D'après Auguste Cahier, Bulletin de la Société Impériale d'Agriculture de Sciences et d'Arts dans sa séance du 16 octobre 1859.

Abel Augustin Petit (1818-1858)
Ingénieur des Ponts et Chaussées au service d'Alphonse Pallu

Dans la brochure qui fut éditée lors du cinquantenaire de l'érection du Vésinet en commune (1925), parmi les principaux collaborateurs d'Alphonse Pallu auxquels on rendit hommage alors, aux côtés du Comte de Choulot, pour le dessin du parc du Vésinet, de Joseph Olive, architecte-paysagiste, de M. Dufrayer, ingénieur hydraulicien, et de M. Lepant, conducteur des travaux, on mentionnait aussi M. Petit, Ingénieur des Ponts et Chaussées. Si les premiers cités sont bien connus et étudiés dans ces pages, le dernier mentionné restait mystérieux bien que quelques exemplaires de sa signature figurent sur les tout premiers documents d'archives que nous connaissions [1].

Il semblait nécessaire de combler cette lacune.
Pour connaître enfin Abel Augustin Petit, ingénieur des Ponts et Chaussées, nous citerons in extenso la notice nécrologique que lui consacra en 1859 La Société Impériale d'Agriculture de Sciences et d'Arts dans sa séance du 16 octobre 1859, sous la plume d'Auguste Cahier, secrétaire général de cette Société, président de chambre à la cour de Douai, chevalier de la Légion d'honneur et critique d'art à ses heures. [2]

    Messieurs,

    Nous venons vous entretenir d’un ancien collègue, qui a traversé trop rapidement les rangs de la Société et a néanmoins laissé parmi nous comme dans notre cité un de ces souvenirs qui ne s’effacent pas. Il nous a paru que nous serions écouté avec d’autant plus d’indulgence, osons dire mieux, avec d’autant plus d’intérêt, que l’existence sur laquelle nous allons rappeler votre attention fut consacrée tout entière au travail, au travail incessant, opiniâtre, et qu’elle apparaît comme un des plus complets modèles qui puissent être offerts en exemple à la jeunesse. Cette existence, sitôt et si cruellement brisée, fut celle de Abel-Augustin Petit, mort à Paris le 43 septembre 1858, ingénieur des ponts-et-chaussées de première classe, chevalier de la Légion d’Honneur, de l’Ordre belge de Léopold, etc.

    Augustin Petit était né à Arras le 2 mai 1818. Entré au lycée de Douai le 4er janvier 1830, il y demeura d’abord trois ans. Nous l’en voyons sortir aux vacances de 1833. Ses études étaient alors assez avancées pour qu’après une année de perfectionnement il put, à la date du 3 août 1834, se faire recevoir bachelier ès-lettres. Il n’en revint pas moins comme externe à notre lycée au commencement de l’année 1836, et, sous l’habile direction de notre savant collègue, M. le professeur David, se mit en état d’entrer à l’école polytechnique, où il fut admis le 22 octobre de la même année, à l’âge de dix-huit ans.

    En 1838, il sort de cette école avec le vingt-quatrième rang et entre le dix-septième à l’école des ponts-et-chaussées. L’année suivante, il est envoyé en mission à Dunkerque pour y suivre les travaux de ce port et de celui de Gravelines, sous la direction de M. l’ingénieur en chef Cuel.

    En mai 1840, il revient à Douai, où il est employé temporairement auprès de l’ingénieur de l’arrondissement, et peu de temps après, reçoit une mission qui lui fait parcourir une partie de la Belgique.

    Les preuves de capacité et de solide instruction qu’il donna dans ces divers services lui firent obtenir, en novembre 1840, le septième rang parmi les élèves de première classe à l’école des ponts-et-chaussées, et quatre mois après, le 15 mars 1844, il était nommé aspirant ingénieur.

