le premier bâtiment reconstruit comprenant étable, bouverie, écurie et magasin à mélanges. Ce bâtiment élevé sur fondations, d’un rez-de-chaussée et d’un grenier a été traité à forfait pour la somme de cent quatre mille francs. L’entrepreneur a exécuté la démolition complète de l’ancien bâtiment et réemployé tous les matériaux en bon état, les briques vieilles ont été utilisées en fondation, en façade postérieure ou en liaisonnement...

Puis, quelques mois plus tard, un pavillon d'habitation à Montigny-Beauchamps (Seine-et-Oise) [6]

    De conception moderne, ce pavillon dont l'apparence extérieure est très simple, répond par la disposition de son plan au maximum de rendement en rapport à la surface construite et au nombre de pièces habitables. Cave et buanderie au sous-sol ; salle à manger séparée du salon par une grande porte vitrée, cuisine, vestibule et wc (sur fosse fixe) au rez-de-chaussée ; grande chambre, chambre d'enfants, toilette, penderie et cabinet de débaras à l'étage complètent ce confortable logement....

Pavillon d'habitation à Montigny-Beauchamps (Seine-et-Oise), M. R. Lord, architecte [6]

Façades principale et latérale. Coupe suivant l'axe de la porte d'entrée.

En 1926, la famille Lord s'installe au Vésinet au 52 route de Croissy, sur une propriété de 2000 m² environ, bordée sur deux côtés de pelouses et d'une rivière, où il édifie une vaste villa qui deviendra son domicile. [7] Profitant lui aussi de l'aubaine que constitue l'ouverture de plusieurs lotissements au Vésinet, la création de voies nouvelles et le remembrement des parcelles, Lord va édifier au cours des années 1930 et 1940 une douzaine (au moins) de maisons d'habitation. Il crée pour cela une société Le Service Technique des Jolis Cottages. Une campagne publicitaire est lancée.

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Exemple de « Joli Cottage » (R. Lord, Architecte)

Villa restaurée en 2017 (cliché SHV – 2022)

 

Exemple de plaques de l'architecte Roger Lord

encore visibles sur de nombreuses maisons au Vésinet (shv, 2013)

Au cours de cette période, plus d'un millier de pavillons seront construits, le nombre de ménages comme celui des habitants ayant plus que doublé. [8] La concurrence est rude alors entre les architectes installés au Vésinet (Roger Lord, Lauthe & Colombey, Pierre Durvelle, Paul Michon, Théo Clément, Raymond Génoni, Raoul Oddos ...) et d'autres venus des alentours, à commencer par la famille Deyres, Louis, le père et Camille le fils (né au Vésinet) exerçant à Croissy, auteurs d'une dizaine de pavillons. On peut citer aussi : André Burckart (St Germain) ; Charles Pithois, (St Germain) ; Maurice Rosier (St Germain) ; Antonin Tamburin (St Germain) ; Raymond Lacombe (St Germain et Bagneux) ; Georges Godin (Chatou) ; Bourgeois père et fils (Poissy) ; Maurice Hout (Asnières) ; Albert-Adrien Grand (Marly-le-Roi) ; Maurice Ouvré (Enghien-les-Bains) ; Auguste Oradour (Bécon) ; Jean-Henri Maque (Le Raincy) ; René-Paul Richet, (Ermont) ; Pierre Allard (Paris) ; Blandin-Voirgard (Paris) ; Robert Bourin & René Hartwig (Paris) ; Emile Choltus (Paris) ; René Clozier (Paris) ; Henri Logut (Paris) ; André Delhoume (Paris) ; Jean Demaizière (Paris) ; Thomas Harvey (Paris) ; Jean Lacau (Paris) ; Charles Legroux (Paris) ; Alexandre Nortier & Louis Vernayre (Paris) ; Petit & Bapaz (Paris) ; Albert & Maurice Turin (Paris) ; Édouard Weiler (Paris) ; etc. L'usage courant dans la première moitié du XXe siècle, des plaques d'architectes, facilite cette énumération qui n'est pas exhaustive. Parmi ces villas et pavillons « signés » s'élèvent aussi de nombreux exemples de maisons « vendues sur catalogue » avec de nombreuses offres de crédit, par des sociétés plus ou moins renommées (Entreprise Générale de Constructions, Les Chaumières, Les Pavillons de France, Pavillons et Villas modernes, Salvat, La Familiale foncière, etc.).
Il en résulte des constructions très inégales, très diverses en style comme en matériaux, dont beaucoup ont perdu leur identité après des agrandissements, des recherches de « modernité » par le camouflage des décors jugés trop « datés » et, plus récemment, par les travaux d'isolation par l'extérieur. Mais l'ensemble contribue aussi à faire du Vésinet un modèle français d'urbanisme paysager avec un incomparable patrimoine architectural d'une remarquable diversité.

