Portraits croisés - André Beaunier vu par ses contemporains
André Beaunier, homme de lettres
chroniqueur et critique dramatique, romancier et biographe
La conscience professionnelle habite la personne minuscule de M. André Beaunier. Nul ne peut en effet se vanter d'avoir vu le critique de l'Echo de Paris arriver en retard à une représentation théâtrale, ou quitter la compagnie avant la suprême chute du rideau. Au rebours d'un grand nombre de ses confrères, il ne rend jamais compte d'une pièce qu'il n'ait pris la précaution élémentaire de l'entendre.
Le cheveu rare et plat, le visage immobile et pâle sous le lorgnon immuable, M. André Beaunier semble porter un masque. En réalité, il est le plus indépendant des hommes. Mais son indépendance, il ne la proclame pas, comme tant d'autres chez qui elle est intermittente. Il va à pas menus, attentif et silencieux, mettant une discrétion comique à force d'être naturelle, à jouir du spectacle de l'agitation des couloirs, pendant l'entr'acte.II ne se permettra pas d'aborder ses confrères, pas même pour leur demander de quoi allumer une cigarette; il a ce qu'il faut sur lui, tabac, papier, briquet, même. Mais quelqu'un s'avise-t-il de lui parler: quel n'est pas son bonheur!
M. André Beaunier est un timide, et c'est au point que tous les jeunes gens qui font aujourd'hui la loi dans les salles de spectacles, répandent leur opinion comme la peste, s'exclament, terrorisent, et font le siège des critiques, un à un, observent à l'égard de M. André Beaunier une réserve dont ils sont eux-mêmes étonnés. Sa timidité les intimide.[1]
Caricature de Monsieur et Madame Beaunier Le cheveu rare et plat, le visage immobile et pâle sous le lorgnon immuable, M. André Beaunier semble porter un masque. En réalité, il est le plus indépendant des hommes. Mais son indépendance, il ne la proclame pas, comme tant d'autres chez qui elle est intermittente. Il va à pas menus, attentif et silencieux, mettant une discrétion comique à force d'être naturelle, à jouir du spectacle de l'agitation des couloirs, pendant l'entr'acte.
Le Strapontin,
revue satirique du théâtre politique et du Palais.
4 avril 1917.
Je revois d'ici le sourire charmé d'André Beaunier, cet écrivain raffiné, amène, — qu'un sort jaloux a brisé trop tôt — alors que je lui montrais, dans son bureau, au Figaro, la convocation à la Conférence de la Comédie-Française. Il y était dit que l'on était invité "à venir étudier dans quelle mesure et sous quelle forme les arts et les lettres pourraient participer à la célébration des Olympiades modernes et, en général, s'associer à la pratique des sports pour en bénéficier et les ennoblir".
— Ah! la jolie phrase, répétait-il, et comme cela va bien avec le cadre choisi !"
Cadre un peu inattendu sans doute et dont la requête avait commencé par étonner Jules Claretie. Mais il s'était accoutumé à la chose et, souriant, présida l'ouverture d'une conférence à laquelle avaient été conviés presque tous les artistes et écrivains notoires. Il n'en vint qu'une soixantaine, mais ceux qui vinrent le premier jour vinrent aux séances de discussion des jours suivants et participèrent à l'élaboration du plan. Jean Richepin, Bourgault-Ducoudray, Poilpot adhéraient avec élan. Des cortèges, des masses chorales, de grandes fresques, des odes triomphales illuminaient leur imagination. D'autres adhéraient plus froidement ou simplement supputaient les difficultés. La principale tenait en deux mots: la peur du classique.
Les jeunes artistes, pour qui classique et poncif demeuraient synonymes, étaient évidemment ceux dont dépendrait le succès de l'initiative. Or cette phobie les en détournait. Ajoutez-y qu'en architecture la demande n'avait pas encore formulé ses besoins, qu'en peinture les scènes sportives réclamaient plus de ligne que de couleur, c'est-à-dire le contraire des tendances régnantes, qu'en musique la foule avait tout à fait perdu l'accoutumance aux cantates de plein air, qu'en littérature les écrivains personnellement étrangers, pour la plupart, aux joies musculaires violentes étaient inaptes à les décrire pour un public encore mal averti d'ailleurs.[2]
Il a été jugé depuis longtemps que les hommes de lettres avaient droit à la prorogation professionnelle de cinq années. Mais la question qui se posait au tribunal de Versailles pour M. André Beaunier était assez nouvelle.
M. André Beaunier habite à Paris, rue de Villersexel, et aussi au Vésinet. Pour quelle habitation avait-il droit à la prorogation professionnelle ?
M. Beaunier la demandait pour le Vésinet. Mais son propriétaire, par l'organe de Me Besson, la refusait. M. Beaunier, disait-il, est critique dramatique; il fait son article à Paris.
Me Aubépin plaidait pour M. Beaunier. Il soutint que celui-ci était non seulement critique dramatique mais romancier de talent, qu’il écrivait des articles à la Revue des Deux Mondes. Or, un article de revue ne s’improvise pas, il exige des recherches, des documents de travail, des livres. Or, la bibliothèque de M. André Beaunier, plus de dix mille volumes, est au Vésinet. C'est donc là qu’il exerce sa profession. La thèse de Me Aubépin eut gain de cause. André Beaunier obtint pour la maison qu’il occupe au Vésinet la prorogation qu’il demandait.
Le Figaro n°354, 20/12/1922, Gazette des tribunaux
Précise dans sa documentation, nette dans ses formules, diverse dans son objet, dans son aspect, dans ses ressources, la critique d'André Beaunier a cet attrait qui lui est propre: elle intéresse le lecteur au même point et par les mêmes procédés qu'une oeuvre d'imagination. Elle est toute psychologie; elle sait pénétrer et exprimer les caractères. Est-il besoin d'en dire le motif ? Tous les lecteurs l'ont deviné. Critique par métier, André Beaunier est romancier par vocation. [3]
[1] Victor Gibaud "André Beaunier, critique littéraire", in Poètes et Critiques, Hachette, 1913
[2] Anonyme, Le Théâtre indiscret de l'an 1924, Paris, 1925
[3] Robert de Flers, Le Figaro, 1925
Société d'Histoire du Vésinet,
2008 - www.histoire-vesinet.org