    Il fut, avec ce titre, attaché à cette époque aux travaux de notre arrondissement et vint résider à Douai, où il retrouva plusieurs de ses condisciples et se fit de nombreux amis. La franchise et la rondeur de ses manières, la verdeur de son esprit, la sûreté reconnue de son caractère, l’étendue déjà remarquable de ses connaissances, son aimable gaieté, donnaient aux rapports qu’on pouvait lier avec lui un charme tout particulier. Si nous constatons ici ce que furent alors nos impressions personnelles, nous ne craignons pas d’ajouter qu’elles nous étaient communes avec tous ceux que leurs relations rapprochaient d’Augustin Petit ; et nous en sommes convaincu, nos paroles trouveront ici de l’écho. En effet, nous voici au moment où il fut admis dans notre Compagnie. Mais n’allons pas plus loin sans faire remarquer qu’Augustin Petit avait déjà reçu une marque des sympathies qui s’attachaient à sa personne par les suffrages qui, aux élections faites dans la garde nationale en septembre 1840, l’avaient investi du grade de lieutenant de la troisième compagnie de la milice citoyenne de Douai.

    Un officier distingué de l’arme savante de l’artillerie, dont les labeurs ne sont nulle part mieux appréciés qu’à Douai, avait en quelque sorte vu naître Augustin Petit; il avait étudié son enfance, observé son adolescence ; il avait reconnu les qualités de ce jeune et bon cœur, et entrevu d’un coup d’œil expérimenté tout ce que promettait pour l’avenir cette riche organisation. Avec une confiance que, chaque jour, le temps devait justifier, il lui avait donné sa fille en 1838, et dès lors pour Augustin Petit, tout jeune encore, s’ouvrit une ère de bonheur domestique, que pendant vingt années ne vint pas assombrir un seul nuage et que pouvait seule détruire une mort fatale et prématurée.

    Cet officier, éminent autant par sa science que par son grade, vous aviez l’avantage de le posséder dans vos rangs, et de ce collègue si instruit et si laborieux, si zélé, si excellent et si simple, d’une aménité si constante et si douce, le souvenir est dans notre Compagnie pieusement conservé, la mémoire toujours honorée.

    M. le colonel Dussaussoy vous présenta son gendre, et, le 25 février 1842, Augustin Petit était élu membre résidant.

    Pendant les cinq années qu’il resta attaché à la Société sous ce titre, il profila des instants de liberté que pouvaient lui laisser les assujétissants travaux par lesquels il était absorbé pour assister tantôt à nos assemblées générales, tantôt à des séances de commissions dont les études spéciales avaient pour lui un intérêt plus particulier, et nous savons tous quel contingent de lumières, d’heureuses réflexions, d’affectueuse cordialité il apportait au milieu de nous.

    Nous étions arrivés aux jours où notre pays fut enfin doté d’un chemin de fer. Alors s’était produite pour Augustin Petit l’occasion de se livrer à de nouvelles et profondes études ; alors nous l’avions vu s’entourer et se pénétrer consciencieusement des ouvrages les plus accrédités, des mémoires les plus importants sur une matière qui bientôt allait lui devenir familière et dans laquelle il devait un jour, lui aussi, faire autorité.

    Nommé, le 15 août 1842, ingénieur de la troisième section du chemin de fer du Nord, il nous a rendus témoins de l’infatigable activité comme de l’habileté déjà consommée avec lesquelles il entreprit, suivit et acheva les travaux qui entraient dans ses attributions. Chez lui, à la pensée qui conçoit s’unissait la résolution qui exécute, et si quelquefois on a trouvé que son esprit ferme et décidé se montrait d’une manière trop absolue, on comprenait bientôt qu’il ne faisait qu’obéir à la nécessité d’aplanir ou de surmonter les embarras de toutes sortes qui venaient si fréquemment gêner sa marche. Nous ne saurions passer ici en revue ni les détails ni même l’ensemble de ces travaux accomplis dans ces années si bien remplies ; mais il nous souvient parfaitement que les connaisseurs admirèrent les deux ponts de bois jetés au-dessus de nos remparts pour fournir au viaduc l’entrée et la sortie de la ville, ponts qui sont construits et disposés de manière que, au cas où la défense de la place deviendrait nécessaire, ils peuvent être rapidement démontés et remontés de même une fois le danger passé. Nous pourrions encore citer le pont biais élevé à Lambres sur la Scarpe, qui n’est pas remarquable seulement par son élégance, mais aussi par le système de construction qu’exigeaient les conditions d’obliquité qu’il fallait observer.

