L'Intransigeant, 23 février 1893.

Un cas étrange à l'établissement d'hydrothérapie du Vésinet

La Société d'hypnologie et de psychologie a entendu, dans sa séance d'hier, une intéressante communication concernant une jeune fille de treize ans qui, pendant cinq mois entiers, est restée dans un état de léthargie complète. Elève dans un grand pensionnat, cette jeune fille, qui appartient à une famille très distinguée de la province, tomba malade, dit-on, à la suite d'une «frayeur» ; elle fut, après avoir été examinée par le professeur Charcot, admise il y a cinq mois dans la maison de santé du docteur Raffegeau, au Vésinet.
A ce moment, la pauvre enfant émettait incessamment une sorte d'aboiement et, toutes les cinq minutes, était en proie à une crise pendant laquelle elle s'agitait et se frottait machinalement, d'un geste saccadé, la tête avec sa main gauche ; elle usa ainsi par le frottement la moitié de son sourcil gauche.
La bouche était largement ouverte et laissait voir les amygdales dont une, la droite, était très hypertrophiée. L'attitude de la malade était très caractéristique ; son œil était fixe et elle paraissait être dans un état d'inconscience absolue, ne répondant à aucune des questions qui lui étaient posées. Lorsqu'on la piquait profondément avec une épingle, elle ne manifestait aucune sensation douloureuse. Comme elle n'acceptait aucun aliment, on dut recourir à l'alimentation avec la sonde œsophagienne (bouillon, oeufs avec phosphate de chaux, etc., etc.). C'est ainsi qu'elle fut nourrie pendant toute la duree de la maladie.
Chaque jour, elle était promenée au grand air, dans une petite voiture de malade.

Le docteur Vincent Donatien Raffegeau (1855-1931)

Trois jours après son arrivée à la maison de santé du Vésinet, l'état s'était un peu modifié ; les crises avaient cessé pendant le jour et la jeune fille était tombée en catalepsie. Les yeux restaient fixes, le visage avait une expression extatique et les bras, soulevés, gardaient l'attitude qu'on leur donnait. Elle fut examinée dans cet état par plusieurs médecins qui furent unanimes à reconnaître qu'il s'agissait d'un cas particulier de léthargie. La malade fut soumise à l'hydrothérapie et au massage. Son état général s'améliora de façon appréciable mais elle restait indifférente aux chosés extérieures.

Etablissement d'hydrothérapie, pavillon des douches

Décors en faïences de Sarreguemines (cliché SHV, 2007)

Le docteur Raffegeau imagina ces jours derniers de cautériser au fer rouge l'amygdale hypertrophiée, facile à aborder par la bouche demeurée ouverte d'une façon permanente, et d'instituer simultanement un massage rationnel des muscles de la région sous-maxillaire. Ce traitement amena la première manifestation d'une sensation douloureuse et la malade poussa un faible cri. A partir de ce moment, une réaction sembla s'établir.
Quelques heures après, à la suite de sollicitations nombreuses, on obtint d'elle qu'elle prononçât, à peu près distinctement, les voyelles « a, e, i, o ». Le lendemain matin, à sept heures, elle se réveilla en pleurant, et s'écriant « Où suis-je donc ? » elle demanda à boire.
On la consola et on la mit rapidement au courant de ce qui s'était passé depuis cinq mois. La malade n'avait gardé aucun souvenir de ce qui s'était passé autour d'elle. Actuellement, elle est revenue à la santé et elle est très gaie. Elle parle sans cesse et s'intéresse à tout ce qui l'entoure et semble plutôt disposée à se rattraper du long mutisme auquel elle a été soumise.

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    [1] Note sur un cas de léthargie observé chez une enfant de treize ans; par M. le docteur Raffegeau, médecin de l'établissement hydrothérapique du Vésinet. impr. Michels et fils (29 avril.). Extrait de la Revue de l'hypnotisme (mars 1893).


Société d'Histoire du Vésinet, 2018- www.histoire-vesinet.org