D'après la notice du Syndicat d'Initiative et de défense du Site du Vésinet (avril 2016) [1]

Compléments de la SHV (avril 2023).

La Villa Berthe

Située au 72, route de Montesson, cette villa fut construite entre le printemps et l'automne 1896 par l’architecte Hector Guimard. Dès l'entrée, le portail en fer forgé donne le ton de la propriété avec ses courbes fines et élancées de couleur vert-tige. Ce naturalisme abstrait est la principale caractéristique de Guimard. On le retrouve dans pratiquement toutes ses œuvres, notamment ses célèbres entrées du métro parisien (1899-1904) et dans les balustrades de la terrasse qui couronne la villa Berthe (appelée aussi Hublotière) ce qui est représentatif de l'Art Nouveau.

La villa Berthe, facade principale

© Cliché La Hublotière

Assise sur un soubassement de meulières, puis bâtie de briques brutes et de pierres de taille, la maison semble bien posée au sein de son jardin très arboré. Elle reste pourtant légère et agréable à regarder notamment grâce à ses décors très intégrés aux volumes. Elle s'élève sur trois niveaux et comporte un sous-sol ainsi qu'un belvédère sur le faîtage. De plan rectangulaire, elle met à la disposition de ses habitants 370 m2, selon des aménagements qui, comme toujours chez Guimard, sont très fonctionnels.
Le rez-de-chaussée était consacré aux pièces de réception et à la cuisine, le premier étage était destiné aux pièces intimes des maîtres et fétage-comble comportait les appartements des domestiques et une grande chambre avec un bow-window, traditionnellement appelée la chambre de musique. Le tout est desservi par un escalier en teck, aux sculptures assez discrètes, mais impressionnant par ses fenêtres obliques et sa hauteur vertigineuse.

Les ferronneries et l'escalier, représentatifs de l'Art Nouveau

© Clichés La Hublotière

A l'extérieur, chaque façade présente une originalité et une identité propre. La façade principale est marquée par une grande symétrie. Peut-être est-ce dû à la volonté du commanditaire ou au souci de Guimard de toujours s'adapter aux environnements de ses constructions : ici Le Vésinet, avec son statut de ville-parc et ses grandes maisons de style classique, ayant bénéficié d'un développement urbanistique et paysager hors du commun.
Les portes-fenêtres cintrées du rez-de-chaussée, les baies rectangulaires de l'étage noble et les lucarnes en chien-assis de fétage-comble se répondent de part et d'autre de la travée centrale. Cette dernière est couronnée par un grand pignon d'influence gothique et anime la façade par la variété de ses ouvertures et par ses jeux de volumes. Une large porte-fenêtre, une imposante baie rectangulaire et un bow-window (l’influence anglaise après son voyage en 1894) sont ainsi superposés, et l'escalier d'honneur du perron, le balcon de pierre cintrée du premier étage ainsi que l'élégante courbe du bow-window contribuent à animer cette façade, tout comme ses décors. Cette façade est donc marquée par une sagesse quasi-aristocratique avec sa symétrie parfaite et sa grande ouverture sur le jardin. Mais hors de la vue des passants, tout s'anime et devient plus caractéristique de l'architecte. Les deux façades latérales sont asymétriques. Elles se répondent, avec leur conduit de cheminée non centré, souligné par une ligne oblique, et leur fenêtre rectangulaire à table de grès au premier étage. L'une comporte le perron d'entrée. Les soupiraux en forme de hublots (à qui la villa doit certainement son surnom) sont placés différemment, et les fenêtres du rez-de-chaussée ne sont pas identiques (l'une est rectangulaire, l'autre cintrée). De plus la façade ouest est bordée par une petite grotte-cascade en pierre de lave dessinée par Guimard. Enfin, la façade arrière est la plus caractéristique de Guimard par son refus de la symétrie et ses ouvertures de formes et de dimensions multiples.

La villa Berthe, facade postérieure

© cliché SIDSV, 2011.

Guimard se plaisait à traduire à l'extérieur les fonctions spécifiques des aménagements intérieurs et cela est très clair avec ses cages d'escalier marquées par des fenêtres en biais. Ce principe est esquissé au Castel Béranger mais il est ici plus élégant, avec cette taille en oblique des ouvertures qui constitue un bel exploit technique.
La cage d'escalier, au centre de toutes les constructions de Guimard, est ici admirable. Elle est placée presque dans l'axe de la travée centrale de la façade principale, mais la grande arche qui éclaire le perron d'entrée crée un déséquilibre et une profondeur inattendue.
La Villa Berthe est très ornée, même si ses motifs sont plus sages que ceux de ses immeubles parisiens. La polychromie, si chère à Guimard, est ici relativement sobre : briques rouges et jaunes ; briques émaillées noires marquant les niveaux ; pierres de taille ; ferronnerie présente à tous les niveaux (sous forme de garde-fous ou de décors gratuits) et tables de grès au dessus des fenêtres de l'étage noble...
On remarque les garde-fous du perron, référence directe à Victor Horta avec leurs lignes très spiralées, différentes du style plus rectiligne de Guimard (davantage sensible dans les balcons du belvédère et dans le portail d'entrée). Quant aux tables de grès, elles sont ornées de motifs de vagues ondoyantes qu'on retrouve sur certains plafonds à l'intérieur (et qui ont un effet antiécho), mais leur relief est ici plus accentué.
Cette propriété privée est en partie inscrite à l'inventaire supplémentaire des Monuments Historiques depuis 1979 [2]. Elle ouvre ses portes chaque été depuis plusieurs années, dans le but de faire découvrir le patrimoine bâti de Guimard, encore trop ignoré voire négligé. En effet, exceptés les grands immeubles construits par Guimard dans le 16e arrondissement de Paris, c'est une des rares demeures de l'architecte encore sur pied. Mais c'est surtout une des seules constructions de Guimard ouvertes à la visite ; aucune de ses œuvres majeures n'a jusqu a ce jour été acquise par l'Etat.