    Ce fut au milieu de ces travaux qu’il obtint un avancement mérité, par sa promotion, à la date du 26 août 1843, au grade d’ingénieur de seconde classe. [3]

    L’ingénieur en chef du département, M. Bosquillon, plein de confiance dans la diversité et l’étendue des connaissances de son collaborateur, avait, au cours de ce même mois d’août 1843, songé à lui confier l’étude du canal de la Haute-Lys, et deux ans après, le 23 avril 1845, M. Cuel, ingénieur en chef du port de Dunkerque, l’avait proposé pour en exécuter avec lui les travaux. Mais pour Augustin Petit, la spécialité qu’il lui avait été donné d’entreprendre et de suivre avec des succès déjà marqués lui inspirait trop d’intérêt pour qu’il pût la délaisser, même momentanément, et il tenait à terminer autour de Douai ce qu’il avait commencé. Sa réputation était d’ailleurs déjà assez bien établie pour que, le 34 janvier 1846, MM. Péreire et Hottinguer demandassent qu’il fût chargé de la construction du chemin de fer de Calais à Hazebrouck.

    Le 19 février suivant fut accordée l’autorisation ministérielle, et Petit alla, pour remplir sa nouvelle mission, fixer sa résidence à Saint-Omer. Là, plus d’une fois, nous eûmes le plaisir bien vrai de nous retrouver avec lui ; là nous pûmes reconnaître que, comme à Douai, il était entouré d’estime sérieuse, d’affection sincère.

    Dans cette même année 1846, le 26 août, il fut l’objet d’une première distinction : S.M. le roi des Belges le décora de la croix de chevalier de son Ordre, constatant ainsi quelle part le jeune ingénieur français avait prise dans les services que rendaient à la Belgique les chemins de fer créés dans lé département du Nord.

    L’éloignement de notre collègue ne lui permettait plus de s’associer par sa présence aux études et aux réunions de notre Compagnie ; mais il nous restait attaché de cœur et il reçut avec reconnaissance le titre de membre correspondant qui lui fut décerné le 22 janvier 1847.

    Avec l’année 1848 finissaient les travaux que la Compagnie du Nord avait confiés à Augustin Petit. Il demanda alors à rentrer dans les cadres du corps auquel il appartenait ; mais la Compagnie ne le laissa point s’éloigner sans lui témoigner par une lettre du président de son conseil d’administration, combien elle avait su apprécier le zèle, l’activité dont il avait fait preuve, ainsi que l’utilité de ses services.

     

      Lettre de MM. le baron de Rothschild et Delebecque, administrateurs du chemin de fer du Nord, à M. Petit, ingénieur à Saint-Omer.

      Paris, le 3 novembre 1848.

      Monsieur,

      Vous nous avez fait l’honneur de nous écrire, le 25 août dernier, que l’achèvement à peu près terminé de la construction de l’embranchement de Calais vous décidait à quitter le service de la Compagnie et à rentrer dans les cadres du corps des ingénieurs des ponts-et-chaussées. Le zèle et l’activité dont vous avez fait preuve, Monsieur, dans l'exécution des travaux confiés à vos soins, nous ont mis à même d’apprécier l’utilité de vos services ; et c’est avec un vif regret que nous avons vu arriver le moment où vous avez cru devoir vous séparer de nous. Inutile de vous dire, Monsieur, que nous garderons toujours un bon souvenir du concours que vous nous avez prêté et des excellentes relations qui se sont établies entre nous. Si l’occasion s’offrait d’utiliser de nouveau vos services, nous la saisirions avec plaisir.

      Recevez, etc.

      Le Président du conseil d’administration,

      Signé : Baron James DE ROTHSCHILD. L’un des Administrateurs de service,

      Signé : DELEBECQUE....

     

    Ce n’était pas seulement la Compagnie qui avait à se féliciter des services d’Augustin Petit : il en avait rendu d’immenses au pays, aux ouvriers, à l’ordre public ; et ici nous nous servons des expressions mêmes d’une lettre dans laquelle le représentant de l’administration dans l’arrondissement de Saint-Omer lui témoignait une reconnaissance bien sentie, lettre que nous citerons en entier, car nous craindrions en l’analysant d’affaiblir l’expression de sentiments aussi honorables pour celui qui en est l’objet que pour le fonctionnaire qui s’en constitue l'interprète.

