Société pour la protection des Paysages 1936

Protection des abords et des environs de la Terrasse de Saint-Germain

Extrait du rapport présenté par Jean Schiffer, membre du Comité directeur de la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, en sa séance du 16 janvier 1936 :

Le Syndicat d'initiative et de défense du Vésinet nous communique les deux notes suivantes, qui ont trait à l'importante question des vues de la Terrasse de Saint-Germain, qui ont été remises au Préfet de Seine-et-Oise, le 18 septembre 1935, et qui ont été jointes au dossier de l'enquête du plan d'aménagement régional.

    NOTE 1
    au sujet des mesures de protection des sites constitués par la Terrasse de Saint-Germain et ses vues : Le Vésinet et les rives de la Seine entre Chatou et Maisons-Laffitte.
    Pour l'application de la loi du 2 mai 1930, le Syndicat d'Initiative et de Défense du Vésinet fut invité, à cette époque, par la Fédération des « ESSI » de la Région Parisienne à faire connaître les monuments naturels et les sites qui seraient susceptibles d'être mis sous la protection de la nouvelle loi. Il émit les vœux suivants : 

      1° Considérant que le territoire de la Commune du Vésinet, constitué par l'ancien Parc du Vésinet, aménagé par la Société Pallu et Cie en 1863 et la Société des Terrains et des Eaux qui lui a succédé, a été conservé, depuis son érection en commune, en 1875, dans le caractère de zone résidentielle que lui ont donné ses fondateurs, grâce à un Cahier des charges spécial accepté par tous les propriétaires et limitant leurs droits dans l'intérêt commun, et, qu'il doit être considéré, dans son ensemble, avec ses 40 hectares d'espaces libres et de pelouses, ses lacs et ses rivières, comme un monument naturel qu'il est de l'intérêt général de protéger contre toute atteinte ;

      Emet le vœu que la Commission départementale des Monuments Naturels et des Sites décide l'inscription du territoire de la Commune du Vésinet à l'Inventaire prévu par l'article 4 de la loi du 2 mai 1930;

       

      2° Considérant que le territoire de la Commune du Vésinet occupe le premier plan du panorama de la Terrasse de Saint-Germain, site qui ne peut manquer d'être classé et protégé dans ses abords ;

      Emet le vœu que la zone de terrain s'étendant entre les limites territoriales du Vésinet et la rive droite de la Seine, zone non protégée par le Cahier des charges, soit incorporée dans l'étendue du territoire inscrit à l'Inventaire pour la partie comprise entre l'Asile National du Vésinet et la Ferme de La Borde.

       

      3° Considérant que les îles qui jalonnent la boucle de la Seine, de Carrières-Saint-Denis à Maisons-Laffitte, constituent une réserve d'air et de verdure qui doit être d'autant plus protégée que le développement du plus grand Paris vers l'Ouest entraîne l'urbanisation progressive de cette partie de la Banlieue;

      Emet le vœu que les Îles dites de Chatou, du Chiard, de Croissy, de la Loge, la Grande Île, Île de la Borde, soient inscrites à l'Inventaire des Monuments Naturels et des Sites, et maintenus, en tout état de cause, à l'abri de toute entreprise industrielle ou autre modifiant la nature de leur exploitation.

    Bien que ces vœux, transmis aux groupements et autorités intéressés, aient valu au Syndicat d'Initiative et de Défense du Vésinet de chaleureuses marques d'approbation, les circonstances furent telles que notre Groupement crut devoir poursuivre avant tout et en premier lieu, la procédure devant aboutir à la protection du territoire même de la Commune du Vésinet.
    Un résultat définitif est acquis sur ce point puisque deux arrêtés, en date du 1er et du 5 février 1934, ont prononcé le classement des lacs, rivières, pelouses et espaces libres appartenant à la Commune, et qui constituent ce qu'on appelle le Parc du Vésinet ; cette mesure de sauvegarde se trouve complétée, comme l'avait suggéré la Commission départementale des Sites, par l'établissement d'un plan d'aménagement, d'embellissement et d'extension, dressé par la Municipalité en collaboration avec le Syndicat d'Initiative, approuvé par la Préfecture de Seine-et-Oise, et actuellement soumis à la Commission Supérieure d'Aménagement de la Région Parisienne.