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Né en réaction contre la reproduction sclérosante des anciens styles -accentuée par l'industrialisation-, l'Art Nouveau est un mouvement soudain, rapide, qui connaît un développement international. S'il comporte des nuances selon les pays, ses critères sont communs : l'inventivité, la présence de rythmes, couleurs, ornementations inspirés des arbres, des fleurs, des insectes, des animaux, et qui introduisent du sensible dans le décor quotidien. Il sera cependant éphémère, de 1890 à 1910, pour évoluer ensuite vers le style plus géométrique de l'Art Déco.

Hector Guimard (1867-1942) est un des principaux représentants français de l’Art Nouveau.

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    NOGUÈS, Lucien (1845-1902)

    Fils d'un négociant de l'ancienne île Bourbon, Lucien Marie Noguès est né le 1er juin 1845, à Saint-Denis de la Réunion.

    Installé d'abord à Nantes comme "propriétaire" et courtier de marchandises, il a épousé en 1869 Palmyre Anne Benoist qui lui a donné deux enfants : Palmyre Marie (1871-1889) et André (1872-1878). En 1874, La famille s'installe à Paris où Lucien Noguès est associé dans une agence de change. André meurt à 6 ans, en avril 1878, peu de temps après sa mère, décédée en février de la même année, alors que Lucien Noguès devenait directeur du Salon des Courses, sorte de club organisant pour ses membres des paris sur les courses hippiques. En 1884, il convolait en secondes noces à Paris avec Agathe Chassang, orpheline de dix ans sa cadette.

    En 1888, il occupe au Vésinet, une maison de villégiature, la villa Jeanne, allée d'Isly où sa fille Palmyre meurt l'année suivante, à 17 ans. Peu après, la famille enménage au 46 avenue Centrale (actuelle av. Georges-Clemenceau) dans la villa Le Charme que M. Noguès vient d'acheter.

    La famille Noguès-Chassang offrira à la paroisse de Ste Marguerite plusieurs verrières dont l'étude apporte quelques éclaircissements dans l'histoire de cette famille. Ainsi, une petite fille prénommée Jeanne Yvonne Agathe Marie, née à Paris "de père et de mère non dénommés" en 1887, meurt en mai 1894, toujours privée de patronyme, au domicile de M. Noguès. Mais quelques mois plus tard, une verrière « à la mémoire d'Yvonne Chassang, 22 mai 1894 » viendra s'ajouter aux vitraux de Ste Marguerite.

    En 1896, Lucien Noguès fait appel à Hector Guimard, architecte déjà renommé, pour édifier une villa de 12 pièces (375 m² habitables sur 3 niveaux) au milieu d'un jardin arboré de 2000 m² au 72 route de Montesson. Ce sera la Hublotière ou Villa-Berthe, la seule réalisation réellement Art Nouveau de la commune. Il semble que Lucien Noguès n'ait jamais habité cette maison. Il est mort le 3 août 1902, à son domicile de l'avenue Centrale, au Vésinet. Il avait 57 ans. Un nouveau vitrail sera offert à l'Eglise Ste Marguerite à l'occasion de ce décès. Il représente Saint Lucien, évèque de Beauvais et l'on suppose que les traits du saint prélat sont inspirés du portrait de Lucien Noguès.[3]

    Agathe Chassang, sa veuve, est morte à la Charité-sur-Loire en 1946.

     

     

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    Notes et sources:

    [1] avec l'apport des résumés des visites guidées proposées par les propriétaires, l'été, sous la conduite d'étudiants en histoire de l'Art, dont Delphine Deshayes et Aude Thierry.

    [2] Inscrit à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques (ISMH) par arrêté du 11 décembre 1979. Précision sur la protection : Façades et toitures, y compris les ferronneries du perron et de la clôture ; escalier intérieur avec sa rampe en bois ; plafonds décorés de deux des pièces du premier étage (cad. AB 113).

    [3] Benoit Caux, Les verrières de la nef et du chœur in Sainte Marguerite du Vésinet, une église à nulle autre pareille, Société d'Histoire du Vésinet, 2015.


Société d'Histoire du Vésinet, 2005-2023 – www.histoire-vesinet.org