D'après Emile Bourdelin Les marbres onyx d'Algérie. — Le Monde illustré, n°243, 7 décembre 1861.

L'usine de M. Pallu, rue Popincourt, à Paris

Les carrières d'onyx d'Algérie sont situées dans la province d'Oran, aux environs de Tlemcen, cette vedette aujourd'hui française, placée au point culminant du bassin de la Tafna, à proximité des frontières du Maroc. Ces mines furent exploitées par les Romains, au temps de leur domination, et peut-être aussi par les Berbères, à l'époque où Tlemcen était florissante. Cette ville était alors la capitale d'un royaume qui comptait cent cinquante lieues de littoral. Les traditions arabes disent merveilles de ses palais, de ses mosquées et de ses bazars, qu'alimentaient d'innombrables caravanes.
La colonisation française est venue rendre à l'art et à l'industrie pour lesquels ils ont été perdus pendant des siècles, ces onyx remarquables qui ne le cèdent en rien aux marbres célèbres d'Egypte et d'Italie.
L'onyx est une variété de calcédoine présentant diverses teintes qui forment des raies parallèles. Les principales qualités qui distinguent un bel onyx sont la finesse et l'homogénéité de la pâte, la vivacité de ses couleurs, la netteté et l'épaisseur de ses bandes colorées et enfin son volume. [...]

L'usage de la matière qui nous occupe actuellement ne peut manquer de prendre un immense développement sous la direction des intelligents industriels qui ont organisé son importante exploitation. L'usine de fabrication a été installée à Paris. On ne pouvait mieux choisir le centre de l'immense rayonnement qui est destinée à embrasser cette multiple production.
L'onyx s'emploie comme décoration architecturale d'intérieur, comme ameublement, comme accessoire indispensable aux bronzes d'art, etc., etc. On le tourne en colonne, pour les vestibules des palais, des hôtels et des maisons opulentes ; on le découpe en riches balustrades, on le creuse en vasques et en bassins pour les serres et les jardins d'hiver ; on le sculpte en bustes, en chapiteaux, en bas-reliefs, en cheminées et en supports de toutes sorte ; on le taille enfin de mille façons diverses pour en composer une multitude d'objets de luxueuse ornementation.
Les architectes et les entrepreneurs qui rebâtissent Paris trouveront dans l'onyx une ressource précieuse ; l'élégance et le confortable des appartements modernes ne pourront qu'y gagner.


Usine Pallu (1861) - Façade du magazin, 29 rue Popincourt (XIe arr.)


Usine Pallu (1861) - Cours, ateliers, machines génératrices de vapeur.

Nous avons pris à l'usine de Paris les croquis qui accompagnent cet article. Un bâtiment important dont la façade monumentale se déploie sur la rue Popincourt [1], contient les magasins d'exposition. [2] Au rez-de-chaussée sont rangés les objets de grandes dimensions. Le premier étage renferme la collection la plus variée de tous les gracieux chefs-d'œuvre qu'enfante cette artistique fabrication.
L'immense atelier que représente notre sujet principal contient les scies à marbres. Rien n'est plus intéressant que de voir ces minces lames d'acier trancher d'énormes blocs de pierre dont quelques-uns ne mettent pas moins de ceux semaines à être fendus. Ces scies maintenues par de solides châssis placés horizontalement, reçoivent leur mouvement de va-et-vient au moyen de bielles et de manivelles mues par une puissante machine a vapeur. Des ouvriers surveillent ce travail automatique et arrosent sans cesse les blocs en chantier, de grès dur délayé, qui aide à l'opération du fendage.


Usine Pallu (1861) - Grande scierie

A cette salle succède l'atelier des tourneurs. Ceux-ci traitent le marbre comme on traite le fer dans les ateliers de mécanique. Plusieurs arbres de couche font mouvoir des tours à pointes, des tours en l'air à travail circulaire ou elliptique, des tours à percer et à fileter, des tours parallèles, etc.
En face se développent sur toute la longueur de la cour les salles consacrées à la sculpture et au polissage. Un chantier fait suite à ces constructions ; c'est là que viennent s'entasser les marbres bruts à leur arrivée d'Algérie.


Usine Pallu (1861)
Les tourneurs —- Les polisseurs
Les sculpteurs.

Des dessinateurs habiles puisent leurs renseignements aux meilleures sources et exécutent les nombreux modèles qui servent à la fabrication. La nécessité où l'on est de marier presque toujours le bronze au marbre, afin de multiplier les formes, les sujets et de copier les différents styles, a nécessité l'adjonction à l'usine des onyx, d'une fabrique de bronzes d'art.
Les produits agricoles et industriels du sol africain que nous envoie la grande colonie méditerranéenne, sont une cause de légitime orgueil pour la France. La mère patrie se félicitera dans un temps très prochain de la découverte des onyx, qui lui aura procuré sur le sol algérien un nouvel élément de richesse, l'élément artistique.

Usine Pallu (1861) — Le magazin d'exposition
Le premier étage renferme la collection la plus variée de tous les gracieux chefs-d'œuvre qu'enfante cette artistique fabrication.

Usine Pallu (1861) — Le magazin
Au rez-de-chaussée sont rangés les objets de grandes dimensions

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    Notes:

    [1] Jusqu'en 1860, la rue Popincourt était dans le 8e arrondissement (Paris, jusqu’alors délimité par l’enceinte des fermiers généraux, en comptait 12) dans le quartier Popincourt. A partir du 1er janvier 1860, Paris s’agrandit en annexant en totalité ou partie ses communes limitrophes ; son espace est redécoupé en 20 arrondissements du Paris actuel.

    [2] Dès 1863, le magazin d'exposition sera transféré au 24, boulevard des Italiens, dans un lieu décrit comme « un palais enchanté où l'or, l'émail et l'onyx se marient avec tant de bon goût et de science qu'on ne sait laquelle de ces trois matières fait le mieux ressortir les autres. » Le Monde Illustré, n°349, 19 décembre 1863.


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