    Le Syndicat d'Initiative croit le moment venu de reprendre et de demander l'adoption par les autorités compétentes de la 2e et 3e parties de son vœu du 3 octobre 1930.
    Les craintes suscitées récemment par le projet d'établissement en bordure de la Seine, à proximité de l'Usine à Gaz du Vésinet, d'un énorme dépôt d'huiles lourdes et d'essence, ont attiré une fois de plus l'attention sur le fait que tout ce qui peut porter atteinte à la beauté et à l'agrément du territoire du Vésinet et de ses abords est une grave menace pour le site unique que constitue la Terrasse de Saint-Germain.
    Le projet qui a inquiété tous les défenseurs de la beauté des sites est définitivement écarté, mais le danger peut renaître d'un moment à l'autre, sous une forme moins brutale peut-être, mais non moins grosse de conséquences, puisqu'il reste, sur les bords de la Seine, d'une extrémité à l'autre de la boucle que décrit le fleuve de Croissy à Sartrouville, de vastes terrains libres propres à l'établissement d'usines.
    Il importe donc d'agir sans tarder si l'on veut écarter définitivement les dangers qui menacent périodiquement le panorama de la Terrasse de Saint-Germain, et si l'on veut adopter un plan raisonné d'aménagement esthétique de la région, tel que l'urbaniste Prost l'a envisagé. [1]
    Les mesures, nécessaires et suffisantes pour obtenir la protection recherchée seraient :

      1° L'extension à la zone de terrain s'étendant entre les limites territoriales du Vésinet et la rive droite de la Seine, entre l'Asile National et la Ferme de la Borde, de la protection assurée désormais au territoire du Vésinet. Ce sujet est développé dans une note annexe ci-jointe.

      2° Le classement les Îles, et si possible des rives mêmes de la Seine, depuis la pointe amont de l'Île de Chatou jusqu'à Maisons-Laffitte. Nous sommes dès à présent certains que le Touring-Club de France et la Société pour la Protection des Paysages de France sont prêts à appuyer une action engagée dans ce sens [2].

    Les Municipalités du Vésinet, de Chatou, de Croissy, de Saint-Germain, les Syndicats d'Initiative, ne peuvent que se montrer favorables aux mesures d'exécution qui seraient envisagées.

    NOTE 2
    sur les mesures de protection de la rive droite de la Seine entre le Pont de Bougival et le Pont du Pecq.
    La présente note concerne la portion de territoire appartenant aux communes du Pecq et de Croissy, et comprise entre la limite du Vésinet au Nord-Est, le Pont du Pecq au Nord, la rive droite de la Seine et l'angle Sud de la clôture de l'Asile du Vésinet. Cette zone est dominée au Sud-Ouest par les hauteurs boisées de Saint-Germain, de Marly et de Louveciennes. Sa longueur est de 3 kilomètres environ et sa largeur moyenne de 500 mètres.
    Ces 160 hectares sont en pleine évolution, et dans le sens le plus fâcheux : ils ont été longtemps exploités par des maraîchers qui en occupent encore, heureusement, la plus grande partie. Puis, les sablières se sont multipliées, et les carrières de sable furent comblées par des décharges. A l'heure actuelle, quatre importantes usines sont installées, et c'est là qu'est le danger le plus immédiat : la disparition des maraîchers après l'extraction du sable, et le voisinage du bras navigable de la Seine peuvent amener d'autres industriels sur cette étroite bande de terrain close de tous côtés par de ravissants paysages.

    ... entre la limite du Vésinet au Nord-Est, le Pont du Pecq au Nord, la rive droite de la Seine et l'angle Sud de la clôture de l'Asile du Vésinet.

    Cliché IGN, 1933.

    D'autre part, il y a lieu de signaler le danger créé par l'absence de toute réglementation de la construction et du lotissement dans cette zone. Déjà un « building » construit en bordure de la route de Croissy dépare déplorablement le site. Et l'on ne peut sans effroi envisager l'extension de la zone sordide qui gagne peu à peu, en bordure de la Seine, au sud du Pont du Pecq, dans la partie dénommée « Le Mexique ».
    Depuis 1930, le Syndicat d'Initiatives et de défense du Vésinet a attiré à plusieurs reprises l'attention des autorités administratives et des grandes collectivités sur la nécessité de ne pas laisser cet îlot évoluer au gré des intérêts particuliers mal éclairés. Il n'est pas d'exemple plus frappant du besoin d'appliquer les lois protectrices de 1919, 1924, 1930, 1932, dont on pourrait dire qu'elles ont été rédigées pour l'application à ce cas particulier.
    On peut regretter que la Commune du Vésinet n'ait pas été étendue jusqu'à la Seine. Avec sa réglementation actuelle, quel ensemble elle aurait constitué ! Mais il est nécessaire, il est indispensable, que les communes intéressées, Croissy et Le Pecq, soient invitées à prendre les mesures nécessaires pour que le plus beau paysage de l'Ile de France, accidenté, boisé, arrosé tout autour de cette enclave, ne soit pas à jamais perdu. C'est d'ailleurs l'intérêt même de ces deux communes qui s'ajoute à celui de Saint-Germain, de Marly, de Louveciennes, de Bougival et du Vésinet.
    Les mesures à prévoir dans les plans d'extension et d'aménagement sont toujours les mêmes :

      • Interdiction de nouvelles installations industrielles ;

      • Règlement de la construction : Servitudes de hauteur en évitant autant que possible ces immeubles d'habitation collective qui ont déjà déparé d'une manière scandaleuse par leur disparité, quelques-uns des plus beaux paysages de la région, qui sont des brimades pour les habitants voisins, qui soulèvent des problèmes d'équipement de la commune souvent injustifiés, et qui sont là du paradoxe ne s'expliquant que par des intérêts bassement matériels et d'ailleurs mal calculés ;

      • Plan de morcellement avec zones non aedificandi sur rues et entre les constructions.