     

      Lettre de M. Vallon, sous-préfet de Saint-Omer, à M. Petit, ingénieur des ponts-et-chaussées.

      Saint-Omer, le 18 novembre 1848.

      Monsieur l’ingénieur,

      Au moment où vous allez quitter ce pays, après y avoir accompli les importants travaux du chemin de fer de Calais, c’est un devoir pour moi de vous exprimer le regret que nous éprouvons à vous voir partir, et le souvenir que vous laisserez parmi nous.

      Vous avez, dans des moments difficiles, fait exécuter des travaux qui ont rendu d’immenses services au pays, aux ouvriers et à l’ordre public. C’est votre intervention énergique auprès de la Compagnie dont vous aviez toute la confiance qui a fait marcher alors les projets sans interruption, et les ouvriers ont apprécié votre sollicitude à leur égard autant que nous avons pu le faire nous-même, pour eux, à un autre point de vue.

      Nous avions espéré que la décoration de la Légion d’Honneur vous serait conférée le jour même de l’inauguration de la voie, et si des raisons de service ont ajourné un peu cette justice, nous avons entendu le ministre s’exprimer à cet égard de manière à nous donner la confiance qu’elle ne sera pas longtemps à venir vous trouver dans le nouveau poste que vous confie l’administration supérieure.

      Des hommes plus compétents que moi ont apprécié le mérite des beaux et rapides ouvrages que vous avez fait exécuter auprès de nous. Ma position est trop modeste pour que mon témoignage sur ces travaux, sur votre activité incessante, sur votre esprit de conciliation, sur votre obligeance constante ait la valeur que je voudrais qu’il eût pour vous être plus précieux qu’il ne peut l’être; mais enfin, vous apprécierez au moins mon intention, ma reconnaissance, mes sympathies, et je vous prie d’agréer ces sentiments avec l’assurance cordiale de ma considération la plus distinguée et de mon affectueux dévouement.

      Le Sous-Préfet de Saint-Omer, Signé : VALLON.

     

    Cependant, Augustin Petit, nommé le 2 octobre 1848, ingénieur de la première section du chemin de fer de Tours à Bordeaux, fut, le 28 décembre suivant, envoyé en mission au chemin de fer de Vierzon, pour contenir les ateliers travaillés par le socialisme, au moment où se tenait à Bourges la Haute-Cour de justice.

    Dans cette situation, un jour vint où il montra cette énergie, cette fermeté, cette intelligence du caractère de l’ouvrier que M. le sous-préfet de Saint-Omer avait louées à si bon droit.

    Les ouvriers d’un atelier situé dans la commune de La Guerche avaient été entraînés par de sourdes menées à des troubles qui avaient un instant inquiété la tranquillité publique. Par l’action que Petit sut exercer dans cet atelier, il calma les esprits turbulents et contribua puissamment au rétablissement de l’ordre. Le 13 février 1849, le ministre des travaux publics le félicitait de cet heureux résultat, et peu de mois plus tard, le 2 mai suivant, le récompensait dignement de tout ce qu’il avait accompli jusqu’alors, en le faisant décorer de la croix de chevalier de la Légion d’Honneur.

     

      Lettre de M. Lacrosse, ministre des travaux publics, à M. Petit, ingénieur a La Guerche.

      Paris, le 13 février 1849

      Monsieur,

      J’ai appris que votre présence à la Guerche, ainsi que l’action que vous avez exercée sur les ouvriers de cet atelier, contribuent au rétablissement de l’ordre troublé par des meneurs. Je ne puis que me féliciter d’avoir insisté pour que cette mission vous fût confiée. Je chercherai à en abréger la durée et ne perdrai pas le souvenir du zèle utile dont vous venez de faire preuve.

      Veuillez, etc.

      Le Ministre des travaux publics,

      Signé : T. LACROSSE.

