D'après Géo London, Gringoire, 25 septembre 1936 [1] [2]

Le Satyre du Vésinet (1936)

Je le dis tout net : j’estime que le satyre du Vésinet, que je vais avoir l’honneur de vous présenter, a exagéré.
Non seulement il a montré ... ce que ne cachent jamais les satyres, mais, arrêté, il a montré également une fausse carte d’identité au commissaire de police intérimaire de la localité, M. René Beaumont. En sorte que le satyre du Vésinet se trouve prévenu d’outrages à la pudeur et à magistrat.
Notre homme s’appelle Ange Ponot [3]. C’est un gros garçon de trente-cinq ans, blond, mou et frisé comme un agneau. Mais c’est un agneau qui a des yeux de veau. Le Petit-Jean, des Plaideurs, était venu d’Amiens pour être suisse. Ange Ponot est venu de Charonne pour être satyre au Vésinet, ce qui est incontestablement moins honorable.
Le casier judiciaire d’Ange Ponot indique clairement, au surplus, sa vocation pour cet emploi, qui comporte à la fois agréments et inconvénients. C’est seulement aux inconvénients que doit songer Ponot à l’instant où je l'aperçois, dans le box des détenus du tribunal correctionnel de Versailles.[4]

Ange Ponot ne sait d’abord répondre que par de gros soupirs aux observations du président Berthelemot.
Le président Berthelemot. — Vous êtes coutumier de ce genre de délit, et les condamnations qu’on vous a infligées ne vous ont pas guéri.
L’avocat de Ponot, maître Lucien Blavier, fils du distingué conseiller à la Cour de Paris, dont la plaidoirie remarquable élèvera ce piètre débat, fait remarquer qu’il est des tares morales contre lesquelles la répression pénale est sans effet.
Maître Lucien Blavier. — Mon client est un de ces malheureux justiciables non de la prison, mais de l’un de ces asiles qui existent dans certains pays et dont la création en France paraît désirable. Pourtant Ange Ponot travaille ; ses patrons sont satisfaits de lui.
Ange Ponot. — C’est de temps en temps que ça me prend de faire des bêtises.
Le président Berthelemot. — Ce que vous faisiez le jour où l’on vous a arrêté était vraiment scandaleux. Je ne veux pas insister dans cette audience publique. Mais vous avez abordé les femmes qui ont eu le malheur de passer près de vous, dans une tenue ...
Ange Ponot. — Je ne savais plus ce que je faisais.
Au banc du ministère public, le substitut Berenguier hausse les épaules.
Le Substitut Berenguier. — Ponot savait fort bien refréner ses désirs lorsque passait une femme accompagnée d’un homme. La peur du châtiment direct et immédiat l’inclinait à la prudence. (Hilarité.)
Ange Ponot passe sa main dans sa chevelure bouclée et, avec beaucoup de dignité, prononce cette phrase qu’il a sans doute polie dans le silence de la prison : — Tout ce que je peux dire, c’est qu’il y a des coups où que je suis pas maître de mes sentiments. (Rires.)

Le parquet n’a fait citer qu’une des victimes morales du satyre du Vésinet. C’est une dame jeune, élégante, coiffée d’un immense chapeau de rapin. Elle a l’air très flattée que le choix de la justice se soit porté sur elle. De même qu’une petite fille gourmande se délecte longuement à savourer un baba chèrement convoité, de même Mme Betaisse — c’est le nom de la victime — débite avec lenteur une déposition savamment étudiée. Derrière de grosses lunettes, ses yeux brillent d’une indignation rétrospective.

Illustration dans Gringoire

«... Derrière de grosses lunettes, ses yeux brillent d’une indignation rétrospective »

Dessin de BiB alias Georges Breitel (1888-1967).

Mme Betaisse. — Ma jeune sœur est arrivée toute tremblante à la maison en me disant qu’un ignoble individu avait surgi devant elle sur l’avenue des Pages dans une tenue que je me refuse à décrire.
Le substitut Berenguier, à mi-voix. — Personne ne vous en prie.
Mme Betaisse. — Aussitôt, j’ai sauté sur ma bicyclette, et je suis partie pour voir cet individu. (Rires.)
Mme Betaisse ne nous dit pas dans quel état d’esprit elle s’en alla vers le péril. Ne lui faisons pas l’injure de supposer que c’était autrement que mue par l’indignation. Quoi qu’il en soit, elle est venue, elle a vu et elle a vaincu le satyre en le faisant coffrer.
Mme Betaisse. — Heureusement que j’ai trouvé un agent. Je ne sais pas ce qui me serait arrivé.
Ponot se lève, très humble, bien poli.
Ponot. — Oh ! ma pauvre dame, je n’ai jamais fait de mal à une mouche...
Mme Betaisse tourne ostensiblement la tête d’un air dégoûté. Cette attitude ne décourage pas Ponot.
Ponot. — Faut m’excuser. C’est des crises qui me prennent. Je suis faible d’esprit.
Mme Betaisse, haussant les épaules. — D’esprit, peut-être...
Mme Betaisse ne traduit pas davantage sa pensée. Qu’a-t-elle voulu dire ? L’habileté de maître Lucien Blavier incline le tribunal à une indulgence qui ne va pas toujours aux récidivistes : trois mois de prison ... jusqu’à la prochaine fois, hélas !

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    Notes et sources:

    [1] Cette chronique a été publiée dans un recueil Vénus et Cie en correctionnelle, aux Éditions de France (Paris) 1938. Elle a été mentionnée dans l'ouvrage de Jean-Marie Delettrez (1915-2003) Les années trente, T.4 Coup pour coup (1936-1937) aux éditions Emile Paul (Paris) 1962.

    [2] Samuel Georges London dit Géo London (1883-1951) est un écrivain, grand reporter et chroniqueur judiciaire français. Géo London a rencontré Al Capone (Deux mois avec les Bandits de Chicago) et relaté des procès d'exception (Maurras, Laval, Pétain). Il était membre de la Société des gens de lettres, président de l'Association professionnelle des journalistes de l'information religieuse, et membre éminent de l'Académie de l'humour.

    [3] Il s'agit peut-être d'un pseudonyme. C'est peut-être aussi le cas pour le témoin, Mme Betaisse.

    [4] Le Vésinet avait déjà été le théâtre de tels faits divers. En 1907, un attentat avait été commis au Vésinet, sur une demoiselle Antoinette Neveu, par un mécanicien, Auguste Cagnard, trente-quatre ans, sans domicile fixe. Ce dernier, arrêté au Vésinet, avait été aussitôt écroué à la prison de Versailles. (Le Journal, 10 août 1907). En 1923, La cour d'assises de Seine-et-Oise avait condamné à 8 ans de réclusion un tailleur de pierre du Vésinet, dernier rejeton d'une honorable famille bien connue dans la commune, pour attentat aux mœurs. (Le Petit Journal, 21 novembre 1923).


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