    Il semble que, par entente entre les communes intéressées, Chatou, Le Pecq, Le Vésinet, le plan d'aménagement de cette zone pourrait être dressé en prévoyant, par exemple, les servitudes adoptées par Le Vésinet dans son programme d'aménagement.
    Ce plan devrait prévoir l'établissement d'une bonne route en bordure de la Seine et sur sa rive droite, qui en est complètement démunie. Cette route présenterait toutes sortes d'avantages : ouverte et signalée au tourisme, parée d'ombrages, elle ouvrirait des vues sur les splendides coteaux de Marly et de Louveciennes, qui ne sont visibles ni de la route nationale ni de la rive gauche, tant parcourue, ni d'autre grande route. Elle favoriserait le peuplement de la zone qui fait l'objet de la présente note, pour le plus grand bien et la prospérité des communes du Pecq et de Croissy ; mais elle ne devrait en tous cas être ouverte qu'après l'adoption de la réglementation de la construction et du lotissement dans cette zone.

Le Touring Club de France, dont l'appui avait été demandé, faisait connaître, les 13 juin et 30 novembre 1935, et le 3 janvier 1936, par lettre de M. Maringer, président du Comité des sites, monuments et urbanisme, qu'il approuvait la manière de voir du Syndicat d'initiative du Vésinet et qu'il intervenait dans le même sens. Mais le 21 décembre 1935, le Préfet de Seine-et-Oise a envoyé au Syndicat d'initiative du Vésinet la lettre suivante :

    Versailles, le 21 décembre 1935

     

    Monsieur le Président,

    Comme suite à ma lettre du 27 septembre 1935, j'ai l'honneur de vous faire connaître que la Section Permanente de la Commission départementale des Sites et Monuments Naturels a examiné, au cours de sa séance du 28 novembre dernier, la question de la protection du Vésinet et de ses abords, notamment des parties de terrains du territoire du Pecq, de Chatou et de Croissy-sur-Seine, situées en bordure de la Seine, en face de la Terrasse de Saint-Germain-en-Laye.

    En ce qui concerne les terrains du Pecq et de Chatou, la Section a estimé que ceux-ci étaient protégés par les plans d'extension communaux qui en comportent le classement en zones résidentielles, c'est-à-dire affectées exclusivement à la construction d'habitations isolées. La Section m'a demandé, en conséquence, d'attirer l'attention de la Commune de Croissy-sur-Seine sur l'intérêt qui s'attache à ce qu'elle prévoie également dans son plan d'extension des mesures de protection analogues à celles adoptées par Le Pecq et Chatou.

    Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'assurance de ma considération distinguée.

     

    Le Préfet,

    Signé : Bonnefoy-Sibour

****

    Notes et sources (SHV):

    [1] Henri Prost (1874-1959) architecte urbaniste français est un des pères de l'Urbanisme moderne en France. Figure exemplaire de l’urbanisme culturaliste dans sa prise en compte de l’héritage local, il comprit tôt le besoin de désenclaver Paris, mais contrairement à la pensée moderniste, il ne voulait pas y répondre seulement par des axes routiers, mais dans un traitement des banlieues comme portes d’entrée de la capitale. Co-auteur d'un projet d'aménagement de la Région parisienne (1928-1935) dont le plan d'aménagement du Vésinet (1937) s'est inspiré.

    [2] Le Secrétaire général a reçu du Maire de Saint-Germain-en-Laye (le 19/1/36) la lettre suivante : « La Municipalité de Saint-Germain-en-Laye a été tenue au courant des démarches et interventions faites par la Société de Protection des Paysages de France pour la conservation de plusieurs sites de l'Ile de France et, notamment, de l'admirable panorama de la Terrasse de Saint-Germain-en-Laye. Je suis heureux de vous faire part des remerciements unanimes adressés à votre Société, que le Conseil Municipal m'a chargé de vous transmettre, à l'occasion d'une délibération qu'il a prise dans sa séance d'hier, pour demander à la Direction des Beaux-Arts de faire procéder à la réfection de la contre-allée longeant la balustrade de la Terrasse et celle du Rond-Point la terminant au nord. »

 


Société d'Histoire du Vésinet, 2017- www.histoire-vesinet.org