La Vérité, 23 février 1905

La Villa Bianca, au Vésinet
et le droit de location à des religieuses (1905)

Un propriétaire parisien, M. Perdrigeon du Vernier, reprochait à son locataire, M. l’abbé Allain, de ne pas occuper bourgeoisement sa villa du Vésinet. Pourquoi?... parce que l’abbé hébergeait chez lui des religieuses du Saint-Nom de Jésus, qui, à leur tour, auraient reçu des pensionnaires.

    — La présence de ces locataires m’inquiète d’autant plus, plaidait le propriétaire, que d’après la nouvelle loi on pourrait me considérer comme personne interposée, pour le fait d’avoir accueilli dans ma maison des membres d’une congrégation dissoute.

    Mais je n’ai jamais cessé, ripostait l’abbé, de satisfaire aux exigences de non bail. Les religieuses, au nombre de trois, que je reçois chez moi sont d’abord des gardes-malade qui soignent en ville les malades, et puis leur congrégation n’est pas dissoute, puisqu'elle est en instance devant le Parlement pour obtenir l'autorisation. [2]

Écoutons maintenant la réponse du tribunal présidé par Seré de Rivière :

    Attendu que, par exploit du 20 janvier 1904, Perdrigeon du Vernier, acquéreur de la villa Bianca, au Vésinet, demande que l’abbé Allain, son locataire, qui tient son bail du précédent propriétaire, soit contraint, sous peine de résiliation et de dommages-intérêts, d’expulser les religieuses garde-malade auxquelles il donne asile ;

    Attendu que si l'abbé Allain n’a qu’un pied-à-terre dans la villa, c’est assurément son droit, puisqu’il pourrait la sous-louer tout entière, son bail ne contenant, à cet égard, aucune restriction ;

    Attendu que Perdrigeon du Vernier prétend aussi que lesdites religieuses ont transformé la villa en pension de famille et le jardin en poulailler, et qu’une pareille habitation n’est point bourgeoise ;

    Attendu que Perdrigeon du Vernier n’apporte aucune preuve à l’appui de ses allégations concernant l’intrusion de la volaille dans le jardin d’agrément ; que, pour le surplus, le tribunal ne saurait voir un constat dans l'acte d’un huissier qui prétend reproduire les aveux d’une religieuse interpellée dans la rue ; que, même en faisant état de réponses prêtées à la religieuse, ladite pension consistait en une seule pensionnaire, ce qui ne suffit point pour justifier la demande ;[3]

    Attendu que vainement Perdrigeon du Vernier prétend se préoccuper de l'application éventuelle de la loi du 1er juillet 1901 sur les congrégations ;

    Attendu que s’il n’a point été encore statué sur la demande d’autorisation régulièrement formée par les religieuses, c’est affaire à l’autorité compétente et non à Perdrigeon du Vernier ; que, toutefois, il n’est pas suffisamment établi que, sous l’apparence d’un tel scrupule, Perdrigeon du Vernier n’ait en réalité d'autre but que de reprendre judiciairement la disposition de la villa, pour en tirer un meilleur parti ; que l'abbé Allain n’établit pas davantage non plus le préjudice qu’il dit avoir subi par le fait de ce procès ; que, dès lors, Perdrigeon doit être débouté de sa demande, sans qu’il soit dû à l'abbé Allain des dommages-intérêts...[4]

La Villa Bianca, 49 route de Croissy

Collection particulière

 

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    Notes et Sources :

    [1] La Vérité, quotidien catholique d’information générale, est fondé en 1893 après la scission d’une partie de la rédaction de L’Univers, dont la ligne éditoriale très conservatrice s’est modérée. La Vérité devient ainsi l’organe le plus hostile au ralliement à la République et lutte pour une Église militante, avant de fusionner à la demande de Rome avec L'Univers en 1907.

    [2] Les Sœurs du saint Nom de Jésus (en latin : Congregatio Sororum Nominis Iesu) est une congrégation religieuse enseignante et hospitalière de droit pontifical. Fondée en 1887, elle existe toujours.

    [3] Un autre article sur le même sujet rapporte que les religieuses (au nombre de trois) qui habitent sa villa appartiennent à une congrégation non encore dissoute et qu'elles donnent des soins aux malades qui ont recours à leur charité. L’Écho de Paris, 22 février 1905.

    [4] Julien Perdrigeon, rentier, était locataire au 31 route de Croissy en 1880, puis au 41 route de la Plaine en 1892. Devenu propriétaire de la Villa Bianca, [fol. 1013 du cadastre, matrice des propriétés bâties] il demandait la résiliation du bail et une somme de trois mille francs à titre de dommages-intérêts (avec une astreinte de 50 francs par jour, au cas où les religieuses refuseraient de partir.) De son côté, l’abbé réclamait une indemnité de 200 francs pour le préjudice que lui causait ce téméraire procès.

 


Société d'Histoire du Vésinet, 2021 • www.histoire-vesinet.org