D'après, La Croix; La Presse; Le Figaro 26-27 juillet 1896

La Tempête du dimanche 26 juillet 1896

Depuis plusieurs années, on n'avait vu, à Paris, d'ouragan [1] sévissant avec pareille violence et occasionnant d'aussi terribles dégâts. Durant quelques jours, sous une atmosphère de plomb, l'orage menaçait. D'ailleurs, le bureau central météorologique avait annoncé des pluies orageuses. Dès le matin, le 26 juillet, la pluie tombait par averses sur différents points de Paris et de la banlieue. Mais, c'est l'après-midi, vers cinq heures, qu'éclatait l'ouragan, avec une rare violence, dévastant plus particulièrement l'Est, et le Sud-Est de la capitale et la proche banlieue.

Pendant une vingtaine de minutes une trombe d'eau et de grêle se répandit sur la ville. Surpris par la soudaineté de l'ouragan, les promeneurs qui encombraient rues et boulevards se sauvèrent à qui mieux mieux, cherchant un refuge dans les cafés et les couloirs des maisons. Dans le centre de Paris, les voies furent transformées en torrents.
Allant du Sud-Ouest au Nord-Est, l'ouragan a plus particulièrement affecté les quartiers du sud et de l'est de Paris, notamment les treizième, douzième et dix-neuvième arrondissements, Chantilly, Ivry, Bercy, Charenton, Saint-Mandé, Villejuif, etc. Sur ces points, les arbres enlevés, les cheminées renversées, les vitres brisées, les caves inondées et les étages supérieurs endommagés ne se comptent pas.
Au Jardin des Plantes, l'ouragan a été particulièrement violent. Dès quatre heures et demie, les animaux, donnaient des signes manifestes d'inquiétude. Après les "cataractes célestes" d'énormes grêlons, les vitres des serres furent brisées, les plantes rares et les arbres superbes hachés "comme par un bûcheron vandale".

De même, au parc de Montsouris où l'ouragan semble avoir atteint son maximum de violence. Un massif de grands arbres a été saccagé. Les habitants du quartier travaillèrent à déblayer les allées, des gamins emportant sur l'épaule de grosses branches, s'attelant à de véritables troncs qu'ils remorquaient péniblement à deux ou trois. La partie du jardin attenante au boulevard Jourdan a particulièrement souffert de la tempête. Ici, elle a "fait rage". Des platanes ont été terrassés, déracinés, jetés les uns sur les autres; des acacias déchiquetés, dépouillés d'un seul coup, comme scalpés. Un champ de dévastation. Les promeneurs, pris de panique forcèrent la maison du garde, enfonçant les portes pour s'y réfugier.
De l'autre côté, la voie du chemin de fer de Sceaux, qui longe le parc de Montsouris, a été ravinée, puis envahie par la boue. Déracinés, des arbres ont été transportés au milieu de la voie. Deux platanes étaient comme posés sur les talus, formant comme deux ponts au-dessus des rails. Les poteaux télégraphiques brisés, les fils cassés... La circulation des trains a été interrompue jusqu'au lendemain.

Au 85, rue de Patay, une fillette âgée de onze ans prenait un bain dans un lavoir, lorsque la toiture de l'établissement fut enlevée et emportée au milieu de la rue. Au même instant, la foudre tomba sur la cheminée de l'usine voisine qui fut partagée en deux et s'abattit sur le lavoir. La fillette fut littéralement écrasée et son cadavre ne fut découvert et retiré, qu'après l'orage.
Dans la région, les caves voisines de la Seine ont été inondées (quai de la Gare, rues Maître-Albert, Saint-Martin, Aubry-le-Boucher, de la Bûcherie, Sedainé, Mouffetard), les égouts envahis, les conduites d'eau menacées. Rue Mouffetard, on a enlevé neuf tombereaux de glaçons amoncelés sur un seul... Rue Vauquelin, le trottoir et la chaussée se sont affaissés sur une longueur de dix mètres.
A la gare d'Orléans, les vitres du grand hall ont été entièrement brisées.
Enfin, à la gare de Lyon, où des travaux importants étaient en cours, une grue de 20 tonnes, placée sur un échafaudage à trente-trois mètres de hauteur, s'est effondrée. Le mouvement de la lourde machine avait été aperçu de la chaussée et il n'y eut pas de victime. La grue s'abattit sur les bureaux de l'économat, enfonçant la toiture, traversant l'étage et s'enfonçant dans le rez-de-chaussée, dans le réfectoire heureusement vide à cette heure.
On déplore également la coupure des fils télégraphiques et téléphoniques au boulevard de Port-Royal, la destruction par la foudre d'un arbre de la Liberté, planté en 1848. Toutes les branches ont été enlevées et le tronc a été coupé en deux.
Deux voyageurs,qui se trouvaient sur l'impériale d'un wagon entrant en gare du Nord, ont été précipités à terre par le vent. L'un d'eux s'est fracassé le crâne et a dû être transporté mourant à l'hôpital Lariboisière.
Dans le bois de Vincennes, les dégâts sont très importants. On devra procéder à la réfection de plusieurs chemins défoncés par la pluie et débarrasser les routes des amoncellements des branches et des arbres qui les encombrent.
A Pantin, la foudre est tombée près des fortifications et a blessé deux personnes.

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    [1] Le bureau météorologique, 176, rue de l'Université, publia dans les jours qui suivirent les explications suivantes:
    Ce n'était pas un cyclone, mais simplement un très violent orage, dû à une de ces dépressions secondaires qui, comme des satellites, accompagnent, en général, toute dépression principale. Nous connaissions parfaitement l'existence de cette dernière qui, samedi, à sept heures du matin, nous était signalée au sud de l'Irlande. Nous pensions qu'elle allait descendre sur la Bretagne, mais elle s'est subitement reportée vers le nord et, vingt-quatre heures après, c'est-à-dire dimanche matin, elle était sur l'Ecosse, paraissant vouloir se diriger vers la Norvège.
    Comme à ces dépressions principales, qui font parfois descendre le baromètre jusqu'à cinquante centimètres, sont toujours liées des dépressions secondaires, orageuses, qui les avoisinent, mais toutefois sans se mouvoir dans le même sens qu'elles, et qui sont caractérisées par des effets météorologiques bien plus redoutables que la dépression principale elle-même hier, dès dix heures du matin, nous avions averti toutes les communes de France de la possibilité d'un orage.
    Sa violence à Paris et dans la banlieue a surpris. Le baromètre qui, depuis trois heures de l'après-midi, avait baissé jusqu'à 756 millimètres est brusquement remonté à quatre heures, au moment où l'orage était à son apogée. Pas de cyclone (tourbillon de vent) mais un vent qui, au sol, à quatre heures, avait une vitesse de sept mètres à la seconde, en avait, au même moment, une effrayante de vingt-cinq mètres au sommet de la tour Eiffel, qui a donné à cette occasion des gages de sa grande solidité.
    Le bureau précisait que tous les cultivateurs étaient prévenus de la possibilité d'un orage et ont pu prendre leurs précautions. Le Bureau travaillait alors principalement dans un but de prévision pour l'agriculture.

 

Société d'Histoire du Vésinet, 2011- www.histoire-vesinet.org