     

    Cette mission accomplie avec succès, il revint à Tours, et fort heureusement, nous pouvons le dire, pour certains ateliers de cette ligne. Nous en trouvons la preuve dans une nouvelle lettre de M. le ministre des travaux publics, écrite à la date du 16 février 1850. Dans sa concision et dans sa haute signification, cette lettre que vous aimerez à entendre nous épargne le détail des scènes où chez l’ingénieur vainqueur du désordre se sont encore une fois montrées une énergique initiative et l’heureuse influence de la prudence unie à la fermeté ; écoutez :

     

      Paris, 16 février 1850

      Monsieur,

      Je viens de lire un récit des désordres survenus aux ateliers du chemin de Bordeaux. En vérité, les perturbateurs ont bien mal choisi leur moment et leur monde! Nous avons fait cesser, il y a plus d’un an, les condescendances administratives qui autorisaient l’insubordination: voilà pour l’époque. Quant aux personnes, elles n’étaient pas faciles à intimider et je suis sûr que les meneurs ne savaient pas à qui ils avaient affaire.

      Je ne vous félicite point de votre conduite ferme et prudente à la fois : le retour du calme et du travail est une récompense précieuse pour vous. Mais en apprenant que vous avez arraché le drapeau de l’émeute, je me suis félicité moi-même d’avoir compté sur votre énergie quand les ateliers du Cher étaient en fermentation.

      Recevez, etc.

      Signé : T. LACROSSE.

     

    Nous ne pouvons nous empêcher de faire une remarque : c’est que si les émeutiers ne savaient pas à qui ils avaient affaire, le ministre, lui, ne l’ignorait pas et avait toutes raisons de compter sur son agent.

    N’avions-nous pas raison, Messieurs, de vous indiquer à notre début que notre collègue s’était constamment élevé par ses propres efforts, et que rarement s’est mieux appliquée qu’à lui la qualification de fils de ses œuvres. C’est, en effet, toujours sur de nouveaux travaux, sur de nouveaux services que s’appuie son avancement dans sa forte et brillante carrière, et vous venez de voir par quels nouveaux services il acquit son grade d’ingénieur de première classe, auquel il fut promu le 29 mai 1850.

    Par son mérite et ses talents, Augustin Petit avait acquis une belle position, et par sa science comme par son expérience, ainsi que nous le faisions pressentir en commençant, une autorité réelle dans cette grande industrie qui restera une des créations les plus heureuses et les plus magnifiques de notre siècle.

    Le 2 août 1854, il est envoyé à Lyon, où il aura à établir la voie entre Châlons et Lyon. Puis, quelque temps après, le gouvernement lui confie une mission en Espagne; mais les événements du 2 décembre viennent supprimer cette mission.

    Le 11 décembre, il est chargé d’une partie importante des travaux destinés à entourer Paris d’une ceinture de voies ferrées ; puis bientôt, en février 1852, reçoit du Président de la République une mission confidentielle qui l’envoie en Piémont. Là, il prêta au ministère piémontais le plus utile concours pour l’établissement d’une ligne télégrapho-électrique entre Turin et la Savoie, avec embranchement sur la France. Il fournit en même temps d’importants renseignements sur les systèmes des plans inclinés le long des lignes de fer. Ces services furent honorablement reconnus par le roi de Sardaigne, qui, le 4 juillet 1852, les récompensa par la croix de chevalier de l’Ordre des SS. Maurice et Lazare.

     

      Turin, ce 10 juillet 1852.

      Monsieur,

      Sur mon rapport à l’égard du concours très utile que vous avez bien eu la complaisance de prêter à ce ministère dans les études qu’il a ordonnées pour l’établissement d’une ligne télégrapho-électrique entre Turin et la Savoie avec diramation pour la France, et afin de vous témoigner en même temps sa satisfaction pour les intéressantes communications que vous avez faites à son gouvernement sur les systèmes des plans inclinés le long des chemins de fer, S. M. daignait en audience du 4 de ce mois vous nommer chevalier de l’Ordre des SS. Maurice et Lazare.

      Chargé de la part du Roi de porter à votre connaissance ce gage de satisfaction souveraine, je m’empresse, Monsieur, de vous transmettre ci-joint le décret magistral de nomination, et, en vous offrant de mon côté les félicitations les plus sincères pour la favorable issue des services que vous avez rendus à son gouvernement, je prends la liberté de vous consigner aussi la croix de l’ordre qui vous a été conférée en vous priant d’agréer avec elle les sentiments de ma considération très-distinguée.

      Le ministre des travaux publics,

      Signé: PALE.