En 1929, Roger Lord est choisi pour l'édification de la Maison du Combattant, un projet de l'Union Nationale des Mutilés Réformés (UNMR), la première du genre en France. Le bâtiment sera élevé sur un terrain voisin de la gare du Vésinet (centre) appartenant à la compagnie des Chemins de fer de l'Ouest. La première pierre est posée solennellement le 11 novembre 1929. Le lieu sera déclaré d'utilité publique dès le 29 novembre 1929, avant même son achèvement.

Plaque commémorative de la pose de la première pierre de la « Maison du Combattant ».

cliché shv 2019.

L'édifice de style Arts Déco sera inauguré en grandes pompes le 13 juillet 1930. Entre temps, l'UNMR sera devenue l'UNMRAC (Union Nationale des Mutilés Réformés et Anciens Combattants) et son sigle inclus dans les ferronneries du portail et sur l'imposte. Plus tard, pour éviter de modifier l'inscription à chaque évolution des associations d'anciens combattants, on inscrira simplement sur le fronton « Maison du Combattant ».

Carte postale éditée à l'époque de l'inauguration (1930)

Collection particulière

Après la Seconde Guerre mondiale, Roger Lord participa à la « mise à jour » des différents monuments aux morts.
Le 2 octobre 1947, le conseil municipal adoptait une délibération pour la construction d’un nouvel établissement de bains-douches afin de répondre à l’augmentation de la population et de la demande. Roger Lord soumit un projet de bâtiment, dans lequel les femmes et les hommes étaient séparés, devant être édifié rue Jean-Laurent. Mais, dans le contexte de la reconstruction de l’Après-guerre, les subventions n'ayant pas été obtenues, le projet fut abandonné. Abandonné aussi, en 1947, celui d'un « centre mixte intercommunal » devant remplacer le dispensaire vétuste. Là aussi, Lord s'était porté candidat. Ses dessins sont conservés aux archives municipales.

Le temps de la retraite venu, Roger Lord semble avoir quitté Le Vésinet. En 1972, il était domicilié à Nice au 27 rue de l'Hôtel des Postes. Il est mort le 19 octobre 1974. Il est enterré dans le cimetière communal du Vésinet (Section 13, n°3412) dans un caveau familial. [9]

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    Notes et sources:

    [1] Le grand-père de Roger, William Henry Lord est venu s'installer en France comme piqueux. Le père de Roger, Ernest Lord est né à Lonrai dans l'Orne puis, devenu jockey et entraîneur, s'est installé à Chantilly où il s'est marié. Toutefois, l'un et l'autre ont conservé la nationalité britannique. Ernest Edward Lord est mort au Lewisham Hospital, à Londres, le 12 février 1938.

    [2] Le 3e prénom de Roger Lord, Stothard, est le patronyme de sa grand-mère paternelle Rebecca Jane Stothard (1823-1862).

    [3] C'est à Mailly-le-Camp que Roger Lord rencontrera sa future épouse, Suzanne Marthe Lachaussée. Le mariage y sera célébré le 10 décembre 1919.

    [4] Anselme Boissel, par la suite connu dans les années 1930 sous le nom de Jean Boissel, journaliste et militant d'extrême droite, fondateur et directeur de l'hebdomadaire collaborationiste parisien Le Réveil du peuple, sera arrêté en 1944, condamné à mort le 27 juin 1946 et en partie gracié, sa peine commuée en emprisonnement à perpétuité. Il est mort en détention à Fresnes le 19 octobre 1951.

    [5] L'Architecture usuelle : revue technique (Dourdan), A1-N1, 1922. L'oubli de la mention de l'architecte dans l'article motivera un addendum dans le numéro suivant (A1-N2).

    [6] ibid. A1-N3, 1922.

    [7] Il est d'abord domicilié au 48 route de Croissy où aujourd'hui se trouvent deux pavillons (n°48 et 48bis) portant sa signature, puis au 52 route de Croissy où a été élevée une vaste villa de facture plus ambitieuse. Les parcelles ne sont pas contiguës, séparées par une pelouse appartenant à l'espace public, longée par un bief de rivière. Le Service Technique des Jolis Cottages, sa société, est aussi domicilié tantôt au 48, tantôt au 52 de la route de Croissy.

    [8] Données établies à partir des recensements de 1914 et 1936 : Maisons : 2168 (+967) ; ménages : 3500 (+1752) ; population 11700 (+5425).

    [9] D'après Cimetières de France, base de données du Groupe Elabor.


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