Extrait du Bulletin municipal,
n°20 décembre 1971 7e
Salon du
Groupe d'Arts Plastiques du Vésinet (1971)
De Montmartre au Vésinet hommage
à Maurice UTRILLO
[...] ci-dessous,
un texte de l'un de nos amis du Groupe d'Arts Plastiques du Vésinet,
Guy LAMY. Il composa cet article pour le journal de son Stalag
lorsqu'il était prisonnier de guerre Etant peintre, en "enfant
de Montmartre", il connaissait particulièrement bien son sujet
et la plupart de ceux qui sont devenus les maîtres de la peinture
contemporaine.
Lorsqu'on arrive place Blanche on a l'impression
d'être à une porte de Paris. Il y a toujours un bruit d'enfer, de
voitures, de piétons qui vont et viennent que ce soit à 4 heures
de l'après-midi ou à 2 heures du matin. C'est Montmartre pour les
uns avec son "Moulin Rouge", ses cafés, ses boites. Pour
les autres, pour nous, il faut prendre la rue Lepic ! Vous la reconnaîtrez
toujours à sa pente et à ses petites voitures de Quatre Saisons.
Arrivé au coin de la rue Tholozé, après le dernier marchand de citrons
qui guette l'acheteur auprès d'une porte cochère, vous pouvez dire
"J'y suis, je foule le pavé Montmartrois" ! Montmartre,
c'est tout un village avec son Maire, son garde champêtre, ses habitants,
ses gosses espiègles tant aimés de Poulbot. Une fois là-haut après
avoir passé le Moulin de la Galette, on débouche devant une
vieille bâtisse (bistrot de rapins où l'on paye son ardoise avec
une "croûte", une peinture) C'est l'Ambassade d'Auvergne
peinte en rouge. On prend la rue des Saules qui vous descend sur
l'autre pente; à droite, une petite rue; vous découvrez à l'angle
une plaque émaillée de bleu où vous lisez rue Cortot. C'est
une vieille rue, meublée de vieilles bâtisses entourées de terrains
vagues. Au 11 vous tapez à grands coups de pieds dans une porte
de fer, c'est la mode; (je n'ai jamais connu de sonnettes à Montmartre
à part la cloche du Sacré Coeur), c'est là qu'habitait Utrillo.
Une vieille femme que j'ai toujours connue à cette époque-là, (c'est
en effet en 1928 que je fis ma première visite bien timide, les
bras chargés d'affreuses peintures, chez ce grand maître que je
n'ai cessé d'admirer) vous ouvre la porte. En général, la bonne
dame vous disait que Maurice n'était pas là. Mais si vous vouliez
le rencontrer, il vous suffisait de monter chez la Mère Catherine,
le tabac de la place du Tertre, ou bien au bistrot St-Pierre
à l'ombre du Sacré Coeur, où la joyeuse bande fêtait tous les ans
le 14 juillet au mois d'avril, à la fête d'Albert le "Taulier".
Lampions, pétards, tout y était jusqu'aux "gueulantes"
qui ameutaient la tranquillité du village, mais là-haut, on excuse
tout ! Des fois on le rencontrait à la tombée de la nuit, rue
Ravignan ou rue du Mont-Cenis, ces rues à escaliers, si caractéristiques
de Montmartre, tenant d'une main la rampe et de l'autre cognant
à chaque marche une bouteille de "vieux bleu", Ce cher
Maurice, jamais, je ne l'ai vu peindre d'après nature. Cela ne lui
arrivait du reste que très rarement. Chez Albert se tenaient
ses assises. On discutait, tout en dégustant un petit vin d'Argenteuil
qui n'avait rien de "sale". Maurice disait lui- même "il
n'y a que dans le rouge que l'on trouve la couleur". Tabarant,
Naly, d'Artagnan, avec sa lavallière et son chapeau à larges bords,
qui habite toujours là-haut peignait à cette époque-là des enseignes
pour pouvoir "bouffer son hareng". Combien d'autres encore
qui écoutaient comme moi, dans l'ombre, ce cher Maurice. Quelle
belle leçon de "barbouille" entre deux verres ! Chaque
fois que l'on pense à lui, on pense à ce village qui domine Paris,
à cette vieille "Butte" légendaire; c'est un de ses fils,
c'est aussi celui de Suzanne Valadon, sa brave mère à laquelle il
doit tant que ce soit peinture ou douceur. Né le 26 décembre 1883,
il ne peignait d'abord que d'affreuses toiles. Après avoir fréquenté
en bohème le collège Rollin, il est interné comme fou à Ste-Anne;
s'évade pour rejoindre sa chère mère à Montmagny. Cette bonne Suzanne
lui pardonne tout. Il trouve là refuge de calme et de tranquillité.
Le médecin qui le soigne dit à sa mère de le mettre à la peinture.
Cela peut seul le guérir et voici mon Maurice "peintre malgré
lui". C'est à Montmagny qu'il peint à pleine pâte, voire même
au couteau. Il expose, aux Indépendants, le Pont de Toulouse,
exécuté d'après une carte postale, qui est un chef-d'oeuvre, Sa
période blanche est la plus belle. Elle se classe de 1910 à 1914.
Tout y est lumineux. Que de cathédrales, que d'églises peintes alors
! Après guerre il remonte là-haut sur sa butte. Tous les coins
y passent depuis la place du Tertre à la rue de l'Abreuvoir en passant
par le Lapin à Gill. De toutes ces toiles il ressort quelque
chose de tragique, de désespéré, Toute la détresse de ces pierres
lépreuses. de ces arbres rabougris du maquis. Là il se sent vivre,
libre. Il est né parmi ces pierres, il les peint, il les aime. Utrillo
n'est jamais plus grand que lorsqu'il peint cette misère, cette
Butte. Certains le discutent, mais ce qu'on rencontre dans toutes
ses oeuvres, c'est le miracle. Rue Cortot, il y demeure jusqu'en
1930. A cette époque-là, la gloire est venue le chercher. De temps
à autre il revient à ses premières amours, La dernière fois que
j'ai eu le plaisir de le rencontrer, c'était en 1936, lors des vendanges
de la rue des Saules. Toujours pareil à lui-même, mais n'ayant plus
ce vieux pardessus crasseux d'où sortait autrefois d'une poche un
goulot de bouteille et quelques boites à aquarelles. Sa renommée
est faite, c'est un heureux. Depuis, lorsque, j'aperçois dans une
galerie une toile de lui où se trouve le petit bristol indiquant
"vendu", j'ai l'impression que c'est un peu de cette vieille
Butte qui s'en va, qui s'enfonce dans ce grand trou noir de Paris. Fini
... le temps des balcons fleuris par Mimi, fini le temps des cerises,
Utrillo retiré au Vésinet peint de grands paysages de neige, d'après
cartes postales, comme un grand enfant qu'il est.
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