     

    Augustin Petit a concouru à l’exécution de presque tous nos grands chemins de fer. Ce fut ainsi que, tout en restant chargé de l’établissement sur la Seine du pont Napoléon, au chemin de fer de ceinture, il fut, le 26 novembre 1852, attaché à la construction d’une partie de la ligne qui allait s’étendre de Bordeaux à Bayonne.

    Cet établissement du pont Napoléon ne put être effectué sans les plus grandes difficultés et devint pour son constructeur une éclatante occasion de déployer toutes les ressources de son art, de sa science profonde, et d’une persévérance que ne lassèrent aucun des obstacles suscités par l’inconsistance du lit du fleuve, obstacles qu’il allait sonder lui-même au milieu des eaux, des sables mouvants, payant de sa personne comme le plus rude de ses ouvriers, que ne découragèrent aucun des accidents qu’il vit plusieurs fois se renouveler, mais dont triomphèrent sa constance et son habileté.

Le pont Napoléon (devenu « Pont National ») avant sa transformation

Collection privée, tous droits réservés

    En 1854, il fut employé exclusivement au chemin de fer du Midi; mais un jour vint où, par des motifs personnels, il crut devoir abandonner cette ligne.

    Dans cet intervalle de temps, vers le mois d’août, une chute, qui eut pour résultat une fracture à la jambe, vint inquiéter sa famille et ses amis. Ce grave accident ne l’empêcha pas un seul instant de suivre et diriger ses travaux sur lesquels il se faisait porter.

    Cette circonstance, connue de l’Empereur, éveilla l’intérêt de S.M., qui daigna faire écrire plusieurs fois pour s’informer des nouvelles de Petit. Faut-il ajouter que ces témoignages d’une si auguste bienveillance sont précieusement conservés dans sa famille?

    A peine eût-il quitté le chemin de fer du Midi que ses connaissances furent mises à contribution pour les études des voies de fer à créer entre Boulogne et Calais, de Saint-Quentin à Soissons, de Soissons à Reims, etc.

    Au mois de mars 1855, nous le voyons chargé par intérim du contrôle du chemin de fer du Nord, en l’absence du titulaire, puis au commencement de 1856 (28 janvier), la notoriété de son aptitude partout éprouvée, de ses habitudes laborieuses, le fit attacher au conseil-général des ponts-et-chaussées en qualité de secrétaire.

    Ce n’était pas seulement dans l’ordre régulier de ses fonctions que notre collègue multipliait les preuves de sa rare capacité. Dès le mois de décembre 1843, M. le préfet du Nord l’avait désigné pour faire partie de la Commission historique de ce département.

    Au mois de juillet 1855, il prit une part utile en France au congrès de statistique, et au mois de juillet 1857, à un congrès semblable qui s’ouvrit dans la capitale de l’Autriche.

    Quelques mois auparavant, il avait été au moment d’entreprendre la construction des chemins de fer romains, dont on lui avait offert la direction générale.

    Le 12 mai 1857, avait été signé à cet effet un traité auquel Petit ne crut pas devoir donner suite. Néanmoins, le gouvernement pontifical, appréciant les services par lui déjà rendus, et regrettant sa retraite prématurée, lui exprima ses sentiments de bienveillance par une lettre qu’à la date du 40 juin lui adressa le cardinal Milesi, ministre des travaux publics.

    Profitant des moments que lui laissaient ses travaux au Conseil-général des ponts-et-chaussées, il partit au mois d’août 1858 pour l’Algérie, où l’appelaient des études qu’on lui demandait sur l’exploitation des carrières existantes dans la province d’Oran. Il apporta dans l’exécution de ce travail le zèle et l’ardeur qui lui étaient naturels ; mais, hélas ! déjà ses jours étaient comptés ! Sous l’influence, soit des fatigues qu’il ne s’épargna point, soit du ciel africain, il contracta le germe d’une maladie inflammatoire dont les premiers symptômes vraiment inquiétants se manifestèrent à Marseille. Dans cette ville, puis le lendemain à Lyon, ses amis voulurent le retenir et le décider à demander à un repos de quelques jours la guérison de ce qui semblait n’être encore qu’une indisposition. Craignant d’alarmer les siens qui l’attendaient, trop plein de confiance dans ses forces, le malade, à Lyon comme à Marseille, exprima la ferme résolution de continuer sa route jusqu’à Paris. Arrivé au terme de ce funeste voyage, il prit le lit pour ne plus se relever. Huit jours à peine séparèrent l’heure de sa rentrée dans sa famille et l’heure où son dernier sourire, où son dernier regard dirent un déchirant adieu à sa femme et à sa fille, à un parent dont l’affectueuse sollicitude ne s’est pas démentie un instant, à un ami dévoué, qui, dès les premiers moments, était venu l’entourer des soins les plus touchants et les plus assidus. Ce dévouement ne vous étonnera pas quand nous vous aurons dit que cet ami est un de nos anciens collègues, qui, comme administrateur et comme homme, s’était fait estimer, s’était fait aimer de tous... nous avons nommé M. David-Porteau. [4]

    Ce fut ainsi que, parvenu à une position enviable dans le corps savant auquel il appartenait; — honoré de distinctions bien méritées; — jouissant d’une aisance en rapport avec la modération de ses désirs;— possesseur d’un bonheur intérieur dont il savait goûter toutes les joies; — pouvant apercevoir devant lui un magnifique avenir, — Augustin Petit a été, dans toute la vigueur, dans toute la puissance de sa forte maturité, soudain frappé, abattu, en marchant encore, en marchant, comme toujours, dans la voie du devoir et du travail.

    Oui, du travail, et c’est par ce mot qu’il faut finir; car, ainsi que vous avez pu en juger, il dit, à lui seul, ce que fut cette vie, trop courte par son terme, suffisamment longue par ses œuvres.

Le Vésinet. Pont du Village, coupe transversale (étude)

Archives municipales. Cliché SHV (2017)

Les carrières dans la province d’Oran dont il est fait mention vers la fin de ce texte, sont les carrières d'onyx d'Aïn-Tekbalet, dont la Compagnie Pallu & Cie (l'autre, celle créée en 1856) était propriétaire et dont Alphonse Pallu était alors le directeur. [4]
C'est à la demande de ce dernier que M. Petit entreprit ce voyage qui lui fut fatal. Et c'est « à ses moments perdus » qu'il réalisait pour l'une ou l'autre des Compagnies Pallu & Cies ses expertises.
Augustin Petit est mort à son domicile parisien, 33, rue de la Madeleine (actuelle rue Pasquier) le 13 septembre 1858, quelques jours à peine avant les premières adjudications des lots de la colonie du Vésinet. Il fut inhumé au cimetière du Père Lachaise. Il avait 40 ans. [5]
En 1838, il avait épousé à Douai (Nord) Joséphine Dussaussoy (1817-1880). Ils eurent une fille, Marie Flore Augustine, née en 1839 et morte en couches, en 1865, peu après son mariage.

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    Notes et Sources:

    [1] Le dernier à avoir mentionné M. Petit est Edouard Clavery, dans Urbanisme (5e Année, n°48) octobre 1936 (reprenant le texte de Jean Schiffer, Bulletin de la Société pour la protection des paysages de France (Paris) juillet 1932). Ni Jean Delcour (1960), ni Georges Poisson (1975) n'y font allusion.

    [2] Mémoires de la Société centrale d'agriculture, sciences et arts du département du Nord (Douai) 1858-59.

    [3] En 1843, Augustin Petit s’était pourvu auprès du garde des sceaux, à l'effet d’obtenir l’autorisation d'ajouter à son nom celui de Mézières pour porter à l’avenir le nom de Petit de Mézières, sous lequel, disait-il, son père Alexandre-Augustin Petit, ancien député, décédé le 6 décembre 1839 à Mézières (Pas-de-Calais) avait toujours été connu. Cette demande ne semble pas avoir eu d'effet. L'Universel n°68, 9 mars 1843.

    [4] Chef de division dans l'administration hospitalière (Paris) il avait en charge l'inspection générale des établissements de bienfaisance. Annuaire général du commerce, de l'industrie, de la magistrature et de l'administration (Paris) Firmin-Didot, 1854.

    [4] La Compagnie des Marbres Onyx d'Algérie fut fondée le 14 juin 1858.

    [5] Le caractère foudroyant du mal et les délais observés ont fait évoquer la peste – qui sévissait en Algérie de façon endémique– comme cause de la maladie.


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